Christian Ruby
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Les Lumières
Au-delà des Alpes et des Pyrénées,
Communications, transferts et échanges,
Symposium de Winnipeg,
Paris, Hermann,
2013.
Les valeurs cultivées par les Lumières ont couvert un espace géographique
plus large qu’on ne le croit habituellement, même si à l’intérieur de cet
espace les polémiques sont intenses.
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A mundet Filosofia e dritave te perdoret akoma si urr lidhese ndermiet
shteteve te ndryshem evropian
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In a time where, for a number of reasons,
we attempt to break with the ties that link our culture with values of the
Enlightenment, skimming these can still prove useful and interesting.
From a thematic perspective, as it draws the architecture of its concepts
(reason, progress, critique…). But also from a geographic perspective, as
all European country have witnessed such a movement, even if each country is
oblivious to these evolutions in other countries, perhaps even scorns them.
This volume of Cahiers du CIERL – Cercle universitaire d’étude sur la République
des Lettres – examines the circulation of ideas during the Enlightenment in
Spain and Portugal, far beyond the closed circle of France, England and
Germany. Each of these countries stands-out in turn as an active center
of the Enlightenment.
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Um die Kritik an der Aufklärung besser beurteilen zu können, wäre es ganz
hilfreich aus welcher Perspektive die Kritik an der Aufklärung erfolgen soll.
Geht es um generelle Kritik an der geistigen Bewegung der Aufklärung, geht es
um Kritik am aufgeklärten absolutismus ? Man könnte kritisieren, dass die
Reformen der Aufklärung, bzw. des aufgeklärten Absolutismus nicht weit genug
gingen. Das würde aber wiederum von aufgeklärtem Gedankengut zeugen und eher
den Erfolg der aufklärung bestätigen. Als «Aufklärung» bezeichnet man eine
geistige Bewegung, die seit dem Ende des 17. und dem 18.Jahrhundert Europa prägt;
sie hat neue Denkweisen und neue Methoden in der Philosophie, der
Geschichtsschreibung und den Naturwissenschaften entwickelt, entscheidende Anstöße
zur Kritik von Religion, Kirche und Offenbarung gegeben und sich bis in unsere
Zeit hinein in Kunst und Literatur, Recht und Verfassung, Moral und Politik
ausgewirkt. Diese Zeitschrift Cahiers du CIERL - – Cercle universitaire d’étude sur la République des
Lettres (Paris) - erkärt wie Aufklärung hatte das Ziel, den Menschen aus Unwissenheit,
Furcht und Abhängigkeit zu befreien, und die geistige Einheit des Abendlandes.
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A une époque où, pour
de nombreuses raisons, nous tentons de briser des liens trop affermis de notre
culture avec les valeurs dispensées par les Lumières, il reste bon de refaire
le tour du champ couvert par ces optiques. Un champ thématique, bien sûr,
puisqu’il convient de représenter toujours l’architecture de ses concepts
(progrès, raison, critique, ...), mais un champ géographique aussi, puisque chaque
pays, en Europe, a vu se déployer un tel mouvement, même si les autres pays
ignorent plus ou moins superbement ce qui s’est déroulé ailleurs, voire le méprisent.
En l’occurrence, cet ouvrage, ou plutôt ce volume des Cahiers du CIERL – Cercle
universitaire d’étude sur la République des Lettres -, examine la circulation
des idées des Lumières en Italie, en Espagne et au Portugal, bien au-delà du
cercle fermé de la France, l’Angleterre et l’Allemagne. Chacun de ces pays
apparaît tour à tour comme un centre actif des Lumières.
Conçu dans le cadre
d’un atelier tenu à Winnipeg (Canada), du 16 au 19 septembre 2009, le volume
rend compte d’une rencontre entre des chercheurs d’horizon différents. Les deux
directeurs de la publication sont Armelle Saint-Martin, enseignante à
l’université de Manitoba et Sante A. Viselli, professeur de littérature française
à l’université de Winnipeg. Ils ont réuni autour d’eux dix autres chercheurs,
qui ont ensuite contribué à alimenter par des textes la publication présente.
Il convient d’ajouter,
cependant, afin de ne tromper personne par ce compte rendu, que ces textes
risquent bien de ne concerner que les spécialistes de ces questions historiques
(du point de vue de l’intérêt comme de celui des objets). Au demeurant, ce ne
sera pas du fait de leur technicité ou de leur difficulté à les lire. Ils sont
tout à fait lisibles et ne se cachent derrière aucun barrage conceptuel. Néanmoins,
ils requièrent tout de même des connaissances primordiales assez nombreuses et
un centre d’intérêt pointu pour la période des Lumières.
