Chritian Ruby
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Against censorship targeting works of art! Justifications of these
censorships in the whole of Europe all operate on the same model. The
spectator has no chance. No chance of feeling valued, unless he places
himself in the same mind-frame and along the same criteria as the orator.
Some personify him through his “stupidity”, others as subject to the
mechanics of “media formatting”, while others speculate on his incoherent
perceptions and his inability to really understand works of art. These
discourses about the spectator draw around him a topology of spectatorial
darkness that leads to a certain conclusion: the spectator should not be left
alone in front of Works of art as he is incapable of drawing anything out of
them by himself! Outside of the authors of these discourses, who exempt
themselves of these accusations, 2 orientations emerge: either find ways to accompany
the spectator in order to overcome these lacking competences, or censure works
of art to prevent the spectator from taking them in the first degree and
imitating what they present. Thus goes the spectator’s essential condition:
everything evades him, he is incapable of correctly apprehending works of art,
and must remain under the authority of those who “know”.
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Die wiederholten Zensurverfügungen weckten auch das Interesse des
Fernsehens, Ist die öffentliche Aufführung
eines Kunstwerk von einer Behörde untersagt worden ? So können sich die
als Zuschauer des Kunst in Betracht fallenden Personen auf die (in der Meinungsäusserungsfreiheit
enthaltene) Informationsfreiheit berufen, welche insbesondere das Recht
garantiert, ohne behördliche Kontrolle Nachrichten oder Ideen zu empfangen und
sich eine Meinung zu bilden. Insofern sind sie auf Europäische Ebene zur
Beschwerdeführung gegen den Entscheid der Zensurbehörde berechtigt.
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Si mundemi ti bejm balle
censures kunder veprat e artit ?
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Dans un grand nombre de
discours, le spectateur n’a pas de chance. Pas l’ombre d’une chance de se
trouver valorisé, sauf si son attitude entre dans les critères de l’orateur.
Tandis que les uns personnifient en lui la « bêtise », les autres ne
l’entendent que soumis à l’action lourde et mécanique du « formatage médiatique »,
et les derniers ne cessent de spéculer sur ses perceptions incohérentes et son
incapacité à comprendre vraiment les œuvres d’art. Ces discours au sujet du
spectateur dessinent une topologie des ténèbres spectatoriales qui ne manque
pas de les conduire vers une conclusion certaine : le spectateur ne doit
pas être livré seul aux œuvres d’art et à n’importe quelle œuvre, puisqu’il
n’en peut tirer quoi que ce soit par lui-même !
En dehors du fait qu’à cette condamnation échappent évidemment
les rédacteurs de ces discours, deux orientations en résultent : ou bien
chercher les moyens d’accompagner le spectateur afin de pallier les compétences
qui lui manquent ; ou bien censurer les œuvres en arguant que le
spectateur risque de les prendre « au premier degré » et d’imiter ce
qu’elles proposent.
Ainsi va la condition essentielle du
spectateur : tout lui échappe, il est incapable d’appréhender les œuvres
correctement, et doit demeurer sous le magistère de ceux qui savent.
A ceux qui s’étonnent parfois de rencontrer ces
propos invariables, répétitifs mais abondants, à notre époque, lesquels relient
les « dangers de l’image » à la « nullité » du spectateur,
il convient de rappeler qu’ils remplissent une fonction précise. Ils visent la
condamnation de l’image elle-même, sous prétexte d’un soi-disant effet immédiat
sur le spectateur, et ils visent le spectateur en voulant le soumettre du fait
de sa soi-disant absence de contrôle se soi. Ils visent moins à traiter du
danger des images qu’à mettre les images en danger, de telle sorte que les
spectateurs ne les fréquentent pas et soient maintenus en dehors du champ de la
décision. Ils déploient une stratégie qui enchaine la nécessité de la
suppression des images au maintien de l’ignorance dans laquelle est tenue le
spectateur.
Ce n’est pas exagérer
la portée de ces discours que de saisir en eux une tentative consistante pour
contourner ou nier la liberté du spectateur, représentée au moins par la
latitude qu’il pourrait avoir de tracer par lui-même des écarts entre ce qu’on
faire croire de lui et ce qu’il est capable d’entreprendre.
