Ni conclusion ni construction théorique, cette contribution se conçoit plutôt comme un propos d’étape rassemblant des remarques et réflexions issues d’une pratique qui cherchait à être européenne. Travaillant en effet sur les lieux de mémoire – et donc à partir d’une interrogation très française dans ses origines et ses premières expressions –, mais le faisant dans un cadre qui n’est pas français, puisque cette approche est appliquée à l’espace allemand, je m’interroge, avec d’autres collègues européens, sur la question de savoir si la notion de lieux de mémoire peut s’appliquer ailleurs. Il s’agit donc d’une expérience de transfert et d’adaptation qui renvoie à la validité des concepts de départ, au cours de laquelle il est apparu que nombre de sujets ont une dimension transnationale et ne peuvent être vraiment saisis qu’à condition de déborder le cadre national et de se hisser à une dimension véritablement européenne.
Le point de départ est la notion de lieux de mémoire, que Pierre Nora (1984-1992) a popularisée en France – une notion qui, à dire vrai, est beaucoup plus une métaphore qu’un concept et dont le succès tient en partie à l’imprécision. Le lieu de mémoire tel que Pierre Nora l’entend n’est pas simplement le monument ou le site célèbre, mais tout ce qui à un moment donné dans l’histoire d’une collectivité – et selon lui une collectivité nationale – a réussi à cristalliser et à fixer des souvenirs, des émotions et des symboles faisant sens pour le groupe, de façon à en faire des éléments constitutifs d’une mémoire collective. Plus encore que la dimension factuelle et fonctionnelle, la dimension symbolique couplée à des pratiques sociales concrètes fait véritablement le lieu de mémoire. Une étude des lieux de mémoire qui se contenterait de faire ce qui est le plus facile, c’est-à-dire l’historiographie du souvenir d’une notion, ou d’un épisode historique, ou bien l’historiographie des formes de commémoration, ne suffirait pas. Si l’on veut vraiment prendre au sérieux la notion de lieu de mémoire, il faut aller au-delà pour scruter les pratiques sociales, les pratiques symboliques et les interactions entre les formes d’appropriation collectives et les formes d’appropriation individuelles ou particulières.
La notion de lieu de mémoire a eu en France un énorme succès qui a surpris son promoteur. Elle a même fait son entrée dans Le Petit Robert. Ce succès est lié à la passion patrimoniale qui s’est emparée de la France comme des autres pays occidentaux. Mais il est aussi lié au flou de la notion. Tout se passe en effet comme si elle avait pris la suite de ces notions aux évocations multiples et au chatoiement sémantique – telles celles de structure ou encore de mentalité – qu’affectionnent les historiens français et qui, tant qu’elles sont portées par la nouveauté, sont fécondes et permettent l’exploration de nouveaux domaines de recherche – jusqu’au moment où, ayant fait leur temps, on se rend compte qu’elles sont une image, une métaphore, une « notion éponge » comme disent les Allemands, et non pas un concept véritablement opératoire.
1. Quelle mémoire collective européenne ?
Trois entrées sont retenues pour aborder la question de ce qui serait une mémoire collective européenne, tirant leur matériau de trois événements : l’organisation à Berlin d’une exposition intitulée « Les mythes des nations » ; le déroulement à Leipzig d’un séminaire sur « 1968, événement européen » ; et enfin un autre séminaire à Berlin sur les lieux de mémoire allemands et européens.
