Josette Delluc
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Throughout the year, the Louvre museum exposes a “painting of the month” selected from its collection and accompanied by a reasoned argumentation. For the month of November 2011, the issue highlighted was that of the relationship between technique and creation, presenting us with the opportunity of considering the question beyond the scope of the museum and broadening it to the realm of photography.
Durante l’intero anno, il museo del Louvre espone un "quadro del mese", scelto tra le sue collezioni ed accompagnato da una presentazione critica. Per il mese di novembre 2011, la problematica proposta è quella del rapporto tra la tecnica e la creazione. Ci è data l'opportunità di considerare l'argomento al di là del quadro cronologico del museo e di allargare le nostre interrogazioni alla fotografia.
Au long de l'année, le musée du Louvre expose un « tableau du mois » choisi parmi ses collections et accompagné d'une présentation raisonnée. Pour le mois de novembre 2011, la problématique proposée est celle du rapport entre la technique et la création, l'occasion nous est donnée d'envisager le sujet au-delà du cadre chronologique du musée et d'élargir le questionnement à la photographie.
Réalisée au milieu du XVIe siècle, l'œuvre de Daniele da Volterra : Le combat de David et Goliath est placée dans la Grande Galerie. Peinture particulière parce qu'elle est constituée de deux variantes, l'une au recto et l'autre au verso d'une ardoise (1), mais aussi parce que au delà de l'épisode biblique elle illustre la lutte entre peinture et sculpture. Cette comparaison, Paragone, est au cœur du débat théorique de l'esthétique dans l'Italie de la Renaissance et porte sur la question de la supériorité supposée d'un mode de représentation, établissant une rivalité entre peinture, sculpture et architecture.
L’impératif à la Renaissance, rappelle Erwin Panofsky (2), était « la ressemblance avec la nature ». En effet, la maîtrise de l'anatomie obligeait à faire voir veines et artères, et celle de la perspective entraînait à exprimer volume et espace. L'aura de la peinture semblait devoir être estompée face à la nécessité de relief. Alors, Daniele da Volterra choisit un support de pierre pour offrir le matériau tridimensionnel de la sculpture à la peinture. Peinture qui estime-t-il, grâce à ses couleurs, est supérieure à la sculpture monochrome.
Comme David l’emporte sur Goliath la peinture gagne son combat sur la sculpture.
Guillaume Kientz et Charlotte Guinois émettent une proposition malicieuse : cette représentation de l’action en deux temps pourrait laisser voir « une peinture en mouvement » et préfigurerait le cinéma (3).
Quant à nous, nous nous attacherons à l’étape de l'invention de la photographie, procédé mécanique de reproduction, qui provoqua au XIXe siècle des débats presque analogues au Paragone de la Renaissance. Elle apparaît dans un premier temps, comme une technique utile, mais seulement une technique. Ainsi, cet « art moyen » (4) rend accessible à un plus grand nombre de familles la commande de portraits, encore que, pour mieux imiter les aristocrates, la petite bourgeoisie souhaite des photos-peintes, moins coûteuses qu’une toile elles font illusion.
Les peintres, pour leur part, trouvent en la photographie l'instrument qui permet d'amasser des documents préparatoires à de futurs travaux comme des paysages ou des études de nus (5).
Ainsi dans un premier temps la photographie appréciée comme moyen d'enregistrement ou de reproduction n'est pas reconnue comme un art.
Pourtant photographie et peinture vont se rapprocher. Camille Corot apprécie la technique du « cliché-verre » : il dessine sur une plaque de verre enduite de collodion, le motif est ensuite révélé sur du papier photographique. Cette méthode entre dessin, gravure (6) et photographie offre, selon lui, une grande liberté de trait (7).
Pendant longtemps peinture et photographie se lancent des défis. Le Pictorialisme à la fin du XIXe-début du XXe siècle démontre que la lumière non seulement impressionne la plaque, mais qu'elle peut-être modulée comme de la peinture pour offrir la matière floue chère aux Impressionnistes. Inversement dans les années 1960, par le dessin, la peinture et même la sculpture les Hyper réalistes imitent l'aspect figé et glacé d'une épreuve photographique.
Déjà au XIXe siècle, le travail de Gustave Le Gray sur la lumière et la poésie des ruines de John B. Greene produisaient des images remarquables, puis, avec le Dadaïsme et le Surréalisme la créativité des photographes est, définitivement, devenue incontestable. Les recherches de Man Ray, les photomontages de Raoul Ubac attirent Max Ernst ou Hans Bellmer qui adhèrent à cette technique devenue art.
Ni vainqueur ni vaincu, David et Goliath sont devenus partenaires si ce n’est amis.
La photographie est omniprésente aujourd'hui, elle couvre les murs, les pages de journaux et magazines, elle est exhibée sur les réseaux sociaux, exposée dans les galeries et institutions culturelles et participe au marché de l'art. Pour réfléchir à sa place dans l'art contemporain, il est tentant de rapprocher les œuvres, pourtant singulières, de deux photographes. Le travail de Cyprien Gaillard : Géographical analogies, constitué de montages photographiques élaborés depuis 2006, est exposé au Musée National d’Art Moderne du 21 septembre 2011 au 9 janvier 2012. Les vidéos de Pierre Reimer « des images pour la musique de Mark Andre » ont été projetées à l'Opéra Bastille le 9 novembre 2011. Le fait est inhabituel, ici la musique n'est pas au service du film comme dans l'industrie cinématographique, au contraire Pierre Reimer admiratif de la musique de Mark Andre entreprend de rechercher des images qui accompagneraient Modell en 2006, puis hij en 2011.
