Archéologie des migrations
Christian Ruby
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Cet ouvrage rédigé par Dominique Garcia et Hervé Le Bras (dir., Paris, La Découverte, 2017) concerne d’autant plus les européens, pour ne pas dire le monde entier, qu’il ne se contente pas du dépouillement théorique de la notion de migration – ce à quoi il procède aussi – mais entreprend l’étude de nombreuses migrations de ladite préhistoire aux Grecs, des Étrusques au Bantoustan, de l’immigration scandinave à la diaspora africaine, pour ne citer que ces explorations et enquêtes conduites, ici, par des auteurs qualifiés internationaux.
Concernant la question même de la migration (définition et mise en œuvre), les auteurs de cette Archéologie des migrations soulignent que le terme est récent, en langue française en tout cas (et en dehors du cas de la migration des âmes). Mais surtout, il se heurte à un présupposé : auparavant, c’est-à-dire finalement, avant son usage récent, les grands auteurs insistent plutôt sur l’immobilité des populations, quand l’esprit nationaliste ne vient pas insister de manière assez trouble sur l’identité nationale articulée à « origine » et « population originaire ». Déjà Adam Smith, mais aussi Montesquieu, et bien d’autres, tentent de prouver que l’homme est difficile à remuer et à déplacer. À dire vrai, on se demande si ce parti pris n’est pas nécessaire dès lors qu’on veut défendre l’idée d’une extension commercial, mais alors il faut lire les textes de référence à contrario de ce qu’ils démontrent. La théorie des climats de Montesquieu pense l’adaptation des hommes au climat du lieu qui les a vu naître et grandis. Dès lors, transplantés ailleurs, leur esprit se dissout. Et que dire des mille considérations sur les paysans, ces hommes qui ne quittent jamais leur terre, etc. Fiefs, villages, terre, foyer font ainsi bon ménage pour « prouver » qu’il existe deux types d’humains : les sédentaires et les migrants. Les sédentaires étant valorisés et les migrants relevant quasi d’une « nature étrangère ».
Dans l’Europe du XIX° siècle, les nationalismes ont rendu possible l’utilisation dévoyée d’un grand nombre d’ethnonymes (Goths, Celtes,...) empêchant de comprendre les modes migratoires internes à l’Europe, et projetant les migrations chez les « autres ». Les concepts de civilisation et de culture, dans certains usages ont conduit à des dérives raciales qui ont servi à partager les sédentaires et les migrants, les autochtones et les immigrants, etc.
Il fallait aussi rappeler que « migration » peut se comprendre de deux points de vue : la région d’où l’on part et la région où l’on arrive (émigration, immigration). Mais dans tous les cas, cela ne suffit pas à distinguer, hors champ du nationalisme, les mouvements de colonisation, les expéditions guerrières, les échanges commerciaux, les potlatch, les échanges matrimoniaux, les diffusions de techniques nouvelles, etc.
Les Paléontologues contribuent aussi à déplacer le concept de migration. Ils montrent que le genre Homo est le seul singe migrateur. Ce genre brise la dépendance au monde des arbres. C’est ainsi que se met en place l’expansion de notre espèce, depuis l’Afrique. Ces migrations s’accomplissent en bateau et en radeau, par cabotage ou de manière hauturière. La formation de plusieurs humanités et la rencontre entre ces formes se déroule sur toute la surface de la terre du fait de ces migrations.
La recherche spécifique en Europe montre que cette terre est depuis longtemps une terre de migration. La paléogénétique aide à comprendre les lignes de force de ces migrations. Ce qu’il faut donc expliquer est donc moins la migration que la sédentarisation des migrants. L’ère de la paléogénomique a mis en évidence que les premiers paysans anatoliens ont colonisé l’Europe. D’ailleurs, les données paléogénomiques attestent une migration massive des populations des steppes vers l’Europe centrale, à l’âge du Bronze, et elles semblent coïncider avec un scénario linguistique qui ferait remonter l’expansion des langues indo-européennes à cette époque, et à une origine anatolienne des langues indo-européennes.
Plus largement, si jadis on a pu soutenir l’idée que les différentes populations actuelles étaient issues de formes archaïques locales dans les différentes régions du monde, l’origine africaine récente des hommes modernes s’est aujourd’hui largement imposée. Ensuite, alors que l’Europe orientale voit le remplacement des populations néandertaliennes s’opérer rapidement, plus à l’ouest, ces groupes persistent encore pendant des millénaires. Les auteurs de cet ouvrage collectif, par ailleurs issu d’un colloque de l’Inrap, exposent ces questions avec clarté. Les migrations humaines se sont poursuivies durant au moins deux millions d’années, à la fois à l’intérieur et au dehors du berceau africain, les humains devenant l’espère mammifère dominante et universelle. Des cartes dont il importe de faire la lecture précise étayent ces données.
La modestie des chercheurs en ces matières est aussi caractéristique. Ils n’hésitent pas à désigner des zones de recherche inachevées, ou des questions en suspens. Seule certitude : il faut cesse de se laisser empêtrer dans les nationalismes (ethniques, culturels, raciaux, linguistiques, etc.).
Cet ouvrage est, comme on l’entend, central tant pour ceux qui veulent savoir où en sont les recherches actuellement, que pour ceux qui veulent s’attaquer aux mythes qui parcourent encore de nombreuses consciences, et des discours politiques.