L’exposition « Les mythes des nations »
Cette première série de remarques s’inspire d’un travail avec une équipe du Musée historique allemand de Berlin qui avait la charge d’une exposition intitulée « Les mythes des nations » (Flacke, 1998 ; François, 2000). Très ambitieuse, cette exposition montée par un musée qui se conçoit lui-même comme un musée européen avait pour objectif de montrer comment à la fin du xixe siècle dix-huit nations se représentaient leur passé, comment dans chacune d’entre elles ceux qui étaient en charge de l’enseignement de l’histoire, mais aussi les peintres d’histoire, les compositeurs d’opéras à sujet historique, ou encore les auteurs de romans historiques, ont représenté le passé de leur pays. Afin de faciliter la comparaison, l’équipe en charge de l’exposition, une équipe européenne, dans laquelle les Allemands étaient en minorité, avait sélectionné pour chacun des pays retenus (de la Russie à l’Allemagne, et de la Norvège à la Grèce) les cinq mythes fondateurs historiques les plus fréquemment évoqués. Idée aussi séduisante que féconde, elle permettait la comparaison et facilitait le travail de rassemblement des tableaux, des statues, des gravures et autres objets présentés dans l’exposition au printemps 1998. De cette expérience on peut tirer une première conclusion forte : mis côte à côte, ces tableaux et autres objets avaient entre eux un air de famille très prononcé. La manière dont les peintres russes représentent les grandes scènes de la mythologie nationale de leur pays diffère très peu dans sa facture de celle des peintres tchèques, néerlandais ou italiens. Ces similitudes ne sont pas simplement formelles ; elles tiennent aussi au fait que, d’un pays à un autre, il y a des thèmes récurrents, comme si finalement tous ceux qui avaient en charge à la fin du xixe siècle de représenter l’histoire de leur pays cherchaient à prouver aux habitants de ces pays comme aux habitants des pays voisins que leur nation était la meilleure nation européenne. D’un pays à l’autre, on pouvait donc reconnaître une dimension européenne très forte, s’exprimant en particulier par la circulation de thèmes communs partout présents. Le thème de la liberté traverse ainsi tous les pays européens, dans sa double dimension d’attachement à l’indépendance et d’attachement aux libertés intérieures – dans la postérité du message de la Révolution française. Il s’agit là d’un thème si puissant qu’on le retrouve, réfracté différemment, dans tous les pays, y compris les pays alors les plus autoritaires : dans l’Empire des tsars, la peinture officielle représente ces derniers comme les défenseurs des libertés du peuple russe, comme s’il fallait légitimer l’autocratie par référence aux valeurs libérales de l’Occident. L’air de famille va au-delà d’une simple apparence extérieure et renvoie à des valeurs communes. Il en est de même pour la religion : chaque nation européenne à la fin du xixe siècle fait une large place au christianisme dans sa mythologie. Elle se présente à la fois comme le peuple élu au sens messianique du terme et comme le meilleur interprète du christianisme. Chacun se réclame donc du christianisme, mais en même temps – et illustrant par la même la difficulté que l’on a à saisir une véritable mémoire européenne – s’empresse de dire que le christianisme n’est véritablement vécu que chez lui. Il souligne chez l’adversaire un christianisme abâtardi, non authentique, dont il faudrait plutôt se méfier. L’intransigeant catholicisme espagnol a un mépris profond pour le catholicisme italien – même si le pape est à Rome – et il en va de même de l’attitude du protestantisme anglais à l’égard du protestantisme allemand. Un troisième exemple pourrait être celui de la Révolution française. Présente dans la mémoire de pratiquement toutes les nations européennes à la fin du xixe siècle, cette Révolution n’est nulle part la même, chacun l’interprétant à sa manière si bien que, selon l’endroit où l’on se situe, cette référence est tantôt positive, tantôt négative. Les valeurs fondatrices dont se réclament les différents pays sont donc bien les mêmes. Pourtant, lorsqu’on cherche à les saisir dans le concret, on ne peut le faire qu’au travers de leur réfraction dans des cadres nationaux et au service d’une histoire particulière – ce qui renvoie à une question plus générale et décisive pour cette réflexion : comment saisir l’unité dans la diversité et l’unité par la diversité qui paraît constitutive de l’Europe d’alors, et d’aujourd’hui ?
« 1968, événement européen »
Le second ensemble d’observations est issu d’un colloque organisé en 1993 à Leipzig avec des collègues de différents pays européens pour travailler autour de la question suivante : peut-on considérer 1968 comme un événement européen, lui-même constitutif d’une mémoire européenne (François, Middell et al., 1997) ? Ici encore, l’air de parenté des différents mouvements de l’année 1968 a paru s’imposer dans un premier temps – un air de parenté si frappant qu’il laissait penser qu’on avait eu affaire en 1968 moins à une simple concomitance qu’à un mouvement européen caractérisé par des circulations très fortes d’un bout à l’autre du continent. La similitude des dynamiques culturelles, sociales et politiques enclenchées par les événements de 1968 frappait aussi les analystes, unanimes à constater que 1968 était un véritable lieu de mémoire dans la mesure où les événements de 1968 ont donné naissance à une génération, qui se définit par rapport à eux, une génération formée essentiellement d’intellectuels occupant aujourd’hui d’importants postes de responsabilités – tels, pour l’Allemagne d’aujourd’hui, le chancelier Gerhard Schröder et, plus encore, le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer.