Indiquons au moins ce
de quoi on peut se convaincre à la lecture de ce volume. D’abord de ceci :
le point de vue qui faisait de la France et de l’Angleterre les seuls émetteurs
des idées d’avant-garde à l’époque doit être remanié. Les autres pays, disons
plutôt les homme éclairés de l’époque se trouvent aussi ailleurs, et notamment
dans les pays du Sud. Certains préjugés doivent dont encore tomber, concernant
en particulier, remarquent les auteurs, la péninsule ibérique. Ainsi ce volume
remet-il en avant des auteurs et des œuvres peu ou mal connus, mais qui ont eu
un impact important dans leur cadre de référence. Cette question est centrale.
Et la lecture des textes en question met aussi l’accent sur un jeu complexe
d’appropriation littéraire et philosophique impliquant des mécanismes
identitaires.
Ensuite, on peut se
convaincre de la validité d’une question : Dans le cadre des Lumières
européennes, ne peut-on rééquilibrer les travaux de recherche et faire sa place
à de nombreuses monographies qui circulent peu ? Il est important de
montrer comment certains auteurs, dans les Lumières, éclairent aussi des réalités
locales peu connues (ce sera le cas d’un article sur la bibliothèque d’un curé
espagnol, comme des récits de voyages à Lisbonne). A cela s’ajoute une autre
perspective : En laissant la France et l’Angleterre dominer ce champ – au
point de se voir supérieurs au reste du monde (connu) -, on a longtemps laissé
se répandre l’idée selon laquelle l’Espagne, le Portugal, par exemple, avaient été
réfractaires aux Lumières, ce qui, à tout le moins, est une lecture réductrice
de l’histoire des Lumières.
Enfin, une autre
question vient au jour : Ne faut-il pas retravailler les relations entre
les écrivains des Lumières, d’un pays à un autre ? On ne cesse de parler
des échanges économiques, mais les influences littéraires et les échanges épistolaires
d’un pays à un autre sont largement ignorés des histoires littéraires, au point
d’en être dommageable à la perspective prise sur cette période.
Au total, ce que ce
volume met en question, ce sont des préjugés qui ont empêché longtemps d’étudier
les échanges de notions d’un pays à un autre, et ont fait obstacle dans le même
temps à l’analyse de la vie intellectuelle de nombreux pays d’Europe. De ce
fait, c’est une nouvelle géographie des Lumières que dessine ce volume.
Afin de mieux
construire ces objets de recherche, les auteurs adoptent la position élaborée
par Pierre Chaunu concernant le repérage des Lumières. Cet historien avait pris
en compte ce qu’il appelait « le convoi sémantique des Lumières et de la
raison », c’est-à-dire un ensemble de notions comme « philosophie, préjugé,
superstition, tolérance, vertu », auquel il ajoutait : « abus, réforme,
constitution, liberté, égalité, droit ». Et le même historien
ajoutait : « le convoi glisse d’ouest en est, et du nord au sud »
et à des rythmes différents.
Une autre option
gouverne la rédaction des articles : prendre en compte les représentations
et les discours que les Lumières tiennent sur elles-mêmes. Les auteurs partent à
la recherche des évidences partagées dans ces contextes géographiques, et dans
les périodiques, guides, encyclopédies, ouvrages pédagogiques, écrits
politiques et correspondances qui s’échangent d’un extrême à l’autre de cette
Europe qui n’est pas encore.
Aussi le premier
article est-il consacré à la géographie au sein des Lumières. La géographie, en
effet, précise François Bessire, est une dimension essentielle des Lumières. La
possibilité de décrire et de représenter l’essentiel du globe terrestre,
perdant ainsi son mystère, donne à l’homme des Lumières une maîtrise du monde
sans précédent. L’auteur montre ainsi que le siècle des Lumières est celui de
l’essor sans précédent de la cartographie. Chef d’œuvre de recherche, mais
aussi de gravure, la nouvelle carte du monde laisse émerger, à côté de vides
encore manifestes, des savoirs et des envies de savoir que l’Encyclopédie, mais aussi l’Histoire générale des voyages de l’Abbé
Prévost tentent de synthétiser.
Au cœur de cette
cartographie précise, les Lumières se pensent comme européennes et définissent
l’Europe par ses richesses, son savoir-faire, et sa conception du monde. Il
suffit de consulter l’article Europe de l’Encyclopédie, rédigé par Jaucourt
(reproduit p. 21). Outre un territoire, l’Europe a des caractéristiques
politiques. Les progrès de l’esclavage y sont contenus. Le progrès la structure
et la distingue du reste du monde. Cette notion d’Europe est largement partagée,
à l’heure où des européens lettrés la parcourent en tous sens (même si
quelques-uns se contentent de la parcourir en image).
