Christian Ruby
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Autour de 6 ouvrages parus ces derniers mois, l’auteur brosse un tableau des travaux portant sur la culture, en Europe et dans le monde. Ce tableau permet de réfléchir à la condition qui est faite à la culture dans le cadre européen, mais en prenant pour cadrage les industries culturelles et les résistances que suscitent leurs produits.
Es gibt Dinge, die lassen sich auch mit Zahlen nicht erklären. Zum Beispiel : Kultur. In diesem Beitrag, einige Bücher des Jahres über Kultur. Sie erweisen sich zielsichere Abrechnung mit einem gesellschaftlichen Trend.
Son aylarda yayimlanan 6 kitabi ele alarak, yazar Avrupa'da ve Dunya'da kulturle ilgili gerceklesen calismalari yorumluyor. Bu yorumlar Avrupa'da kulturun yerini tartmak acisindan son derece onemli.
Referencing 6 books published in the past 6 months, the author highlights the tasks accomplished focusing on culture in Europe and in the world. This depiction places in perspective not only the state of culture in the European context, but also links culture to the cultural endeavors and resistances generated by its development.
L’autore offre una panoramica dei lavori per la cultura, in Europa e nel mondo attraverso i 6 libbri che ha pubblicato negli ultimi mesi. Questa tabella viene utilizzata per far riflettere sulla condizione che è fatta per la cultura nel quadro europeo, prendendo un inquadramento adeguato; le industrie culturali e le resistenze generate dai loro prodotti.
A propos de 6 ouvrages :
- Martel Frédéric, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Paris, Flammarion, 2010.
- Schiffrin André, L’argent et les mots, Paris, La Fabrique, 2010.
- Levine Lawrence w., Culture d’en haut, culture d’en bas, L’émergence des hiérarchies culturelles aux Etats-Unis, Paris, La Découverte, 2010.
- Reuzé Sébastien, Numéristique, Bruxelles, La Lettre volée, 2009.
- Mondzain Marie-José, Une société sans art et sans culture, vidéo, Cassandre, 15 juin 2010.
- Comolli Jean-Louis, Cinéma contre spectacle, Paris, Verdier, 2009.
Commençons par relever l’épaisseur d’une atmosphère : l’heure est manifestement à la gravité ! Au pessimisme sans doute aussi, concernant la culture et son devenir actuel. Mais, comme nous allons l’observer, si le constat semble étrangement semblable, à quelques nuances près qui tiennent souvent aux terrains d’exploration choisis, les conséquences qui en sont tirées ne sont pas du tout identiques.
La situation est donc grave, parce que nous sommes dans une société qui ne se contente plus de commencer à transformes la culture en une marchandise (Adorno, Arendt, Benjamin, ...), mais qui tourne à plein régime à partir du déploiement des industries culturelles (Stiegler, Schiffrin, Mondzain, ...). Le consumérisme planétaire développé, sur le modèle US, fait des industries culturelles le bras armé du contrôle du comportement, pour le soumettre au rythme propre des changements de la spéculation. Et pour faire fonctionner l’ensemble, non seulement la culture se développe sous mode de service commercial (Mondzain), mais encore les oeuvres sont formatées à partir de modèles de référence (Martel) et les maisons d’édition, par exemple, sabordent les livres difficiles et les traductions parce que ce ne sont pas des ouvrages rentables (Schiffrin).
La victoire du commerce dans le domaine culturel est le point commun de ces ouvrages et le point pivot de ces pensées. Au rythme actuel des mutations, nous ne sommes pas uniquement condamnés à vivre dans une société de profit, nous vivons aussi dans une société qui ne construit plus ses liens que par le commerce et le profit. Nous ne sommes plus que les clients du monde que nous partageons. Situation qui s’achève en obsolescence du monde lui-même depuis que la culture circule sous les mêmes règles que toutes les autres marchandises. Et pour aller plus loin encore, on peut dire que la commercialisation de l’éducation et de la culture finit par abolir la vie politique, qui elle aussi a besoin, pour être pleinement politique, de repose sur une culture vivante et vivifiante, une culture qui est la condition même de débats dans la société, qui permet la circulation de la parole et est la condition même de l’invention et de l’interférence entre les citoyennes et les citoyens.
Tout cela semble confirmé par l’enquête minutieuse conduite auprès des grands groupes commerciaux producteurs de la culture commerciale (mainstream). « Mainstream », parce que « dominante », « grand public ». « Mainstream », de ce terme qu’on emploie généralement pour un média, un programme de télévision ou un produit culturel qui vise une large audience (Martel). »Mainstream » encore parce qu’elle transforme le spectateur en touriste, le lecteur patient en lecteur impatient et réducteur, ... (Reuzé).
L’art le plus ambigu de ce point de vue, puisque lors de sa réinvention par Hollywood, il avait déjà subi des mutations ; cet art ambigu donc qu’est le cinéma n’arrive plus à masquer sa propre dérive vers le commerce (Comolli). Le spectateur ne plonge plus dans une expérience subjective au fond même de la salle obscure. Il se retrouve devant des oeuvres qui n’ont plus d’autre fonction que d’homogénéiser les réalités du monde. Il s’est mué en spectacle. Et le spectacle a gagné et le monde est livré à l’omniprésence visuelle et sonore du marché. L’hégémonie du spectacle généralisé façonne notre regard et colonise notre pensée. La victoire du visuel fabrique des spectateur abandonnés à leur cécité, et ne laissent sur le champ de bataille que des simulacres d’images servant à masquer la complexité du monde.
Le moins désespéré sans doute est André Schiffrin (le moins seulement). Certes, pour lui la situation est grave. On ne peut plus publier les livres qui sont essentiels, les livres difficiles, ou les traductions. Dans les maisons d’édition en effet, la structure de la décision a changé. Désormais ce ne sont plus les éditeurs cultivés qui décident quoi que ce soit, ce sont les commerciaux qui décident. Ils ne se demandent plus si le livre est important. Ils se demandent quel est le marché de référence. Pourtant, ajoute Schiffrin, on voit se développer de nombreuses nouvelles maisons d’édition qui montrent non seulement qu’on peut résister à la situation en cours, mais encore que des structures viables de publications culturelles sont encore envisageables. Il est donc question ici des librairies indépendantes, ainsi que des pays qui ont su promouvoir des modèles culturels marginaux par rapport au modèle mondial dominant (la Norvège).
Il reste que, au terme de la lecture approfondie de ces ouvrages ou de l’audition de ces prestations publiques des auteurs cités ci-dessus, on est en droit de se demander plusieurs choses.
- Ce pessimisme résulte-t-il d’analyses du réel, ou guide-t-il ces analyses ?
- Dans quelle mesure est-il impossible de dégager des affirmations différentes, en matière de culture, de cette description d’un monde si formaté ?
- Le développement des industries culturelles ne donnent-ils pas lieu à des contradictions qui pourraient être mieux relevées ?
- Est-ce que le présupposé d’une perspective différente n’est pas bridée dans ces propos par la visée d’une révolution à venir, alors que cette condition n’est peut-être pas la plus propice à des transformations ?
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