Une fois cette parenté constatée, si l’on tente de mieux cerner ce qu’est la génération et la mémoire de 1968, on s’aperçoit de nouveau que tout est brouillé par l’interférence du cadre national. On constate d’abord que dans certains pays il ne s’est rien passé en 1968. Ainsi en est-il, et ce n’est pas le seul cas, de l’ancienne RDA, et pas seulement parce que le pouvoir politique et le pouvoir policier y ont veillé. À côté des pays qui ont vibré très intensément, d’autres sont restés étonnamment calmes et d’autres paraissent même être restés insensibles, ce qui empêche de dire qu’on a eu affaire à un mouvement ayant saisi l’ensemble de l’Europe. Dans le détail, on constate en outre que les chronologies ne sont pas synchrones. En France comme en Allemagne, on parle de mai 1968 ; mais tandis qu’en France la chronologie est très ramassée, avec une montée aux extrêmes due à une politisation très forte en mai 1968 précisément, en Allemagne en revanche, on observe ce que les Italiens appellent le mai rampant, un mai qui démarre dès 1967 et trouve son apogée à l’automne 1968. À cela s’ajoutent à la fois les différences tenant aux intentions des acteurs et l’interférence des mémoires nationales sur les objectifs. Autant l’Europe de l’Ouest voulait faire la révolution, autant l’Europe de l’Est à l’inverse voulait réformer le socialisme de l’intérieur. Dans un cas comme dans l’autre, on se réclamait de Marx, mais certainement pas du même. On s’aperçoit surtout que, dans les différents pays, le poids des mémoires spécifiques et des enjeux de mémoire a été déterminant. Dans le cas de la France, on sait bien que l’imaginaire historique constitué par la prise de la Bastille, les grèves générales de 1936, ou bien encore les barricades – depuis la Fronde jusqu’à la Libération de 1944 –, a joué un rôle déterminant dans le déroulement des événements de mai 1968. Dans l’Allemagne occidentale, les enjeux de mémoire ont été tout aussi importants mais différents : l’essentiel du débat a porté sur la mémoire du nazisme et la question de savoir si, loin d’avoir été exorcisé, le fascisme n’était pas toujours présent, masqué derrière le silence des générations de la reconstruction et les apparences trompeuses de l’ordre démocratique et libéral. En Pologne, enfin, un des grands débats de 1968 a été celui de la place à donner aux Juifs, avec en particulier la politique « antisioniste » du général Moczar – et le soutien que celle-ci a trouvé dans de larges secteurs de l’opinion publique. On se trouve ainsi en face de trois contextes mémoriels différents qui déterminent à leur tour la manière dont a lieu l’événement, et ses répercussions. Alors que dans une approche d’ensemble les éléments de ressemblance et les phénomènes d’interaction l’emportent d’évidence, dans le détail on retrouve la diversité. La dimension européenne de 1968 serait donc à chercher avant tout dans l’interaction entre des processus qui affectent l’ensemble des sociétés européennes de l’Est et de l’Ouest et des contextes particuliers, ce qui fait que ces processus spécifiques sont fortement différenciés, non interchangeables et finalement irréductibles les uns aux autres.
