Arts et Culture : naissance de revuesLe Spectateur européen
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Deux nouvelles revues consacrées aux idées, à la culture et aux arts sont annoncées dans les librairies : aux Editions La Découverte/Médiapart, la Revue du Crieur (3 numéros par an) ; aux Editions de L’Attribut, Nectart (semestrielle). Comment ne pas célébrer ces deux arrivées dans le champ de la réflexion culturelle, alors que les problèmes s’y multiplient ? Elles contribuent justement à envisager une manière de répondre à la « crise de la culture » par la multiplication des réflexions, des analyses et des enquêtes grâce auxquelles prendre de la hauteur et envisager éventuellement des avenirs moins sombres.
Voici quelques détails sur la première revue arrivée sur le marché de la lecture, la Revue du Crieur, ainsi nommée parce que les logos de Médiapart et de La Découverte, pour ceux qui les regardent de près, contiennent des vignettes de crieurs de journaux (voir aussi le site www.revueducrieur.fr). On pourrait d’ailleurs étendre légitimement l’exercice ainsi imagé en convoquant l’aspiration, dans la période en cours, à affronter les affaires artistiques et culturelles en criant haut et fort la nécessité de ne pas se soumettre au prêt-à-penser culturel, et donc de réveiller un monde dont la propension à la soumission volontaire, par connivence ou obéissance, est assez caractéristique.
En rapport étroit avec les choix des thèmes et des angles d’attaque, parfaitement manifestes dans ce premier numéro de la Revue du Crieur, on retiendra l’idée suivante : il est temps de réfléchir au monde contemporain à partir d’enquêtes plutôt qu’à partir d’éclats médiatiques. Chaque article procède par conséquent de la volonté de donner corps au propos portant sur les arts et la culture, non pas à partir de diatribes, mais à partir de la mise au jour du rapport entre les œuvres (citées et commentées) et les structures sociales (contexte, sphère intellectuelle, artistique, etc.) et matérielles (éditoriales, médiatiques) qui les suscitent, les portent ou les diffusent.
Ainsi en va-t-il des enquêtes portant sur la pensée de Marcel Gauchet et de Michel Onfray. En les rangeant sous le titre du « consensus conservateur », ce n’est pas – heureusement - le mépris qui domine à leur égard, mais au contraire la recherche d’une compréhension approfondie de deux œuvres qui à la fois se saisissent de questions essentielles - les caractéristiques les plus spectaculaires du monde moderne, les graves menaces auxquelles nous serions exposés et la montée de toutes sortes de tyrannies - et les vouent à des recettes qui passent plutôt par des formules bien senties que par la réflexion pointilleuse (le relevé des « erreurs » dans les ouvrages de Michel Onfray est déjà bien diffusé). A propos de ce dernier on peut se demander – en marge de l’idée positive d’université populaire – si l’athéisme finalement ne remplit pas la même fonction qu’une religion.
En complétant ces articles par des enquêtes portant sur les rapports de Google et de la presse, sur le déploiement des théories du complot (les Illuminati), et sur la surveillance telle qu’elle est pensée par la NSA, le lecteur est non moins convié à se poser des questions sur la formation de l’intérêt esthétique dans le monde contemporain, sur les liens entre les entreprises et les arts, sur les fonctions du divertissement, etc. On regrette, à cet égard, que l’article précis portant sur l’art et l’argent – même si parfois les propos sont un peu banals -, dans les conditions contemporaines du développement de la sphère artistique, ne soit pas signalé en couverture, car il mérite d’être discuté et sans doute complété, surtout en ce qui concerne les artistes qui s’opposent à ces déploiements.
En ce qui concerne ce premier numéro – prometteur -, on pourrait dire en effet qu’il laisse osciller trop souvent son propos essentiellement autour d’une rhétorique de la catastrophe (intellectuelle chez les penseurs analysés, institutionnelle ou politique chez les entrepreneurs cités). Ce numéro s’efforce encore peu de déceler dans le présent des significations politiques nouvelles, susceptibles de favoriser des écarts avec les conceptions de l’histoire induites chez les uns ou les autres (le paradis ou l’enfer). De même qu’il n’explore pas suffisamment ce qui, dans les sphères de l’art et de la culture, contredit les faits relevés, et ouvre de nouveaux horizons.
