20140402

Projet


Réflexion future sur Autorité, Domination et Pouvoir.
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Nous signalons ici un projet de rechercher portant sur Autorité, Domination et Pouvoir, conduit par Stanislas d’Ornano, Lille.


I. L’Autorité en démocratie

1. Jean-Claude Monod (philosophe, politiste): figures de l’autorité politique en démocratie représentative

La figure du chef charismatique, par ce que gouvernés et gouvernants sont désormais égaux, mais aussi parce que le charisme permet de sélectionner efficacement les dirigeants politiques et de contrôler les processus impersonnels que sont la bureaucratie et le marché, est la réponse donnée par Max Weber à la thèse rousseauiste de l’impossibilité d’un chef en démocratie. Dès lors, comment évaluer aujourd’hui le « charisme progressiste de chefs » capables de bouleverser des structures économiques et sociales tendanciellement oligarchiques et conservatrices ?



2. Katia Genel (philosophe, politiste): Les critiques de l’autorité en démocratie

L’ambiguïté du rapport de l’autorité à la contrainte a pu être appréhendée très différemment, orientant les perspectives critiques. À côté d’une l’approche irénique du pouvoir, qui dissocie chez H. Arendt l’autorité de la domination, Freud, Max Weber, les auteurs de l’École de Francfort, P. Bourdieu, la tradition politique qui de Montaigne à Derrida reconnaît l’existence d’une violence créatrice transformée en droit, ouvrent des voies multiples permettant de penser le rapport entre autorité et violence en démocratie.



II. Penser les articulations entre autorité et pouvoir

3. Michaël Foessel (philosophe): L’autorité des normes. Regards croisés entre la philosophie politique et les sciences sociales

La question centrale des normes révèle un conflit entre la philosophie politique et la sociologie à propos de leur origine et de la question du pouvoir. Postuler l’autonomie du politique conduit à considérer la loi comme fondement des normes ; poser le primat des relations sociales légitime une pure description de ses régularités. Cependant, d’une part, la sociologie dans ses différents ancrages (domination, neutralité axiologique, extériorité du fait social) révélerait aux acteurs ce qui sinon serait subi sans être compris : la dimension politique des phénomènes sociaux. D’autre part, un double mouvement venant du « terrain » dans les démocraties libérales, la politisation du social (ex. les inégalités économiques comme enjeu central, comme le montre l’engouement actuel pour les travaux de Th. Piketty) et la socialisation du politique (désirs de reconnaissance) rend nécessaire un croisement des regards disciplinaires.



4. Christian Ruby (philosophe): L’autorité et le pouvoir de l¹art sur le spectateur

Nombre d¹artistes contemporains adoptent des stratégies d¹évitement des rapports d¹autorité et de pouvoir à l¹intérieur de leur champ de référence : qu¹elles passent par la critique des institutions culturelles ou par l¹ironie à l¹égard des curateurs, ou encore par la suspension de l¹aura de l¹oeuvre, ces stratégies sont visibles. Mais il est une autorité et un pouvoir, il faudra par ailleurs les distinguer, qui sont peu soumis à analyse, ce sont ceux qui portent sur le spectateur. Comment l’oeuvre fabrique-t-elle un type de spectateur et comment celui-ci résiste-t-il à ce que l’oeuvre veut faire de lui ?





5. Yves Cohen (historien): L’oubli du pouvoir : le rôle joué par le concept d’autorité dans les sciences sociales

Le concept d’autorité, au cœur des catégories savantes mises en œuvre par les sciences sociales traduit une histoire de la rationalisation centrée sur la fonction et la bureaucratie impersonnelle, un primat de l’organisation sur l’individu, identifiables aussi bien chez Weber (dans une optique libérale) que chez Durkheim, Merton, Talcott Parsons. Or l’usage du concept wébérien/ arendtien d’autorité qui présuppose l’acquiescement des individus ne rend pas justice des résistances au pouvoir- analysées surtout depuis les travaux de Michel Foucault et Pierre Clastres- et de l’épaisseur historique du « besoin de chef », contemporain dans les années 1920 de la naissance du sujet psychologique.