Les lieux de mémoire allemands et européens
Il s’agit enfin d’évoquer les conclusions tirées d’un séminaire animé avec un ami historien allemand, Hagen Schulze, à l’Université libre de Berlin sur les lieux de mémoire allemands et européens, à partir de l’approche de Pierre Nora. À la suite de ce séminaire – où ont pris forme les trois volumes des Deutsche Erinnerungsorte –, nous avons tenté en 1998 d’élargir la perspective, de sortir du cadre de la nation et de nous mettre en quête des lieux de mémoire européens. Avec un groupe d’étudiants très motivés, nous avons ainsi évoqué la mémoire de l’Antiquité, l’Université comme une forme sociale et intellectuelle spécifique de l’Occident puis de l’Europe, la mémoire des croisades et de la confrontation avec l’Islam, la noblesse comme réalité européenne, les révolutions (Révolution française, révolution soviétique), etc. Cette exploration a vite convaincu de l’extrême difficulté de saisir précisément ce qu’il faut entendre par mémoire européenne – et d’abord en raison de problèmes de définitions. Autour de chacun des lieux de mémoire étudiés, on a vu s’articuler des fragments d’une possible mémoire européenne ; mais dès que l’on cherchait à préciser davantage sous forme d’une géographie, réelle ou imaginaire, d’une chronologie, de pratiques identifiables, de milieux porteurs, on se heurtait toujours à des questions auxquelles il était pratiquement impossible d’apporter des réponses satisfaisantes. De quelle Europe parlions-nous : de la vieille chrétienté latine, de l’Europe des nations anciennes et stabilisées, d’une Europe incluant la Russie, du monde occidental et transatlantique ? À la différence de ce qui se passait lorsque ces questions étaient traitées dans un cadre national, deux questions restaient sans véritables réponses : la première avait trait aux milieux porteurs de mémoire – question dont on sait depuis l’enquête pionnière de Maurice Halbwachs (1925) sur Les cadres sociaux de la mémoire à quel point elle est déterminante. Or, en dehors de quelques petits milieux d’intellectuels, qui à des moments variés dans l’histoire de l’Europe se sont interrogés sur la réalité européenne, dans la plupart des cas nous n’arrivions pas à saisir de véritables milieux de mémoire européens. La deuxième question, qui renvoie aussi aux travaux de Maurice Halbwachs (1941), est celle des lieux matériels et symboliques où s’inscrit une mémoire en tant que pratique. Or là aussi, les seuls lieux faciles à saisir sont des lieux de rupture et de conflit – des innombrables champs de bataille à Auschwitz –, comme si l’Europe ne se laissait saisir qu’en creux, dans ses déchirures et non dans ses pleins.
2. Comment appréhender des éléments de mémoire européenne ?
Au contraire de ce constat un peu décevant – peut-être simple conséquence d’un problème mal posé ou de la recherche de réponses à d’insolubles questions –, d’autres fonctionnements peuvent mettre sur la piste d’éléments praticables de mémoire européenne.
Un exemple sans substance : Aix-la-Chapelle et le prix Charlemagne
Écartons d’abord ces lieux de mémoire européens inventés par des politiques ou par des eurocrates animés des meilleures intentions, mais qui sont de pures constructions idéologiques ne renvoyant à rien. Un des grands problèmes auxquels sont confrontés les politiques qui sont en train de construire l’Union européenne est ce qu’ils appellent perpétuellement le déficit d’identité. Ce déficit d’identité découle largement du fait qu’ils imaginent l’Europe comme une sorte de grande nation, et pensent donc qu’on devrait pouvoir retrouver en son sein des structures mémorielles, des institutions de transmission de la mémoire, et des lieux aussi bien pédagogiques que monumentaux, comparables à ceux des États nationaux. Or rien de cela n’existe. D’où, pour lutter contre cet état de fait, toute une série d’initiatives volontaristes d’en haut, dont l’exemple le plus net – et le plus ancien – est sans doute le prix Charlemagne. Ce prix a été créé en 1950 à Aix-la-Chapelle et est décerné chaque année à une personnalité européenne pour récompenser ses mérites. Or quand on examine de près les raisons qui ont conduit à la création de ce prix et la manière dont se déroule son attribution, on discerne une caricature de lieu de mémoire européen. Aix-la-Chapelle a été choisie pour ce prix, dont l’initiative revient aux élites municipales et économiques de la ville, parce que cette dernière est à la jonction entre l’Allemagne, la Belgique et la France – et donc au cœur de l’Europe qui fut le point de départ de la future construction européenne. Le nom donné au prix renvoie à l’idéologie foncièrement démocrate-chrétienne et anticommuniste des fondateurs de l’Union européenne, désireux de légitimer leur projet par référence à un passé glorieux et réinventé, le passé de la chrétienté occidentale réinterprétée comme anticipation de l’Europe en gestation – une motivation dont les promoteurs du prix ne font aucun mystère. La liste des personnalités à qui a été remis le prix est tout aussi éloquente : les lauréats sont en général des hommes politiques en fin de carrière qui ont rendu des services à la construction européenne, personnalités consensuelles qui correspondent bien à la moyenne de la définition de l’Europe occidentale. Cette liste n’offre pas prise à débat. Bref, il s’agit d’un lieu de mémoire neutre, aseptisé, totalement instrumentalisé et sans véritable ancrage, qui est plus un contre-exemple de mémoire européenne qu’un authentique lieu de mémoire européen.