Après avoir signalé la parution de la Revue du Crieur (Médiapart/La Découverte), nous voici à même de rendre compte de la parution d’une deuxième nouvelle revue concernant les arts et la culture. Elle s’intitule Nectart (Editions de l’Attribut), soit : Nouveaux Enjeux dans la Culture, Transformations Artistiques et Révolution Technologiques. Sous la direction d’Eric Fourreau, un comité de rédaction (Pascale Bonniel-Chalier, Jean-Gabriel Carasso, Jean Hurstel, Serge Saada, Emmanuel Wallon, ... désolé de ne pas citer chacun) contribue à souhaiter faire de cette revue un instrument d’observation et d’analyse de l’actualité culturelle nationale et internationale, et surtout un instrument pluriel (diversité des signatures), transversal (culture, arts, technologies), de débats. La revue n’exclut par les controverses (on le montrera ci-dessous), prolongées sur le site Internet (revue-nectart.fr).
La lecture du numéro 1 de Nectart alimente largement et avec pertinence la réflexion. On met peu de temps à saisir la qualité des articles, à apprécier l’acuité des regards proposés sur les arts et la culture, à s’approprier aussi des résultats d’enquêtes à partir desquels les analyses sont conduites. Les interrogations à partir desquelles les rédacteurs ont été contactés sont bien celles de l’époque (un événement, une loi, un propos), même s’il est parfois nécessaire de se méfier de trop coller à des thématiques fabriquées par certains médias (le bouleversement du paysage culturel, l’art devenu trop sage, ...). Le risque est tout simplement de répéter, quoique à une autre échelle, ce que tout le monde entend déjà partout.
Ce premier numéro s’ouvre par un entretien avec un invité : le psychiatre Boris Cyrulnik. Interrogé sur la résilience dans l’art, il répond pourtant surtout à la question des fonctions de la représentation dans la formation psychique. En quoi, il reste sur son terrain, ce qui lui permet de rendre son propos habituel plus accessible.
La rubrique Enjeux culturels réunit six articles construits à partir des questions de politiques culturelles : la compétition mondiale autour de la construction des nouveaux musées (Beaubourg, comme paradigme, et Bilbao-Guggenheim comme terrain d’extension, par Marc Terrisse), la question des territoires relativement aux lois récentes (par Emmanuel Wallon), les intermittents, à quoi s’ajoute une interrogation sur la place de la culture dans le régime Hongrois actuel (plus factuel que conceptuel). Chacun article se donne bien pour tâche de partir d’une actualité, puis alimente le débat avec des données, enfin expose le parti pris de l’auteur.
Dans le même dossier, on notera deux articles plus originaux.
Le premier est un article portant sur les droits culturels (Farida Shaheed). Il a le mérite de résumer les principes généraux conçus au niveau mondial (Unesco et Déclaration universelle des droits de l’homme), mais manque sans doute d’une réflexion plus concrète, notamment, sur le projet de loi portant sur la création artistique en cours d’élaboration en France (à discuter d’urgence), sur le concept de « droits culturels » (fort débattu en particulier en Belgique), voire sur les conventions européennes (mises à la question en Allemagne). Le second n’est pas à proprement parler un article, il s’agit plutôt d’une controverse fort intéressante portant sur « Une politique culturelle basée sur l’offre ou sur la demande ? ». Les deux protagonistes (Jean-François Marguerin/Olivier Babeau) déploient leur propos face à face sur plusieurs pages de la revue, ouvrant ainsi simultanément l’esprit du lecteur à ladite controverse.
La rubrique Transformations artistiques donne à lire une étude importante sur les séries télévisées et leur accession progressive au panthéon de l’art majeur (c’est évidemment une interrogation). Cet article rejoint toute une série d’autres articles de ce type, publiés dans les magazines ces derniers temps, comme si une inquiétude sourde devait peser sur les programmes télévisuels de la rentrée prochaine. La sociologue Anne Gonon tente une synthèse concernant l’art urbain. Cette dernière est classique, mais manque d’éclaircissements sur l’usage des concepts, l’espace urbain n’étant pas nécessairement identique aux lieux publics et ces derniers ne pouvant être confondus avec l’espace public. Confusions très courantes en France, alors que nos voisins Britanniques, Allemands et Italiens s’acharnent à juste titre à distinguer ces registres d’analyse.
Enfin, la rubrique Révolution technologique reprend le dossier Netflix, Deezer, Spotify, Amazon... sous l’idée d’une « impossession culturelle », ce qui, après tout, introduit un nouveau concept dans le débat.
Pour donner aux futurs lecteurs encore une précision, indiquons que ces deux nouvelles revues procèdent de typographies assez proches et de mises en espace qui sont typiques de l’époque. Ce qui ne peut qu’encourager leur approche par des lecteurs aux habitudes culturelles récentes.