Empruntons à Maxime Lefebvre son compte-rendu (publié sur non-fiction) d’un ouvrage suggestif de Vivien Schmidt (La démocratie en Europe. L’Union européenne et les politiques nationales, Paris, La Découverte, 2016). Il nous oblige à rouvrir le dossier européen à l’heure où les diffractions anéantissantes se multiplient au profit d’une repli et non d’une remise en cause, et où les politiques suivies autour de l’Europe n’ont pas fière allure : Turquie, Etats-Unis, etc.
« Vivien Schmidt, professeur de relations internationales et d’intégration européenne à l’Université de Boston et à Sciences Po Paris, nous livre une étude éclairante sur la relation entre l’intégration européenne et l’évolution des systèmes politiques nationaux en Europe, et sur la compréhension du processus que les chercheurs appellent "européanisation". Ce type d’études comparatives est particulièrement bienvenu quand on parle d’intégration européenne. L’Europe – selon une prémisse affirmée d’emblée, et très justement, par l’auteure – est loin d’être un Etat uniforme, mais bien plutôt un "Etat-région en devenir" (concept choisi et défendu par l’auteure), une "fédération d’Etats-nations" (J. Delors) ou une "union régionale d’Etats-nations" (R. Dehousse). "Il lui manque encore – et peut-être lui manquera-t-il toujours – le contrôle central et le pouvoir de coercition voulus pour en faire un Etat néo-westphalien". Ce point de départ implique de reconnaître les diversités nationales comme des éléments constitutifs et même moteurs de l’intégration européenne, et comme une grille indispensable d’analyse.
Vivien Schmidt part du constat – qui n’est pas une découverte – que l’intégration européenne entraîne une dichotomie entre la concentration des compétences à l’échelon européen et le maintien de la vie démocratique à l’échelon national. S’opposent ainsi "les politiques sans la politique" (Europe) à "la politique sans les politiques" (Etats membres) : "l’Union européenne a pour ainsi dire dépolitisé la politique" ; c’est aussi ce qu’on appelle souvent le "déficit démocratique" de l’Europe. Une spécificité s’affirme certes dans la légitimité de la gouvernance européenne : au lieu d’être une gouvernance "du peuple et par le peuple "comme dans les démocraties nationales, elle s’affirme comme gouvernance "pour le peuple" ("ce qui intéresse les citoyens n’est pas qui résout les problèmes mais le fait qu’ils sont résolus", Romano Prodi) et "avec le peuple" (participation de la société civile à la décision, en particulier à travers le lobbying). Malgré cela, ce sont toujours les responsables nationaux qui doivent rendre des comptes face au mécontentement des citoyens, et c’est là que Vivien Schmidt analyse la diversité des situations nationales impactées par l’intégration européenne.
Pour résumer une étude subtile, approfondie, et nourrie d’exemples concrets, l’auteure montre que cet impact a été plus fort sur les "systèmes simples des Etats unitaires" (France, Royaume-Uni) que sur les "systèmes composés à structures fédérales ou régionalisées" (Allemagne, Italie). Les compromis négociés à l’échelle européenne sont plus déstabilisants pour les premiers, habitués à des gouvernements forts et à une polarisation entre majorité et opposition, que pour les seconds, habitués aux négociations complexes et aux compromis.
Mais l’analyse est beaucoup plus nuancée que cette opposition schématique. Les gouvernements unitaires de France et du Royaume-Uni ont été plus capables d’imposer leurs préférences au niveau européen, dans une approche donnant la priorité au levier gouvernemental, mais en en faisant un usage différent : autant les dirigeants français ont toujours cherché (Nicolas Sarkozy inclus) à faire de l’UE une extension de la souveraineté nationale, et ont insisté sur le leadership de la France en Europe. »
C’est aussi sur la notion de démocratie qu’il convient de revenir !