Beaucoup plus porteuses pour le présent, et pour l’avenir, sont ces initiatives qui, en Europe occidentale mais aussi dans l’Europe de l’Est, essayent de saisir ce que pourraient être des morceaux de mémoire européenne dans des lieux de rencontres, des lieux de confrontations, dans des interstices où il y a du jeu, dans une double dimension de conflit et d’invention. Ces lieux sont, en Europe occidentale, les innombrables lieux d’affrontement des nations européennes et les monuments qui les commémorent, ces lieux où chacun s’est battu avec son voisin, au nom d’une certaine conception de la nation, mais aussi au nom d’une certaine conception de l’Europe et de ses valeurs.
Lectures plurielles de mémoires : l’historial de Péronne et l’exposition GrenzenLos à Sarrebruck
L’historial de Péronne ne présente pas une vision unique de la guerre de 1914-1918. Il fait se superposer et se confronter en permanence les perceptions qu’en ont eues Anglais, Allemands et Français. Un lieu donc qui ne propose pas une vision unique et réductrice de la guerre, mais en suggère trois lectures différentes, qui ont toutes la même légitimité et correspondent à autant d’expériences concrètes. Lorsque l’on pénètre dans l’historial de Péronne, la disposition même des vitrines et des objets fait qu’on est immédiatement confronté à la pluralité des perceptions, qu’on ne peut faire autrement que de les saisir en profondeur, dans leurs contradictions et dans leur pluralité, et non pas dans une réduction à l’unité qui est toujours une forme de trahison.
L’exposition a été montée en 1998-1999 par le Musée historique de la Sarre sous le titre GrenzenLos, qui signifie à la fois « Débarrassons-nous des frontières » et « Le sort des frontières » est un autre exemple (Kugler, 1998). À partir de scènes tirées de la vie quotidienne, d’exemples d’itinéraires familiaux, en s’appuyant sur des objets concrets et ordinaires, cette exposition faisait revivre ce qu’avait pu être le tracé des frontières et leur oscillation dans une région contestée entre la France et l’Allemagne, depuis le début du xixe siècle jusqu’au rattachement définitif de la Sarre à la République fédérale en 1956. Non pas une histoire politique par en haut, mais beaucoup plus une histoire subjective, d’en bas, par des itinéraires de familles, par la reconstitution d’arbres généalogiques, par des photos montrant l’inscription des trajectoires de vie des personnes identifiées dans un cadre national ou dans un autre, l’ensemble faisant ressentir ce qu’avait pu représenter le fait de vivre dans ces régions, où on ne peut pas penser l’un sans penser l’autre.
Des lieux de mémoires partagé(e)s, Tannenberg-Grunwald
Lors de l’exposition sur les « mythes des nations », on pouvait être frappé par le grand nombre d’événements et de figures du passé de l’Europe dont plusieurs pays se réclament tout en se les disputant. Il s’agit là au sens propre du terme de « mémoires partagées », c’est-à-dire de mémoires qui partagent et que l’on se partage. Or de tels « lieux de mémoires partagé(e)s » sont légion et rien n’est plus instructif que d’en faire un travail de déconstruction et de reconstruction historique. Ainsi en va-t-il de l’exemple de Tannenberg-Grunwald, lieu de mémoire germano-polonais dont on peut reconstituer toute l’histoire, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. En 1410 les chevaliers Teutoniques sont défaits par une armée commandée à la fois par le roi de Pologne Ladislas II Jagellon et le grand-duc de Lituanie : cette défaite a été par la suite réinterprétée dans un sens national, alors qu’au départ il s’agissait d’un conflit sans le moindre enjeu national, entre princes se disputant un même territoire et s’affrontant avec des armées multiethniques, composées dans un camp comme dans l’autre de soldats d’origine slave et germanique.
