Vœux pour l’Europe demain : Cessons de nous lamenter
Christian Ruby
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Il semble bien que pour l’année 2017, que nous souhaitons heureuse à chacun, nous aurons besoin de tous les vœux que l'humanité s'adressera à elle-même. Il faut sans doute privilégier dès maintenant nos capacités de solidarité. Ne cédons pas aux vaines dénégations. Apprenons plutôt, rapidement, à recoudre les déchirures du monde en lui prêtant un langage de sens qui puisse fournir à tous les séparés un référentiel commun.
Concernant l’Europe (pas nécessairement l’UE), quel propos opposer aux discours anti-européens (anti-UE), dont la teneur, dangereuse, mais assez passe-partout – la rhétorique de la dénonciation (qui n’en est pas la critique) des élites tenue par des héritiers, le lieu commun de l’anti-système encouragé par les tenants du système, la défense de son « moi » par l’anti-immigration,... – ne cesse de renforcer les craintes des uns et les désespoirs des autres ? La dissociation entre EU – dont la fonction quintessencielle tient dans un mécanisme de transfert en tous domaines de la logique du capitalisme – et Europe (l’idée d’une autre formation) ne suffit plus à emporter la conviction. Alors comment rebondir, d’autant que contrairement à une autre idée reçue, les électeurs ne sont pas bêtes – sauf pour les populistes qui se substituent à eux –, ils visent leurs intérêts, mais justement, seulement leurs intérêts immédiats ?
Sans doute, la tentative de dissociation EU/Europe est-elle prise dans un schéma trop négatif : l’Europe ne correspondrait donc ni à l’UE, ni à la mondialisation, ni au règne uniforme de la technique,... Mais comment adhérer à une option purement négative ? Il est particulièrement insatisfaisant de définir un projet socio-politique en insistant sur ce qu’il n’est pas.
Il faudrait par conséquent faire revenir au premier plan une Idée d’Europe dessinant positivement un espace de rencontre et de dialogue avec tous les « autres », de diversification assumée dans la solidarité et la perspective d’un universel concret. C’est donc d’un espace fictionnel mobilisateur dont nous parlons pour demain, de l’idée d’un espace, suffisamment puissante, pour enrayer les machineries négatives, nous émanciper des grammaires de la dénonciation, déplacer les frontières, muer l’ennemi d’hier en adversaire d’aujourd’hui, fustiger la violence pour mieux faire droit aux écarts et aux oppositions.
Il est presque superflu de souligner que cette Europe jouirait alors du privilège de pouvoir accueillir tous les humains qui veulent substituer l’esprit d’archipel aux agrégats chaotiques qui maintiennent les servitudes. Il n’est nullement nécessaire de rechercher une norme uniforme pour toutes choses et situations. Cela n’implique pas que rechercher des accords, dans les écarts assumés, soit voué à l’échec. Au contraire. Mais ce n’est qu’en partant de la diversité qu’il est possible de trouver des convergences, y compris en subvertissant les ordres normatifs ou en construisant de nouveaux écarts dans l’espace public, susceptibles de rendre justice aux possibles construits au cœur des relations interhumaines.
À l’opposé de ceux qui croient que l’unité est première et que tout écart se fait dégradation, déclin ou disparition, ce qui consiste à enferme l’unité dans sa morbidité, nous affirmons que le divers est premier et doit être maintenu dans son ouverture à tout autre.
Au demeurant, dès lors que les européens se déferont de l’illusion d’être arrivés à la fin de l’histoire - illusion à laquelle nous devons probablement pour une part le retrait de nos contemporains hors du champ politique - et qu’ils deviendront sensibles aux nouvelles formes d’engagement critique qui se déploient ici ou là à l’encontre de décisions qui ne sont jamais discutées publiquement, la préoccupation philosophique de l’Europe redeviendra centrale.
A nos yeux, l’Europe est très précisément le lieu d’une tâche infinie, une manière d’explorer sans cesse les règles envisageables parce que discutables de l’existence (et non des normes uniformes) afin de doter de formes légitimes les rapports entre les humains, et sans doute, aujourd’hui encore, l’un des lieux d’expérience privilégié des réponses aux questions concernant les modalités de l’unité sociale et politique.