A nouveau sur les fictions identitaires
Christian Ruby
Christian Ruby
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A propos de 4 ouvrages :
Vincent Descombes, Les embarras de l'identité, Paris, Gallimard, 2014.
Vincent Descombes, Les embarras de l'identité, Paris, Gallimard, 2014.
Pierre Macherey, Identités, Grenoble, de l'Incidence, 2014.
Michel Augier, La condition cosmopolite, Paris, La Découverte, 2014.
Alain Finkielkraut, L'identité malheureuse, Paris, Stock, 2014.
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Appel für weniger Identität und mehr Solidaritäts-Aktion fûr Zuwanderung und Flüchtlinge. Vor der am Juni beginnenden neuen Euro-Parlament wollen wir mit einem ungewöhnlichen Aufruf zur Zuwanderungspolitik gewanden. Damit Europa ein gutes Vorbild bleibt, und die Zuwanderung in Gesellschaft gelingt, rufen wir alle diejenigen, die in Gesellschaft und Politik Verantwortung übernehmen, zu einer über Identität Debatte auf.
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To begin with, I should say that I have never cared a great deal for reflections on identity. I do not see how identity can put steam back into the engine of European integration. It is also a notion which is difficult to define and can be one of many things: the demos, which some would say is its purest form; the feeling of belonging to a group, a community of shared values; the link which some make between identity and positive output from the EU; the classic distinction made in political science between those included or excluded from a group, ingroups and outgroups (group designations are an essential guideline for understanding political history). I will start here by going over a few notions whilst highlighting the opposition between Europe and the Nation. Over the last fifty years, there has been a dialectic and conflicting relationship between the two. Nowadays, just when people are talking about enlargement and globalisation, the question of the Nation has come back into the spotlight in debates. Secondly, I would suggest that the 85-95 period, when European integration accelerated, was not simply a functional - that is an institutional and economic - affair. To finish, I will conclude on the project of a European society, which is currently being discussed (Speech made by Jacques Delors (Founding President of Notre Europe), on Internet : http://www.notre-europe.eu/media/etud48_01.pdf?pdf=ok)
To begin with, I should say that I have never cared a great deal for reflections on identity. I do not see how identity can put steam back into the engine of European integration. It is also a notion which is difficult to define and can be one of many things: the demos, which some would say is its purest form; the feeling of belonging to a group, a community of shared values; the link which some make between identity and positive output from the EU; the classic distinction made in political science between those included or excluded from a group, ingroups and outgroups (group designations are an essential guideline for understanding political history). I will start here by going over a few notions whilst highlighting the opposition between Europe and the Nation. Over the last fifty years, there has been a dialectic and conflicting relationship between the two. Nowadays, just when people are talking about enlargement and globalisation, the question of the Nation has come back into the spotlight in debates. Secondly, I would suggest that the 85-95 period, when European integration accelerated, was not simply a functional - that is an institutional and economic - affair. To finish, I will conclude on the project of a European society, which is currently being discussed (Speech made by Jacques Delors (Founding President of Notre Europe), on Internet : http://www.notre-europe.eu/media/etud48_01.pdf?pdf=ok)
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Les uns et les autres se posent peut-être la question : mon pays est-il encore mon pays (La France est-elle encore la France, etc.) ? Les changements de valeurs ne dissolvent-ils pas les valeurs ? Toutes questions dont le ressort est l'identité ou l'identique (A = A), sa formation, sa déformation, son annulation.
Le thème identitaire, on le sait, n'en est pas à son premier accès public. Il revient en revanche, dans le débat, de nos jours, ceinturé par des inquiétudes vite dramatisées, par des craintes d'invasion et des fantasmes d'ennemis renouvelés, comme le montre l'ouvrage d'Alain Finkielkraut. Mais, celui qui revendique son identité, ou une identité, sait-il vraiment ce qu'il dit ou ce qu'il veut ? Certes, cela n'a de sens que s'il affirme simultanément sa crainte du changement ou s'il refuse d'être la proie d'un quelconque changement. La vulgate identitaire ne peut procéder autrement, elle doit en passer par là. Faute de quoi, elle ne peut tenir très longtemps.
