Christian Ruby
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Race : Le terme « race » a une longue carrière derrière lui, et il importe de ne pas confondre les usages, d’autant que désormais le racisme qui peut en découler tombe sous le coup de la loi, dans les démocraties (en France, loi du 29 juillet 1881, loi n°72-546 du 1er juillet 1972,...).
Les Grecs conçoivent trois races (or, argent, bronze). Elles distinguent les dieux, les demi-dieux et les hommes, quoiqu'ils soient aussi « racistes » vis-à-vis des barbares.
L’usage moderne et discriminant, pseudo-scientifique, de ce terme a une spécificité : il induit que les humains sont divisés en races et que, de la « race », prétendument émanée de la nature sous forme d’une fatalité génétique, on pourrait tirer des considérations hiérarchisantes sur les moyens intellectuels des humains, puis des conséquences identiques sur les cultures, classant alors les races en supérieures/inférieures, épanouies/dégénérées ou décadentes.
En lien avec son usage au XXe siècle, ce terme, qui n’est pas un concept, ne devrait plus guère avoir d'emploi de nos jours. En tout cas, il n'en a plus sur le plan scientifique, au pire il garde un rôle politique, mais un rôle de police politique, discriminant, y compris dans la vie quotidienne (même s’il se masque derrière une certaine euphémisation : on traite l’autre comme un « dégénéré », « il sent mauvais »,...).
Cf. aux sources philosophiques du racisme moderne : Joseph Arthur de Gobineau, Essai sur l’origine des races humaines, 1853, Paris, Belfond, 1967 ; Claude Lévi-Strauss, « Race et culture », 1971, in Le regard éloigné, Paris, Plon, 1983 ; Pierre-André Taguieff, La force du préjugé, Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte, 1987.
Racisme : Il convient d’éviter d’annoncer constamment que le racisme correspond à la peur de l’autre. Le racisme est intimement corrélé à la question de l’identité et la conception de l’identité de soi. Par conséquent, le raciste est moins la personne qui a peur des autres que celle qui a peur de soi, c’est-à-dire de sa propre mise en mouvement, devant la question que lui pose l’autre. Il devrait alors abandonner son « identité » supposée. C’est l’idéologie identitaire qui est responsable du racisme.
Race et culture : D’autant que, du point de vue des connaissances et des raisonnements, il n’est aucun rapport entre race, si on maintient le terme (ce qu’on ne devrait même pas faire) et culture. Une appartenance quelconque à un trait physique n’a pas d’incidence sur la culture.
À ce sujet, la question centrale devrait être de savoir pourquoi et comment ce regard racial/raciste s’est constitué. Comment il a forgé les préjugés illégitimes concernant la différence des « races humaines », la corrélation immédiate entre une « race » et le crime, et le lien entre « race » et cultures supérieure/inférieure,... ?
Au XVIIIe siècle, Immanuel Kant (1724-1804) analyse le concept de race et les usages légitimes qu’on en peut faire (dans les articles : Des différentes races humaines, 1775 et La définition du concept de race humaine, 1785). Il veut d’emblée se protéger contre les jugements illégitimes concernant la différence des races, la corrélation immédiate entre une « race » et le crime, par exemple. D’où la question : quelles différences entre les hommes sont incluses dans le concept de race ? Qu’est-ce qui se transmet héréditairement de façon infaillible ? La réponse de Kant est radicale : rien d'autre que la couleur de la peau ne se transmet de façon infaillible. L’usage du concept de race, ajoute-t-il, n’est donc légitime que pour parler de certaines distinctions physiques. Toute autre utilisation est proscrite. De la race, on ne peut déduire aucune forme de sensibilité déterminée, ni un caractère, ni un degré d’intelligence. Que sont les races humaines ? Elles sont les différentes possibilités d’une seule et même humanité, qui existent toutes en elle, mais se développent différemment selon les climats. Il n’y a par conséquent pas de race privilégiée.
Racisme culturel : Il procède du discours sur la race, et perpétue, dans l’expérience historique de la modernité occidentale, les racismes exterminateurs et génocidaires, en changeant cependant les traits du discours. Il ne s’agit donc pas d’une simple aberration aisée à réfuter (la « forêt vierge » !). Il y est question d’une politique des partages et des appels à la mise à mort de l’autre. Sachant que le racisme repose sur un discours soutenant que l’espèce humaine est divisée en races différentes, repérables par des marqueurs physiques ayant une incidence sur les capacités intellectuelles, culturelles et les mœurs, ainsi que sur la constitution de lignes de séparation et de hiérarchisation (inférieur/supérieur, inclus/exclus,...), le racisme culturel produit les mêmes effets de rejet et d’exclusion, mais cette fois en naturalisant les différences culturelles : façons de parler, styles vestimentaires, habitudes culinaires, mentalités,... et en visant à les cantonner dans des espaces sans mélanges et interférences. Ce discours repose sur de pseudo-concepts chargés de montrer que des inégalités intellectuelles se manifestent dans les cultures pour ces « raisons ». La grille culturelle de lecture de ces hiérarchisations entre les peuples a une certaine efficacité, dans la mesure où ce discours n’a plus besoin d’évoquer les « races » et croit donc pouvoir éviter les condamnations légales. Il lui suffit d’affirmer que toutes les cultures ne se valent pas, et que chaque culture doit rester dans son espace prétendument « naturel ». De ce fait, et c’est une véritable difficulté juridique, le racisme culturel renvoie à des formes nouvelles de discrimination dans lesquelles la référence aux pratiques culturelles s’est substituée à la référence à la couleur de peau.
Cf. Michel Wiewiorka (dir.), Racisme et modernité, Paris, La Découverte, 1993.