Toutefois, il est des
lieux où les valeurs de l’Europe ne sont pas partagées. Voilà donc que l’Europe
se fracture. Rome n’est pas toujours valorisée, trop despotique et trop antique
par bien des côtés (ce n’est plus la Rome du XVI° siècle). L’Espagne est aussi
l’objet de nombreuses critiques, un pays « qui ne mérite pas la peine d’être
connu » dit Voltaire lors d’une conversation à Ferney. Le plus souvent ces
condamnations sont motivées par le poids de la religion sur les mœurs. A
l’inverse, l’Angleterre est le prototype en partie utopique de l’Europe des
Lumières : liberté de penser et d’imprimer, tolérance religieuse, contrôle
du pouvoir exécutif par des représentants du peuple, richesse produite par le
commerce, elle est la preuve de la possibilité pour les hommes de vivre mieux
sur terre.
Plus étonnant, sans
aucun doute, est cet article (François Moureau) sur le Paris italien du premier
XVIII° siècle. Il ne s’agit plus de juger l’Italie, d’ailleurs, elle n’existe
pas (à l’époque, et en tant qu’Etat). Encore cette contrée de principautés
disparates fait-elle bien l’objet du Grand Tour, le voyage de l’amateur éclairé
auprès des collectionneurs et des Antiques. Mais ce qui est passionnant dans le
propos de l’auteur, c’est cette construction des Lumières italiennes à partir
d’auteurs (compositeurs, surtout, mais aussi théâtre) installés à Paris. La
musique italienne est présente à Paris dès le début du règne de Louis XIV. Et
certains personnages de la cour sont « italiens ». Mazarin fut un
grand introducteur de l’opéra italien à la cour. L’opéra-ballet vient aussi
d’auteurs italiens. Louis XIV charge Lorenzani de ramener des castrats
d’Italie. Louis XIV et Condé rivalisent pour faire venir des italiens. D’ailleurs,
ce sont des mondes entiers qui paraissent sur la scène parisienne, des Turcs,
des Vénitiens, des Italiens, ... Et tout cela, dans une cour qui entreprend de
longues querelles sur les musiques, les opéras, et autres œuvres. Le débat sur
les musiques italienne et française qui anime les premières années du siècle a
une coloration nettement politique et chauvine.
Il y a aussi les images
que les uns se font des autres. Voltaire méprise l’Espagne. Pour lui, elle
correspond au règne de l’Inquisition. Il n’empêche, Miguel Benitez explore la
bibliothèque du curé Juan Antonio de Olavarrierta. Comme Jean Meslier, il fut
un curé sans vocation. L’auteur résumé sa vie : un franciscain qui se voue
au commerce avec les Indes, puis vit à Lima, revient par le Brésil, ... et qui
finit condamné par l’Inquisition. Pendant les perquisitions de l’Inquisition,
un inventaire de ses livres et papiers fut entrepris. Ce document est ici détaillé.
Il est fort important. Il nous renseigne sur les mœurs de l’Inquisition bien sûr,
mais surtout sur ce qu’on lisait ou pouvait lire à l’époque. Outre des papiers
concernant la paroisse du prêtre, des ouvrages indispensables pour l’exercice
de son ministère, on trouve des ouvrages de médecine, des encyclopédies des
savoirs, des livres sur les mondes anciens, sur les sciences naturelles, et des
ouvrages de philosophie ou d’anthropologie (notamment sur les animaux et les
hommes).
Le reste de ce volume
se distribue en articles fort bien centrés sur la police de Lisbonne dans les récits
des voyageurs, la figure d’Arlequin, un représentant des Lumières portugaises,
l’Italie dans la Nouvelle Héloïse de Rousseau, et une lecture de Machiavel à l’époque
des Lumières, en outre de quelques autres articles dont la liste ne dira rien à
personne. On notera que l’article portant sur Rousseau permet de comprendre que
la Nouvelle Héloïse offre une vision large de la question italienne au XVIII°
siècle, en décrivant la fonction de Rome comme lieu de l’action et en observant
les personnages italiens. Le tableau de l’Italie ainsi dressé n’est pas unifié.
Rousseau néanmoins accorde à l’Italie une place de choix du fait de son intérêt
pour la langue et la musique italiennes. Ce propos permet d’ailleurs à l’auteur
de l’article (Amalia Zurzolo) de donner à comprendre d’abord les préjugés et
les stéréotypes concernant l’Italie et des Italiens que l’on retrouve dans la
littérature française du XVIII° siècle. L’Italie passait largement pour une région
sous-développée du Siècle des Lumières. D’ailleurs, la notion d’une supériorité
des peuples du Nord, sur ceux du Sud, date de la même époque (cf. Montesquieu).
L’auteur a raison de faire remarquer que les espaces de corruption sont Italiens
chez Rousseau alors que les espaces de la pureté (là où se trouve Julie) sont
Suisses. Le Haut-Valais permet à Saint-Preux de s’enchanter de la pureté d’âme
des habitants, mais l’Italie est d’abord le lieu où, dès le début des
Confessions, Rousseau achète une jeune fille à des fins sexuelles.
Nous ne comptions pas résumé
chaque article de cet ouvrage, mais seulement donner à ceux qui veulent
raffiner leur connaissance des Lumières le goût de reprendre les textes et de
les relire à la lumière de ce volume.