Sur place, en Pologne, la mémoire de la défaite spectaculaire des chevaliers Teutoniques s’est d’abord transmise sous une forme religieuse et liturgique, par l’intermédiaire de processions rappelant la bataille et de cérémonies célébrant son souvenir à la date anniversaire du 15 juillet. Totalement dépourvue de dimension nationale, cette mémoire liturgique et religieuse est la seule que l’on rencontre jusqu’au début du xixe siècle. Un deuxième temps de la mémoire de la bataille s’ouvre avec le xixe siècle. Il est marqué par sa redécouverte et surtout sa réinterprétation sous le signe du durcissement de l’antagonisme entre Allemagne et Pologne, l’une et l’autre se disputant le même héritage au service de leur cause, l’Allemagne au service de son unité nationale, et la Pologne, privée d’État national et démembrée, au service de la préservation de son identité.
Avec un remarquable parallélisme chronologique, un processus de divergence croissante dans l’interprétation politique, idéologique et nationale du même événement fondateur s’enclenche alors. Du côté prussien, puis allemand, on commence à interpréter la défaite de Tannenberg comme la défaite des Allemands devant les Slaves, et donc comme une humiliation appelant à la revanche. Le grand maître de l’ordre Teutonique est présenté comme un champion de la cause de la germanité assimilée à la cause de l’Europe. Cette réinterprétation culmine avec la restauration, à l’initiative de la monarchie prussienne et sous la conduite de l’architecte Schinkel, de la forteresse des chevaliers Teutoniques de Marienburg (en Prusse occidentale), avec l’édification de statues à la mémoire du grand maître, et surtout avec la publication de toute une série de récits qui glorifient l’héroïsme des chevaliers Teutoniques et appellent à suivre leur exemple, pour que l’Allemagne soit le champion de la civilisation européenne face à la barbarie slave. De la même manière, dans la Pologne divisée en trois du xixe siècle, qui aspire à devenir un État national mais ne le peut puisque la Sainte-Alliance entre l’Autriche, la Russie et la Prusse le lui interdit, il y a création par les intellectuels polonais d’une relecture de Grunwald. Symbole de l’anticipation de la Pologne à ressusciter, Grunwald est lue comme une victoire, rendue possible par l’âge d’or que la Pologne médiévale connaissait alors. Dans cette réinterprétation, les Polonais sont exaltés en tant que véritables héros de la défense de l’Occident, tandis que les Allemands sont présentés comme des barbares – soit une interprétation qui se trouve dans une situation de symétrie renversée par rapport à l’interprétation allemande, alors même que les éléments de départ sont identiques. Dans la Pologne de la seconde moitié du xixe siècle, un grand nombre de romans historiques célèbrent la victoire de Grunwald, le plus célèbre étant en 1900 Les croisés de Henryk Sienkiewicz, futur prix Nobel de littérature. Ce roman fut aussitôt adopté comme livre de lecture dans les écoles polonaises.
Avec la montée de deux mythologies opposées et en même temps semblables, cette double récupération nationale atteint son apogée dans la première moitié du xxe siècle. Du côté allemand, elle s’exprime par la décision – véritable chef-d’œuvre de guerre psychologique – de Ludendorff de donner, à la victoire que les armées allemandes commandées par le maréchal Hindenburg viennent de remporter à la fin du mois d’août 1914 sur les Russes entrés en Prusse orientale, le nom même de Tannenberg. Un parallèle mythique est ainsi établi entre les deux batailles : la victoire de 1914 devient la revanche de la défaite de 1410, en même temps que l’accomplissement du martyre des chevaliers Teutoniques. Sur ces bases s’édifie par la suite le mythe de Hindenburg, un mythe qui se poursuit durant la République de Weimar. Dès 1927, il trouve son aboutissement dans la construction, sur les lieux du champ de bataille, d’un immense mémorial commémorant le combat éternel des Allemands contre les Slaves. Ce mémorial est destiné à devenir en 1935 le lieu de sépulture du maréchal. Du côté polonais, la volonté de venger l’outrage représenté par l’appropriation frauduleuse de Grunwald-Tannenberg en 1914 trouve enfin à s’exprimer après la défaite de l’Allemagne nazie. Dès 1945, le mémorial de Tannenberg est rasé, tandis que ses briques et ses pierres servent à la reconstruction de Varsovie détruite par les armées nazies. Dans toute la Pologne, cette forme de revanche symbolique, de réappropriation et de retournement se prolonge après 1945 avec la multiplication de mémoriaux qui rappellent dans un même mouvement la victoire de 1410 et celle de 1945.
