André Malraux et l’Europe
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Les Éditions Gallimard mettent en librairie un petit ouvrage – Malraux face aux jeunes, Mai 68, avant, après, Entretiens inédits (Paris, Gallimard, folio, 2016) - dont la lecture peut susciter de nombreuses questions sur le monde contemporain et bien évidemment sur l’Europe. L’ouvrage est composé de deux entretiens avec Malraux, enregistrés en 1967 et 1968, l’un avec 12 étudiants et au ministère des Affaires culturelles, l’autre sous forme d’une conférence de presse à la radio allemande.
Nous en extrayons quelques éléments.
Et nous commençons par les propos de Malraux concernant l’Europe (certes, celle des années 1960-1970, dans un monde fracturé d’une autre manière que la nôtre) :
« [...] ce que je crois, c’est que faire l’Europe est prodigieusement difficile et que ce que nous avons découvert dans les vingt dernières années c’est cette difficulté. Le générale de Gaulle n’a jamais parlé de « l’Europe des patries » - on raconte toujours ça -, ce qu’il a dit est infiniment plus complexe. En gros, ça revient exactement à dire ceci : il faut d’abord faire une Europe économique... » (p. 44-45)
« Si nous sommes en perspective de désir, je dirais que si vous souhaitez contribuer à faire l’Europe, n’hésitez pas, c’est la seule chose véritablement importante qui puisse être faite de notre temps. Que l’Europe se mette à exister, presque tout ce que j’ai dit serait volatilisé. Mais en même temps, ne croyez surtout pas que ça consiste à réunir des gens qui se prétendent délégués ou élus à Strasbourg ou ailleurs, parce qu’alors là on ne changera rien du tout ! Cela ne fera que perpétuer ce que l’on fait déjà depuis un bon moment : une illusion d’Europe, une fausse Europe. » (Ibidem)
Malraux prend aussi une perspective plus large concernant le devenir des civilisations au sein desquelles l’Europe prend place :
« Nietzsche a prévu une civilisation dans laquelle les valeurs non seulement ne seraient pas chrétiennes, ce qui est banal, mais ne seraient pas religieuses. Or, notre temps, notre époque, n’est pas parvenu à trouver l’équivalent des valeurs religieuses sur le sens de la vie. Je pense que c’est le problème auquel va avoir à faire la nouvelle civilisation. Elle ne peut pas durer comme elle a commencé. Il faut qu’elle trouve la raison d’être de l’Homme. Nous, je pense que nous ne faisons que commencer à poser les questions. Pour qu’une civilisation se constitue il faut plusieurs siècles, et celle-ci comme les autres mettra plusieurs siècles à se créer. » (p. 74-75)
Et Malraux de proposer aussi un découpage culturel du monde, au cœur de l’Europe :
« Il y a un vieux rêve lotharingien que je ne vous rappellerai pas, mais qui signifiait tout de même bien quelque chose. Tout le long du Rhin, il y a une civilisation double. Et je trouve que c’est quelque chose d’extraordinairement précieux pour l’Europe, parce que la Suisse, l’Alsace et la Hollande devraient représenter une sorte de balcon d’observation, à la fois sur la France et sur l’Allemagne, qui pourrait non seulement les rapprocher, mais être en tout cas d’une valeur intellectuelle et spirituelle considérable pour l’humanité. » (p. 82)
Tout ceci ne rend pas compte de cet ouvrage entier. Nous nous contentons de souhaiter donner le goût de lire cet ouvrage qui comporte de nombreuses autres dimensions (sur la jeunesse, la mort, la politique, la révolution, les grands hommes, les relations avec les Allemands, etc.)