Le procès intenté au spectateur
Ces manières de
concevoir le spectateur méritent d’autant plus d’être évoquées qu’elles
renforcent, a contrario, par leur
outrance même, l’idée que se passe tout autre chose du côté du spectateur. En
ne cessant de glisser d’un mépris à un autre – de l’image, des médias, de la
cité -, elles montrent tout simplement que l’on se méfie de la puissance
possible du spectateur. Par la violence du procès qu’elles intentent à ce
dernier, elles exercent enfin une très forte pression sur ceux qui
souhaiteraient parler autrement du spectateur, et en particulier les
spectateurs eux-mêmes si jamais ils désirent prendre la parole sur leur sort.
Mais quelles sont donc
la nature et la fonction de ce procès ? Sa nature est aisée à
saisir : décrire le spectateur en naïf et dupe à la fois, voué à la légèreté
de ses jugements, et à l’inconstance de ses positions. Description qui est
moins remarquable par sa densité que par sa manière de construire une hiérarchie
entre les spectateurs, un partage qui n’a guère besoin d’étais autre que l’évidence
d’une distinction. Sa fonction est politique : en vertu de la
condamnation, il est légitime de maintenir le spectateur sous le magistère de
quelques maîtres.
Dans ce procès,
l’argument le plus souvent utilisé est celui-ci : le spectateur serait la
proie sans cesse égarée des effets de réel produits par l’œuvre (figurative du
moins). Parfois aussi par les œuvres contemporaines qui travaillent sur le décalage
infime par rapport au réel... Par conséquent, il s’identifierait immédiatement
au contenu proposé (au contenu le plus prégnant, et le plus violent). Il
vivrait dès lors l’œuvre d’art comme une machine à donner des ordres : tu
dois exécuter ce que l’image te dit ; tu dois agir ainsi ; ...
En restant sur le seul
plan du spectateur - alors qu’on devrait aussi analyser le mode de considération
de l’image ainsi conçu -, on voit que l’argument qui aboutit à la condamnation
des œuvres/images via le spectateur
repose sur une pathologisation de la spectatorialité. Le spectateur ne
fonctionnerait que sur le mode d’une sensibilité privée de raison, se
laisserait par conséquent prendre, rapter par l’image, parce qu’il y adhèrerait
par faiblesse et/ou incapacité. Manque de capacité à prendre des distances,
manque de volonté, soumission à la puissance de l’image, voire formatage de son
regard, c’est tout un. Chacune de ces déclarations à son sujet conduit vers le
final d’un procès en bonne et due forme du spectateur.
Le tribunal – qui
occupe la position du meilleur juge, celui qui permettra aux « autres »
d’ouvrir les yeux –, outre les tenants et les ressorts du procès, a aussi les
aboutissants en main. Sa ligne d’interprétation peut, cependant, produire deux
résultats différents. Soit qu’il juge alors nécessaire de transmettre à tous
les bons outils afin de bien éclairer chacun sur l’œuvre à voir et sur la manière
de la voir ; soit qu’il juge nécessaire de censurer les œuvres afin de ne
pas prendre le risque d’une réaction mécanique du spectateur.
Ces deux logiques se
rejoignent dans leur présupposition (pas dans leurs effets). D’un côté, la
logique de la transmission pensée causalement péjore le spectateur incapable de
penser par lui-même. De l’autre, la logique de la censure péjore le spectateur
incapable de résister à la pression de l’œuvre.
Deux logiques qui s’annulent
Cela étant, elles ne se
contentent pas de se rejoindre. Elles s’invalident l’une l’autre.
La logique de la transmission est la plus classique,
la plus valorisée aussi dans le droit fil de la philosophie des Lumières. Selon
elle, les « éclaireurs » doivent éduquer le peuple, susciter la bonne
curiosité du spectateur, l’aider à bien comprendre les images. Leur travail
prend sens à partir d’une hiérarchie entre « bon » spectateur et « mauvais »
spectateur, qui n’exclut pas le passage d’un terme à l’autre. Il y a conversion
envisageable du « mauvais » en « bon », même si le
spectateur est toujours appréhendé comme un « être ». Grâce à elle,
nous dit-on, tout « mauvais » spectateur se muera en « bon »
spectateur au point que l’on peut même viser dès maintenant l’idéal d’une société
future dans laquelle ne s’exprimeront que de « bons » spectateurs.