Or, de tout cela, il ne reste pratiquement plus rien aujourd’hui. Avec la chute du Mur, l’effondrement du bloc soviétique, la réunification allemande et la transition démocratique en Pologne, le contexte a été radicalement transformé. La réconciliation entre l’Allemagne et la Pologne est désormais très avancée et, dans les mutations européennes dont nous sommes les témoins, les Polonais ont tout autant besoin de l’Allemagne pour rentrer dans l’Europe politique et économique, que les Allemands ont besoin des Polonais pour assurer la protection des frontières orientales de l’Europe et consommer les produits de leur industrie. Le contexte ayant changé, tout l’imaginaire d’opposition à partir d’un même héritage contesté est devenu obsolète et les monuments sont à l’abandon. Plus personne en Allemagne ne parle de Tannenberg, et si, en Pologne, on continue encore de parler de Grunwald, chaque fois on s’empresse d’ajouter qu’il s’agit là d’une histoire ancienne et révolue, et que l’avenir repose sur la réconciliation et le partenariat entre l’Allemagne et la Pologne. En d’autres termes, on a ici affaire à un véritable cycle mémoriel, comprenant une première strate prénationale à évolution lente, une montée aux extrêmes concomitante de l’affirmation des États nationaux, et enfin, avec l’apuration du contentieux et le bouleversement du contexte d’ensemble, la retombée de ce qui avait pu un temps mobiliser les passions et les opinions publiques, et qui a cessé d’être un enjeu de mémoire.
Cet exemple présenté de manière un peu plus détaillée montre l’intérêt de poursuivre des enquêtes de ce type et de déconstruire les pluralités d’héritages qui sont les nôtres. Mais il rappelle aussi à quel point les mémoires sont des réalités continuellement instrumentalisées, et surtout à quel point le présent est déterminant dans le regard que l’on porte sur le passé. Il n’y a pas une lecture continue de Tannenberg-Grunwald, mais au contraire pluralité de lectures selon les contextes politiques et culturels, et selon les enjeux du présent, car la vision que l’on a du passé est très largement déterminée par les problèmes auxquels on est confronté dans le présent et par les projets d’avenir sur lesquels on s’affronte. Cette observation ne vaut pas seulement pour le cas de la Pologne et de l’Allemagne ; elle vaut tout autant pour la France et l’Allemagne (ainsi de l’exposition de Sarrebruck), ou encore pour la France, l’Allemagne et l’Angleterre (voir le mémorial de Péronne). Si nous pouvons aujourd’hui porter sur nos héritages d’opposition ce regard pluriel, et que nous essayons de faire pluraliste, c’est parce que nous ne sommes plus dans un contexte d’opposition et que tout l’environnement nous porte à le faire. Mais aurions-nous été capables de le faire au lendemain de la guerre de 1914-1918 ? D’ailleurs les historiens sont aussidépendants du contexte dans lequel ils travaillent, et ils n’échappent pas à ses déterminations. Il est facile, et même de bon ton aujourd’hui, de se mettre en quête des mémoires plurielles et des métissages qui sont à l’origine de ce que nous sommes. Mais il suffit de se reporter au contexte qui était celui des oppositions fortes entre les nations avant la guerre de 1914-1918 ou même encore entre les deux guerres, pour voir aussitôt en quoi ce contexte différent a pu déterminer le travail des historiens – y compris des plus scrupuleux et des plus érudits d’entre eux. On en donne un seul exemple, emprunté aux recherches menées sur l’histoire du protestantisme en France entre 1870 et 1914. Pour la majorité des historiens de cette époque, la priorité était de montrer que l’histoire du protestantisme en France était une histoire essentiellement française, qui ne devait pratiquement rien à Luther. Car dire du protestantisme en France qu’il trouvait ses origines chez Luther, c’était en faire un cheval de Troie