6. Anne Querrien : Le pouvoir : résistance, refus, subjectivation.





III. La nature de la domination

7. Yves Sintomer (politiste): La domination chez Max Weber. Paradigme et lectures

La publication en langue française d’une édition complète des textes wébériens consacrés à la domination est un événement considérable. D’un côté, le modèle wébérien distingue le pouvoir en général (dispositif horizontal d’organisation et de gestion), la domination en général comme cas particulier de celui-ci et associée au devoir d’obéissance à une autorité, et son degré d’effectivité qui passe par la « discipline ». Mais par ailleurs, il réarticule ces éléments à travers une célèbre typologie des dominations légitimes. Ce modèle devenu paradigme en sciences humaines et sociales est cependant susceptible de lectures divergentes. Ainsi, la libre acceptation de la domination est-elle recouverte par la « cage de fer » que constitue l’orientation des raisonnements utilitaristes de la part des acteurs en régime capitaliste ?



8. Charlotte Nordmann (philosophe) : L’impuissance du dominé ?

Si le modèle wébérien présuppose l’acceptation de la domination légitime par les dominés dans le cadre d’un système de croyances, des penseurs critiques comme Pierre Bourdieu et Jacques Rancière ont cherché à ouvrir la boite noire de cette acceptation qui apparaît comme « naturelle », en considérant que comprendre le phénomène de la dépossession est une condition pour que tous puissent développer la possibilité de parler et faire de la politique. Cette première analyse comparée (2006) de ces deux approches en partie contradictoires de l’émancipation (postulat d’égalité VS déterminismes sociaux), peut être élargie aujourd’hui à un panorama plus large, incluant notamment des prolongements actuels de l’analyse foucaldienne d’une biopolitique du pouvoir.



IV. La domination est-elle résistible ?


9. Yann Moullier-Boutang (économiste): Le capitalisme cognitif est-il résistible ?

Ce troisième capitalisme, à la fois cognitif et patrimonial, créé de la valeur à travers la production de connaissances par les réseaux numériques fonctionnant comme un cerveau vivant collectif. Il se défend très bien face au monde numérique coopératif en judiciarisant le processus de démarchandisation (ex ; lois Hadopi). La communauté des citoyens en réseaux peut-elle résister à cette nouvelle forme de domination ?



10. Gilles Lipovetsky (philosophe et sociologue): Le « capitalisme artiste » n’est pas anti-démocratique

Selon le « Dilemme de Rodrick » connu des économistes, on ne peut avoir en même temps une « hypermondialisation » correspondant à une intégration toujours plus poussée des économies nationales et la démocratie, car la nécessité exclusive d’attirer capitaux et épargne se fait au détriment de la préférence démocratique pour un État-Providence stabilisateur. À l’opposé de ce constat, le « capitalisme artiste » ne détruit pas l’ordre symbolique mais en invente un autre, la victoire historique affirmée de l’Occident n’étant pas celle d ‘un contenu culturel, mais plutôt d’une forme sociale, caractérisée par la rationalité techno-scientifique, le calcul économique et les droits individuels, dont la valeur s’impose partout, y compris dans les zones et mouvements d’affirmation identitaire. Dès lors, l’esthétisation du monde et du consommateur ne prolétariserait pas celui-ci, développerait les libertés plus que l’aliénation.



11. Stanislas d’Ornano (docteur en sciences politiques): Un double obstacle à la domination absolue

Si l’on pose de façon générale que la domination conceptualise la manière dont le devoir d’obéissance et le pouvoir de commander sont combinés dans les situations concrètes d’interactions, compte tenu des ressorts qui rendent l’autorité effective, elle apparaît non-résistible et unilatérale dans l’acception marxiste, résistible mais univoque dans la version wébérienne de la «cage de fer » de l’utilitarisme, résistible sous hypothèse de liberté de l’acteur et de l’indétermination du lien social dans la sociologie des formes sociales de G. Simmel. Si l’on suit cette troisième voie, on peut mettre en relief deux obstacles à la situation de domination absolue : l’existence d’une rhétorique d’adhésion à l’État de droit des dominants et de stratégies de résistances des dominés, y compris dans des situations extrêmes.



12. Marcel Dorigny (historien) : La victoire des esclaves face à la domination coloniale (1793-1804)

La traduction récente en français de l’important ouvrage de l’historienne américaine Carolyn Fick Haïti. Naissance d’une nation, est l’occasion de revenir sur le rôle central joué par les esclaves dans le processus révolutionnaire qui a conduit à l’abolition de l’esclavage en 1793, et à l’instauration de la première république noire de l’histoire en 1804, à la fois en phase et malgré L’Europe des Lumières.