De son côté, la logique de la censure ne se borne pas
à supprimer les œuvres pour un « mauvais » spectateur. Elle s’élève
aussi contre la logique de la transmission, et contredit l’idylle d’une société
de « bons » spectateurs. Elle affirme qu’aucun passage n’est possible
du « mauvais » au « bon ». Elle fige les positions des uns
et des autres, puisque les uns n’auront droit à rien, ils sont trop « mauvais »
spectateurs, et les autres jugeront et censureront pour les premiers au nom du
droit qu’ils ont, eux, de regarder l’œuvre afin de décider de ce qui est « bon »
pour les autres.
Cette logique de la
suppression se justifie effectivement par des phrasés particuliers. Ils consistent
à considérer que le spectateur ne doit pas être agressé par les œuvres d’art
qui le rendront agressif, qu’il ne doit pas se heurter à la violence des images
qui le rendront violent, le discours est banal. Ils consistent aussi à jouer
avec la notion de catharsis : le
spectateur risque de s’identifier à ce qu’on lui montre au point de se laisser
emporter par l’œuvre à des actes regrettables. Ils requièrent enfin que le
spectateur consente à son affaiblissement puisqu’on ne veut même pas lui
montrer des œuvres dont on prétend simultanément qu’il s’en scandaliserait si
on les exposait, ou dont on espère qu’il s’en scandaliserait dans ce cas.
Paradoxalement, par
conséquent, la logique de la censure annule les efforts de la logique de la
transmission, qui puise pourtant aux mêmes sources. Affirmant que le spectateur
est incapable de juger, et donc qu’il faudrait, en toute justice et pédagogie,
l’éclairer, elle requiert la censure. Elle ne souhaite même pas aller au devant
d’un scandale ou d’une indignation de la part de spectateur, qui pourrait, sans
doute, se sentir parfois outragé. Ce qui serait au moins une occasion de
discuter. Elle supprime le problème et la solution.
Si la première logique
tient aux Lumières, la seconde inverse les Lumières.
Les présupposés de la réception
En s’invalidant l’une
l’autre, ces deux logiques révèlent qu’elles reposent sur des présupposés
communs, concernant la réception des œuvres d’art (puisque nous évoquons ici la
corrélation spectateur-œuvre, et non les œuvres mêmes), si ce terme « réception »
est, de son côté, adéquat aux problèmes posés.
Au cœur des propos déployés,
on remarque d’abord que leurs auteurs s’interdisent de penser l’autonomie
artistique de l’œuvre d’art, tout autant qu’ils n’arrivent pas à concevoir
l’autonomie du spectateur.
En s’interdisant cette
double dimension, acquise historiquement, de l’art d’exposition, ils refusent
de tenir compte de la distinction foncière, constitutive de l’œuvre d’art
moderne, entre la fiction (artistique) et la réalité, même si l’œuvre la pose
en l’abolissant par ses effets. La notion moderne de fiction, qui accompagne
depuis le XVIII° siècle la conception de l’œuvre d’art, est décalée par eux, à
partir d’une théorie de la représentation littérale du réel par l’œuvre (se
dont l’œuvre classique se joue, dans l’illusion qu’elle produit).
De même qu’ils se
trompent sur l’œuvre, à propos de son statut fictionnel (et de son principe
d’engendrement de fictions), en inversant ce présupposé, ils inventent des
mythes du spectateur (souvent complétés de mythes de spectateurs). Ils en énoncent
la posture en terme d’essence, posant l’existence d’un spectateur en soi. Ils élaborent
de sa contemplation une représentation mystique (impact, influence, ...). mais
ils la contredisent simultanément en postulant l’existence d’un spectateur
formaté (soumis en soi) par les médias, et dont on ne pourrait rien tirer
puisqu’ils se cantonnerait à savourer les seules œuvres du marché instauré par
les industries culturelles.
