Revue Geste, Automne 2007, N° 4, « Traduire, politiques de la représentation ».
Article de Ghislaine Glasson Deschaumes : TRADUIRE ENFIN L’EUROPE.
Résumé des passages principaux, qui consistent à montrer comment il est possible de rabattre l’Europe sur le pli de la traduction.
Article de Ghislaine Glasson Deschaumes : TRADUIRE ENFIN L’EUROPE.
Résumé des passages principaux, qui consistent à montrer comment il est possible de rabattre l’Europe sur le pli de la traduction.
Christian Ruby
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A quoi sert donc de traduire ? « Assurément, il s’agit de passage, d’ouverture dans un paysage, dont les conséquences ne sont pas anodines ». D’une façon ou d’une autre, traduire c’est faire entrer par effraction ou par invite le regard de l’autre dans sa propre langue et ses modes symboliques dans son propre champ de représentation. Et pour celui qui est traduit, « c’est accepter (plus ou moins) de voir son texte travaillé par la langue d’arrivée et le contexte d’arrivée dans un double sens de perte et d’enrichissement ».
Mais de ce fait, traduire, c’est aussi un geste politique. S’y mêlent le projet d’hospitalité et l’acte colonial par excellence, l’assimilation. Encore est-ce considérer que toutes les langues peuvent être mises à pied d’égalité, et qu’il n’existe pas de hiérarchie des langues.
De manière patente, montre alors l’auteure, la traduction peut constituer une proposition pour l’Europe. Mais celle-ci nous éloigne des implications idéologiques du mot d’ordre de « dialogue des cultures ». En quoi ce thème du dialogue fait-il écran à la traduction. En ce qu’il occulte dangereusement les conflits potentiels et maintient l’idée que ce sont des entités homogènes qui dialoguent, et non des peuples.
Il faut donc signaler, affirme l’auteure, les numéros de la revue Transeuropéennes, qui opposent au « dialogue des cultures » le concept de « traduire entre les cultures ». Il faut travailler sur la réalité des différences et des différends. « Parler de « traduire entre les cultures », c’est poser la question des interactions, des passages, des nœuds entre les langues, entre les imaginaires, entre les modes de représentation voire les systèmes d’organisation des hommes ».
A l’inverse, exclure, c’est interdire à l’autre ; aux autres, d’entrer. Exclure prive un corps social de membres potentiels, considérés comme inacceptables, car hétérogènes. Exclure nous parle de clôture, de fragmentation, de sélection. Exclure,c’est refuser le geste de la traduction.
Et les régimes autoritaires aussi passent par une stratégie d’évitement de la traduction.
« La France est un pays où l’on traduit beaucoup de livres, mais de moins en moins de films à la télévision. La France est pourtant un pays qui ne s’est jamais mis à la traduction. Ce que l’on a coutume d’appeler le modèle républicain a exonéré de toute hospitalité réelle et de toute exclusion affichée. Le projet consistant à inclure les différences dans une identité politique abstraite marquée par la prédominance du libre-arbitre individuel et à créer un socle de compréhension mutuelle a partir de cette seule identité a failli à inclure, et de fait a exclu. »
La crise de ce modèle, conclut l’auteure, révèle ce dont nous avons désespérément besoin, à savoir un processus de traduction interne.
Et elle affirme alors :
« Nous sommes loin d’une stratégie européenne de traduction qui irriguerait le projet politique européen. Il n’existe pas de translation mainstreaming. Il n’existe pas dans l’Union européenne, pour des raisons d’attachement des Etats à leurs compétences, mais aussi par manque de courage politique, pour lancer des orientations ambitieuses, de politique des langues en Europe qui pourrait faire qu’une culture multilingue devienne une culture de la traduction, et que celle-ci à son tour soit une composante amplement partagée de l’Union ».
Et voici la morale politique de l’affaire : « Négocier les différences à travers la traduction est pourtant un moyen non seulement de démocratiser la société, mais de démocratiser l’Union européenne en tant que projet. »
Enfin, l’auteure nous renvoie à Jacques Derrida et à son texte l’Autre Cap (1991), dont elle extrait cette citation : « une Europe qui précisément consiste à ne pas se fermer sur sa propre identité et à s’avancer exemplairement vers ce qui n’est pas elle, vers l’autre cap ou le cap de l’autre, voire, et c’est peut-être tout autre chose, l’autre du cap qui serait l’au-delà de cette tradition moderne, une autre structure de bord, un autre rivage ».
