Les élections, quelles qu’elles soient, et dans n’importe quel pays européen (France, Allemagne, Hongrie, Italie, … pour les exemples les plus récents), ont cela de bien qu’elles révèlent l’indifférence politique, et des politiques, à l’égard de l’Europe. Indifférence évidemment calculée, tant à l’égard de l’idée d’Europe, d’ailleurs, qu’à l’endroit de sa réalité et des engagements envers son dessin actuel contenu dans l’UE. Indifférence voulue pour mieux faire valoir le couple populisme-sauveur.
Le populisme régnant semble plier les candidats aux élections à une occupation des médias cantonnée au nationalisme. Du plus navrant au plus dangereux. Un populisme qui s’invente en un « peuple » qui n’existe pas. Un populisme qui se fait exclusion, répulsion, rejet de toute altérité au nom d’une identité qui tient plus de la ruine des activités de toute démocratie que d’autre chose. Un populisme qui, pour se répandre, invente des récits de la nation, des mythes et des fictions, qui offrent surtout des accroches sentimentales et des coalitions d’intérêts prétendant occuper tout l’espace de visibilité, du moins politique, afin d’en éloigner tout autre distribution et de faire taire les velléités de nouveaux partages. Un populisme, enfin, qui en appelle à des « sauveurs » en lieu et place de citoyennes et de citoyens.
Propagande et démagogie sont des termes encore trop faibles pour parler de ces phénomènes. Ils travaillent sur une palette assez large de paramètres politiques, esthétiques, historiques, et de storytelling. Ils forgent un imaginaire contemporain tissé autour de l’éradication de l’altérité, et pas seulement de son enfermement dans le silence. Ils peignent des mœurs et des coutumes entichées d’une gestion qui prétend faire vivre la cité immobile comme l’huître sur son rocher.
Les injustices « du sort » (de l’histoire, de la politique, de la société) y demeurent un nœud puissant de refoulement. Les vies humaines actives et industrieuses n’y voient pas leur caractère renouvelé. Les humains n’y existent, politiquement parlant, que par un habile calcul en apparence plein de droiture et de loyauté.
À son encontre, l’idée d’Europe, qui demeure encore à bâtir, forme une sorte de point stratégique également précieux aux femmes et aux hommes qui veulent faire rempart à la plus funeste immobilité de l’identité. Ouverte, accueillante, amicale, solidaire, cette idée – et les pratiques culturelles qui la représentent actuellement – se marie fort bien avec une culture diversifiée qui laisse entrer et sortir les personnes souhaitant entrer avec elle en interférence. Pour elle, renvoyer quelqu’un, c’est vouloir le perdre.
La hardiesse d’une telle idée peut-elle venir à bout du populisme ? C’est sans doute un pari à faire qui ne sied qu’à ceux qui sont décidés à opposer au « commun » populiste un autre « commun » sans cesse à ouvrir, à parfaire, à relancer, à élargir et à confronter aux autres. Cette idée répugne à soumettre les intelligences et les personnes aux grandeurs vides auxquelles il faudrait seulement obéir. Entre se soumettre à des caprices grossiers et se battre pour élaborer une nouvelle perspective, il n’y a pas à hésiter. N’étant pas réprimée par les limites de l’étroitesse identitaire, cette idée peut passer dans les mœurs, dans le regard et dans les paroles de chacun et y encourager à déplacer sans cesse les lignes de front contre toute restriction.
Elle donne à l’aventure de l’histoire un caractère spécifique qui rend aux citoyennes et aux citoyens le privilège de leurs actions.
Christian Ruby