20160201

Cinq verbes

Cinq verbes (en français) pour un premier ministre
Frédéric Darmau
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Suite à quelques discours politiques mêlant « comprendre », « justifier » et « pardonner » sans aucune rigueur, sinon dans une volonté de légitimer les décisions du pouvoir d’État - Manuel Valls, « expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser » -, il nous a paru nécessaire de rappeler quelques données lexicales. Des conséquences politiques s’ensuivent évidemment.

- Comprendre (verstehen) : (différencier de « expliquer »). Provient du latin : com-prehendere : saisir ensemble. Autrement dit, comprendre est un acte intellectuel qui vise à identifier ce qui nous fait face, puis à faire entrer dans un concept ce qui n’y était pas, et enfin à l’assimiler. Comprendre ramène le disparate à l’unité, identifie les régularités. Depuis la distinction entre comprendre et expliquer, la compréhension se situe du côté de la signification (d’un geste, d’un comportement, d’une phrase, etc.). Il s’agit d’énoncer les raisons d’un phénomène.

- Expliquer (erklären) : Noter le « ex- » et le radical « pli » (latin : ex-plicare) : mettre les causes en évidences. Expliquer, c’est déplier un phénomène afin de mettre en évidence la cause ou les causes dont il résulte. Depuis que la distinction entre compréhension et explication est devenue opérante, l’explication renvoie plus précisément aux phénomènes qui relèvent de mécanismes cause/effet.

- Justifier (wegen, weil) : Le terme a plusieurs usages, mais son radical renvoie à l’idée de « rendre justice à... », ce qui ne signifie pas déclarer positif tel ou tel phénomène. Justifier peut consister à s’obliger à dégager les raisons du phénomène à l’encontre des opinions fausses. Mais il est vrai que « justifier » peut signifier aussi : tenter d’avaliser. Enfin, en d’autres domaines, justifier peut relever d’un jeu d’argumentation : cf. par exemple John Rawls (Théorie de la justice, 1971) : « la justification est une argumentation qui s’adresse à ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, ou à nous-mêmes quand nous sommes de deux avis différents. Elle suppose une opposition entre les conceptions des personnes, ou bien à l’intérieur d’une même personne, et cherche donc à convaincre les autres, ou nous-même, du caractère raisonnable des principes sur lesquels nos revendications et nos jugements sont fondés ».

- Légitimer (legitimieren) : donner des justifications universelles à des intérêts particuliers. Procédure de persuasion (d’intériorisation de la norme), fonctionnant à la croyance, par laquelle un pouvoir fait reconnaître son autorité et conquiert l’adhésion à l’égard de ou l'obéissance envers ses prescriptions. Cette procédure tente d’imposer un droit en rapport avec un fait. Elle a pour effet sur le pouvoir de l’entretenir ou de le reproduire. Elle a la forme d’actes, de cérémonies, de discours du pouvoir, etc. Et elle doit être constamment réveillée, rendue visible ou renouvelée, pour être efficace. Distinguer de légitimité. La légitimation est la procédure d’établissement et de justification, fut-elle fictive, de la légitimité. Elle cherche à obtenir qu’on y croit. Le plus souvent, il y a légitimation nécessaire justement parce qu’il n’y a pas de légitimité. Ainsi Max Weber distingue-t-il trois modes de légitimation : par la tradition, par le charisme et par le caractère rationnel attaché à la loi.

- Pardonner (vergeben) : Le pardon, qui répond à la question de savoir comment répondre à la faute, est, comme le veut la composition du terme, un don, il est acte d’amour et ne vise jamais la réparation du mal (pas plus qu’il n’efface le mal commis ni n’excuse (ex-cuse : met hors de cause un fautif) quelque action). Il vise à libérer de la haine, du ressentiment, et de la vengeance. Le pardon s’inscrit dans une logique qui échappe à l’échange et à la réciprocité (en quoi il est parfois surprenant). Il ne rentre pas dans le calcul des peines caractéristique de la justice positive. On peut le renvoyer à l’essence divine, mais aussi à une possibilité humaine (Hannah Arendt, Jacques Derrida), il se fait alors corrélat de la possibilité de juger (car l’octroi du pardon suppose la responsabilité du méchant), mais échappe en même temps à la justice parce qu’il affirme une valeur d’« inconditionnalité non négociable », on y consent à la perte mais en donnant plus qu’il n’est dû. Enfin, le pardon dépend de la capacité à inscrire l’action humaine dans la durée : l’agent moral coupable peut s’amender.