Mais justement, comment a-t-on posé le problème de l'identité en Europe, pourquoi et à quelle échelle ? Car ce problème peut aussi bien se concevoir à l'échelle de l'individu, du groupe, qu'à l'échelle de la nation.
Vicent Descombes tente de mettre au jour l'idiome de l'identité. Dans ce dessein il faut en passer par les Grecs, et la volonté de poser un monde immuable, un cosmos, expressément défini par son identité et son immuabilité (formule transcendante de l'organisation du monde naturel et humain). Néanmoins, les Grecs avaient d'autres atouts dans leur jeu : la constitution d'une cité, selon Aristote, ne définit pas d'abord une identité - même si elle est loin d'en être exclue - mais la manière de muer un agrégat de voisins en une communauté dont l'objectif réside dans la capacité à réaliser une conception partagée du bien commun, impliquant la décision des citoyens, et leur capacité à faire entériner cette conception par les voisins.
Mais on peut prendre le problème à l'envers. A partir des "défauts" d'identité. Qu'appelons-nous, en effet, une "crise d'identité" ? Vincent Descombes, encore, montre comment le psychanalyste Erik Erickson a élaboré ce concept à partir du soin donné aux jeunes vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Cette crise d'identité correspond à un conflit entre l'idée que ces jeunes soldats s'étaient faite d'eux-mêmes et les attentes de la société à leur égard. Entre les deux, il y avait choc, puisque les attentes de la société leur semblaient soudain exorbitantes. Ce conflit est d'autant plus accentué que la société moderne revendique les identités, du point de vue de la police : depuis la carte d'identité jusqu'à la nomination. Alors que chacun croit pouvoir se forger une identité profonde, différente de l'identité légale. Ce double processus de constitution des identités a été repensé par la sociologie interactionniste, lorsqu'elle a cru pouvoir définir l'identité personnelle comme le résultat d'une négociation entre l'identité objective et l'identité subjective. Bref, on ne sort du cadre assigné de l'identité, sur lequel Pierre Macherey insiste à juste titre pour le démonter.
Or, ce cadre a, de surcroît, une efficacité politique. Michel Augier y revient longuement. La frontière qui délimite deux groupes (sociaux ou nationaux) est moins une ligne de démarcation que l'espace de passage par lequel la communauté politique s'institue, parce qu'elle y fixe la place de l'ennemi. L'étranger est bien cet autre qui "me" permet de faire exister "mon" identité, en la clôturant sur elle-même, par rejet et exclusion. Il faudra revenir d'ailleurs sur cette fonction de l'ennemi, grâce à l'ouvrage récent d'Umberto Eco (Construire l'ennemi, Paris, Grasset, 2014).
Une autre question est de savoir comment s'opère cette affiliation à une identité, par exemple, nationale ? Il est clair, pour en rester à la question nationale, que cette notion d'identité rentre dans le cadre des développements des nationalismes. Le nationalisme est solidaire d'une conception de l'individu qui adhère délibérément à un programme idéologique national. Mais ce point est largement établi, notamment depuis les travaux de Benedict Anderson (L'imaginaire national, 1983, Paris, La Découverte, 1996) et de Ernest Gellner. Si le projet idéologique du nationalisme provient d'une élite qui le rend adéquat à une situation sociale de tension, son degré de réussite dépend cependant de sa capacité coercitive. On sait, grâce à Victor Klemperer (Lti, la langue du III° Reich, 1947, Paris, Pocket, 2003), que la langue peut y être assimilée à la nation, par imposition d'une certaine idée de la "pureté". On sait non moins que l'on peut fabriquer une langue presque ex nihilo, à cette fin.
A l'inverse, par ailleurs, les dites crises d'identité, au sein d'une cité, relèvent d'une incapacité à prendre en charge les situations nouvelles, surtout lorsqu'elles se heurtent à des dynamiques qui défont les assignations identitaires de front.
Le thème identitaire, on le sait, n'en est pas à son premier accès public. Il revient en revanche, dans le débat, de nos jours, ceinturé par des inquiétudes vite dramatisées, par des craintes d'invasion et des fantasmes d'ennemis renouvelés, comme le montre l'ouvrage d'Alain Finkielkraut. Mais, celui qui revendique son identité, ou une identité, sait-il vraiment ce qu'il dit ou ce qu'il veut ? Certes, cela n'a de sens que s'il affirme simultanément sa crainte du changement ou s'il refuse d'être la proie d'un quelconque changement. La vulgate identitaire ne peut procéder autrement, elle doit en passer par là. Faute de quoi, elle ne peut tenir très longtemps.