Enfin, pour revenir à
la « réception », ces propos sont traversés par une conception mécanique
celle-ci. Les dossiers d’accusation du procès fait au spectateur sont montés à
partir d’une conception mécanique de la réception : telle cause (l’image)
implique tel effet (la réaction du spectateur), l’œuvre agit directement sur
l’esprit du spectateur, et le façonne en fonction de ses exigences propres.
Comme si la réception d’une œuvre d’art relevait d’une sorte de contrat mécanique :
je te donne et tu prends... L’art y passe pour une prestation publicitaire...
L’œuvre contiendrait une simple « information », à appréhender.
Le ressort dernier de
ces propos n’est guère difficile à déceler : ils choisissent de maintenir
le spectateur à la place qui lui est assignée.
C’est bien cela qu’il
conviendrait de remettre en question, si on devait prolonger cette réflexion en
ce sens. En montrant que : l’illusion artistique ne consiste pas à être
berné en soi ; qu’il faut toujours penser en termes de corrélation
(rapport, participation, interférence entre œuvre et spectateurs et spectateurs
entre eux) ; que le spectateur résulte de la dissymétrie entre le
spectateur inclus dans l’œuvre et le spectateur réel ; qu’une œuvre
n’impose pas un sens, n’anticipe pas ses effets ; que le spectateur, qui
ne l’est pas d’abord, vient à l’œuvre avec son histoire, son horizon d’attente
(classements de l’époque, éducation, facilités de conversion ou non, stéréotypes,
schèmes collectifs, ...) ; qu’il se reconfigure dans le rapport à l’œuvre,
y construit des significations variables, joue du spectaculaire, de la fiction,
de la réalité, de la fable, de l’artistique, de l’esthétique, et de
l’argumentatif (en prolongeant la visite par la discussion) ; que, de
toute manière, on peut comprendre une œuvre sans apprécier, on peut tolérer
sans endosser, admettre sans discuter ou discuter pour admettre, ...
De la « liberté » du
spectateur
A tous les niveaux de
discours, la négation de la confiance du spectateur en l’exercice de son
jugement et de sa capacité à penser l’œuvre est patente. De toute manière, la
question de la liberté du spectateur est moins celle de savoir si on lui laisse
le soin d’interpréter les œuvres comme il veut, ou de savoir si on lui laisse
la liberté d’aller chercher dans les œuvres ce qu’il veut. C’est le sens
habituel de cette formule. On doit faire remarquer à ce propos qu’il s’agirait
là plutôt du spectateur en liberté. Et non de la liberté du spectateur.
Par cette expression « liberté
du spectateur », il faut entendre une liberté en acte. Le spectateur
n’existe pas en soi, mais dans la corrélation avec une œuvre et d’autres
spectateurs. Il s’éveille en chacun de nous par l’événement plus ou moins
attendu de la rencontre avec une œuvre et les autres. C’est ce moment qui doit être
garanti. Enlevez à l’art sa dimension de proposition faite à un futur
spectateur, et vous détruisez l’acte même qui rend possible les exercices esthétiques
et cette trajectoire.
En cela, la liberté du
spectateur peut se concevoir selon quatre dimensions articulées.
Une liberté de fait,
sans doute le degré le plus bas de la liberté. Elle est liée au fait qu’on ne
doit rien imposer ni interdire à quelqu’un en matière d’approche possible de l’œuvre,
dans une exposition, un lieu d’art et de culture. Pas plus qu’on ne doit
imposer d’accepter ou de refuser de voir une œuvre.
Une liberté morale, ensuite, ou un deuxième degré de
liberté. Même si on conseille une personne sur la manière d’aborder une œuvre
ou sur l’intérêt d’une œuvre, elle doit elle-même faire l’effort de l’aborder
et de ne l’aborder d’abord qu’avec son propre bagage.
Une
liberté civile encore. Le spectateur fait de son regard, de son audition, ce
qu’il veut au sein de sa personne, et en lien avec ses activités et les autres.
Une
liberté politique enfin, le degré le plus élevé de la liberté et qui
consiste à souligner que le spectateur doit sans cesse se battre pour préserver
tout ce qui précède, à l’encontre du respect des assignations qu’on voudrait obtenir
de lui, des confiscations d’œuvres et des censures.