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A quoi sert donc de traduire ? « Assurément, il s’agit de passage, d’ouverture dans un paysage, dont les conséquences ne sont pas anodines ». D’une façon ou d’une autre, traduire c’est faire entrer par effraction ou par invite le regard de l’autre dans sa propre langue et ses modes symboliques dans son propre champ de représentation. Et pour celui qui est traduit, « c’est accepter (plus ou moins) de voir son texte travaillé par la langue d’arrivée et le contexte d’arrivée dans un double sens de perte et d’enrichissement ».
Mais de ce fait, traduire, c’est aussi un geste politique. S’y mêlent le projet d’hospitalité et l’acte colonial par excellence, l’assimilation. Encore est-ce considérer que toutes les langues peuvent être mises à pied d’égalité, et qu’il n’existe pas de hiérarchie des langues.
De manière patente, montre alors l’auteure, la traduction peut constituer une proposition pour l’Europe. Mais celle-ci nous éloigne des implications idéologiques du mot d’ordre de « dialogue des cultures ». En quoi ce thème du dialogue fait-il écran à la traduction. En ce qu’il occulte dangereusement les conflits potentiels et maintient l’idée que ce sont des entités homogènes qui dialoguent, et non des peuples.
Il faut donc signaler, affirme l’auteure, les numéros de la revue Transeuropéennes, qui opposent au « dialogue des cultures » le concept de « traduire entre les cultures ». Il faut travailler sur la réalité des différences et des différends. « Parler de « traduire entre les cultures », c’est poser la question des interactions, des passages, des nœuds entre les langues, entre les imaginaires, entre les modes de représentation voire les systèmes d’organisation des hommes ».
A l’inverse, exclure, c’est interdire à l’autre ; aux autres, d’entrer. Exclure prive un corps social de membres potentiels, considérés comme inacceptables, car hétérogènes. Exclure nous parle de clôture, de fragmentation, de sélection. Exclure,c’est refuser le geste de la traduction.
Et les régimes autoritaires aussi passent par une stratégie d’évitement de la traduction.
« La France est un pays où l’on traduit beaucoup de livres, mais de moins en moins de films à la télévision. La France est pourtant un pays qui ne s’est jamais mis à la traduction. Ce que l’on a coutume d’appeler le modèle républicain a exonéré de toute hospitalité réelle et de toute exclusion affichée. Le projet consistant à inclure les différences dans une identité politique abstraite marquée par la prédominance du libre-arbitre individuel et à créer un socle de compréhension mutuelle a partir de cette seule identité a failli à inclure, et de fait a exclu. »
La crise de ce modèle, conclut l’auteure, révèle ce dont nous avons désespérément besoin, à savoir un processus de traduction interne.
Et elle affirme alors :
« Nous sommes loin d’une stratégie européenne de traduction qui irriguerait le projet politique européen. Il n’existe pas de translation mainstreaming. Il n’existe pas dans l’Union européenne, pour des raisons d’attachement des Etats à leurs compétences, mais aussi par manque de courage politique, pour lancer des orientations ambitieuses, de politique des langues en Europe qui pourrait faire qu’une culture multilingue devienne une culture de la traduction, et que celle-ci à son tour soit une composante amplement partagée de l’Union ».
Et voici la morale politique de l’affaire : « Négocier les différences à travers la traduction est pourtant un moyen non seulement de démocratiser la société, mais de démocratiser l’Union européenne en tant que projet. »
Enfin, l’auteure nous renvoie à Jacques Derrida et à son texte l’Autre Cap (1991), dont elle extrait cette citation : « une Europe qui précisément consiste à ne pas se fermer sur sa propre identité et à s’avancer exemplairement vers ce qui n’est pas elle, vers l’autre cap ou le cap de l’autre, voire, et c’est peut-être tout autre chose, l’autre du cap qui serait l’au-delà de cette tradition moderne, une autre structure de bord, un autre rivage ».