Mais justement, comment a-t-on posé le problème de l'identité en Europe, pourquoi et à quelle échelle ? Car ce problème peut aussi bien se concevoir à l'échelle de l'individu, du groupe, qu'à l'échelle de la nation.
Vicent Descombes tente de mettre au jour l'idiome de l'identité. Dans ce dessein il faut en passer par les Grecs, et la volonté de poser un monde immuable, un cosmos, expressément défini par son identité et son immuabilité (formule transcendante de l'organisation du monde naturel et humain). Néanmoins, les Grecs avaient d'autres atouts dans leur jeu : la constitution d'une cité, selon Aristote, ne définit pas d'abord une identité - même si elle est loin d'en être exclue - mais la manière de muer un agrégat de voisins en une communauté dont l'objectif réside dans la capacité à réaliser une conception partagée du bien commun, impliquant la décision des citoyens, et leur capacité à faire entériner cette conception par les voisins.
Mais on peut prendre le problème à l'envers. A partir des "défauts" d'identité. Qu'appelons-nous, en effet, une "crise d'identité" ? Vincent Descombes, encore, montre comment le psychanalyste Erik Erickson a élaboré ce concept à partir du soin donné aux jeunes vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Cette crise d'identité correspond à un conflit entre l'idée que ces jeunes soldats s'étaient faite d'eux-mêmes et les attentes de la société à leur égard. Entre les deux, il y avait choc, puisque les attentes de la société leur semblaient soudain exorbitantes. Ce conflit est d'autant plus accentué que la société moderne revendique les identités, du point de vue de la police : depuis la carte d'identité jusqu'à la nomination. Alors que chacun croit pouvoir se forger une identité profonde, différente de l'identité légale. Ce double processus de constitution des identités a été repensé par la sociologie interactionniste, lorsqu'elle a cru pouvoir définir l'identité personnelle comme le résultat d'une négociation entre l'identité objective et l'identité subjective. Bref, on ne sort du cadre assigné de l'identité, sur lequel Pierre Macherey insiste à juste titre pour le démonter.
Or, ce cadre a, de surcroît, une efficacité politique. Michel Augier y revient longuement. La frontière qui délimite deux groupes (sociaux ou nationaux) est moins une ligne de démarcation que l'espace de passage par lequel la communauté politique s'institue, parce qu'elle y fixe la place de l'ennemi. L'étranger est bien cet autre qui "me" permet de faire exister "mon" identité, en la clôturant sur elle-même, par rejet et exclusion. Il faudra revenir d'ailleurs sur cette fonction de l'ennemi, grâce à l'ouvrage récent d'Umberto Eco (Construire l'ennemi, Paris, Grasset, 2014).
Une autre question est de savoir comment s'opère cette affiliation à une identité, par exemple, nationale ? Il est clair, pour en rester à la question nationale, que cette notion d'identité rentre dans le cadre des développements des nationalismes. Le nationalisme est solidaire d'une conception de l'individu qui adhère délibérément à un programme idéologique national. Mais ce point est largement établi, notamment depuis les travaux de Benedict Anderson (L'imaginaire national, 1983, Paris, La Découverte, 1996) et de Ernest Gellner. Si le projet idéologique du nationalisme provient d'une élite qui le rend adéquat à une situation sociale de tension, son degré de réussite dépend cependant de sa capacité coercitive. On sait, grâce à Victor Klemperer (Lti, la langue du III° Reich, 1947, Paris, Pocket, 2003), que la langue peut y être assimilée à la nation, par imposition d'une certaine idée de la "pureté". On sait non moins que l'on peut fabriquer une langue presque ex nihilo, à cette fin.
A l'inverse, par ailleurs, les dites crises d'identité, au sein d'une cité, relèvent d'une incapacité à prendre en charge les situations nouvelles, surtout lorsqu'elles se heurtent à des dynamiques qui défont les assignations identitaires de front.