Pour décrire ces deux œuvres, abordons leurs concordances.
En premier lieu, nous notons que leur construction est organisée selon une structure géométrique. Cyprien Gaillard inscrit ses assemblages photographiques dans une composition en losange, selon des diagonales directrices qui peuvent rappeler la période du Constructivisme soviétique : Dziga Vertov ou Alexandre Rodchenko. Quant à Pierre Reimer, il atteint presque l'abstraction, pour Modell : lignes entrecroisées, carrés de couleurs, verticales et horizontales, telles des histogrammes, traduisent les variations de l'intensité musicale. Il est vrai que le contexte est scientifique, le musicien a choisi de transcrire l'explosion d'un atome dans l'accélérateur de particules du CERN. Pour les deux photographes l'absence de figure ne se conçoit pas sans la présence de l'homme. Cyprien Gaillard rend hommage aux artistes Hubert Robert et Piranèse tandis que Pierre Reimer nous entraine dans des bâtiments sinistres mais non sans vie et des paysages qui semblent vides mais non inanimés.
Une autre correspondance est importante, les deux réalisations se caractérisent par la sobriété et la retenue, aucun recours à des effets techniques, leur force est liée à l’absence de spectaculaire. Pierre Reimer se mue en artisan, dans hij qui est un « road movie musical », la caméra « acteur principal du film » nous conduit dans une voiture dont le pare-brise modifié donne un cadre aux images presque fixes qui se déroulent selon un lent travelling. Dans Modell des jouets éclairés et animés rappellent « le cirque » de Calder.
Pour sa part, Cyprien Gaillard qui apprécie généralement les formats réduits, opte ici pour le Polaroïd, chaque épreuve est définitive, brute, ne pouvant être retouchée, elle est unique et constitue une unité de la construction. La proposition semble simple, pourtant en jouant de l'équilibre et du déséquilibre, du réel et de l'imaginaire, le photographe questionne à la fois culture et création.
L'évolution de la technologie, la disparition du développement renforcent le principe de « photographie, un art moyen ». La multitude des clichés enregistrés à tout instant, n’est pourtant que « singerie », « imitation », prohibées déjà par les acteurs de la Renaissance. Ils s'inquiétaient de ce que « la ressemblance avec la nature » ne les éloigne de la création. De même, la photographie n'est pas uniquement un cliché instantané, copie du réel. C'est à l’issue d'un longue période d’élaboration, en se référant au Septième Sceau de Ingmar Bergman ou à l'Apocalypse de Saint Jean de Patmos que Pierre Reimer exprime le temps musical (8), la durée, le rythme et la sensibilité d'une pièce orchestrale. Par le choix de ses prises de vues et de leur montage, il parvient à traduire la continuité, le bruissement, les tournoiements d'une musique retenue, saccadée ou violente, il l'accompagne et protégeant sa liberté il crée son propre univers. A sa manière, Cyprien Gaillard, travaille lui aussi sur le temps, il s'agit d'une proposition différente qui repose sur les problèmes de disparition et de modification. Il entreprend de photographier villes, paysages et sites archéologiques de civilisations différentes. La collecte de ces clichés n'a pas pour objectif de reconstituer la réalité mais de façonner des mondes imaginaires. Ainsi l'accumulation de ces petites épreuves photographiques, images souvent tronquées, donne naissance à un « capriccio », l'auteur invente un univers à la Piranèse ou à la Hubert Robert.
A la suite de Man Ray, Gherard Richter, Sigmar Polke ou Jacques Monory (9), la jeune génération inscrit le travail photographique dans l’histoire de l’art. Nous avons rappelé que la photographie aussi bien que la peinture ou la sculpture sont les outils au service du projet de l'artiste et nous pouvons conclure sur l'essentiel, la question de la création. Depuis qu'à la Renaissance l'homme se détache de l'emprise religieuse, il revendique la liberté de l'esprit : « le peintre ne doit pas seulement obtenir une ressemblance totale, il doit encore lui ajouter la beauté » (10). C'est la prise de conscience de la richesse de la pensée, le fondement de l'œuvre est reconnu comme concept, l'intuition artistique est qualifiée de « génie » (11).
David peut déposer les armes pour se consacrer à la musique et la poésie.
(1) Sur une face : David vient de renverser Goliath. Sur l'autre face il a définitivement l'avantage et s’apprête à asséner le coup fatal.
(2) Erwin Panofsky, Idea, Paris, Editions Gallimard, (Tel), 2009.
(3) Le tableau du mois. Fiche n°184. Musée du Louvre.
(4) Pierre Bourdieu, Un art moyen essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1965.
(5) Delacroix favorable à la photographie travaille avec Eugène Durieu pour élaborer les poses des modèles et le décor.
(6) Le nombre d'épreuves est limité.
(7) Michel Melot, L'œuvre gravée de Boudin, Corot, Daubigny, Dupré, Jongkind, Millet , Théodore Rousseau, Arts et métiers graphiques, Paris,1978.-293 p.
(8) C'est pourquoi sans-doute le photographe préfère ici la vidéo à l'image fixe.
(9) Gherard Richter, Sigmar Polke et Jacques Monory ont lié peinture et photographie.
(10) Panofsky cite Alberti. Ibidem.
(11) Panofsky, ibidem.