de l’ennemi héréditaire allemand – et donc le condamner. D’où l’exaltation de la figure de Calvin que l’on constate alors, l’accent mis sur l’originalité de sa pensée théologique par rapport à celle de Luther, la mise en évidence de l’originalité de la Réforme en France. Rares ont été les historiens qui ont su résister à cette emprise – qu’il s’agisse de Marc Bloch, promoteur de l’histoire européenne comparée, ou de Lucien Febvre qui, nommé comme lui professeur à l’université de Strasbourg après 1918, publiera son beau livre sur le Rhin (Demangeon, Febvre, 1935). Ce livre, à bien des égards un essai sur les mémoires du Rhin, montre que ce fleuve a d’abord été un fleuve de réunion, de brassage, de circulation et que, s’il a été frontière, c’est au sens de lieu de passage, beaucoup plus qu’au sens de lieu de séparation – la frontière comme couture bien plus que comme coupure.
Mémoires de frontière, interstices de conflit et d’invention : PrzemyÊl
Un dernier exemple, emprunté au présent, sert à montrer comment se passent les choses là où les débats ne sont plus simplement des débats d’historiens, mais engagent des secteurs plus importants de la population, autour de véritables enjeux politiques et idéologiques. Cet exemple est celui de la ville polonaise de PrzemyÊl, située à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, et dont l’anthropologue anglais Chris Hann (1998) a remarquablement analysé les tensions et les conflits. À côté d’une majorité polonaise, cette ville a la particularité d’abriter également une minorité gréco-catholique, les uniates, qui, malgré les persécutions de l’époque communiste, est réapparue au grand jour après 1989 et a demandé qu’on lui restitue les églises qui étaient les siennes avant la guerre. Au cœur du contentieux : la demande de restitution de l’ancienne cathédrale attribuée par le régime communiste à un ordre religieux catholique romain. Or, alors même que la doctrine officielle en Pologne est celle de la reconnaissance du pluralisme religieux, et en dépit du soutien apporté par le pape Jean-Paul II aux uniates, cette demande de restitution a fait l’objet d’oppositions très vives. Finalement ce sont les plus durs, hostiles à toute restitution, qui l’ont emporté. Alors que les radicaux qui ont fait obstacle à la rétrocession de la cathédrale aux uniates sont très peu nombreux, pourquoi cette victoire de l’intransigeance ? Pourquoi la complaisance tacite de la municipalité qui accepte les coups de force de cette minorité et ensuite les ratifie administrativement ? Pourquoi ces conflits violents au terme desquels l’emporte, contre toute attente, une minorité intégriste qui se réclame d’une conception exclusive et purement ethnique de la nation polonaise ?
La première raison que l’on pourrait tenter d’invoquer est l’intensité des conflits de mémoire. De fait, la région de PrezmyÊl, la Galicie, a eu une histoire récente mouvementée et tragique, marquée par des conflits sanglants. On évoque les affrontements entre nationalistes polonais et ukrainiens au lendemain de la guerre de 1914-1918, d’autant plus violents que les enjeux nationaux et les enjeux confessionnels se recoupaient pratiquement à l’identique. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est gréco-catholique, cela veut dire qu’il est ukrainien, et de quelqu’un qu’il est catholique romain, cela veut dire qu’il est polonais. On rappelle la réactivation de tous ces conflits pendant la Seconde Guerre mondiale, les occupants allemands prenant le parti des Ukrainiens contre les Polonais. On note enfin les affrontements qui se prolongent après 1945 avec une résistance armée ukrainienne sur place, puis des mesures répressives très brutales prises par les autorités de la Pologne socialiste pour mettre fin à cette guérilla. Ces mesures de purification ethnique entraînent la dissémination forcée des populations ukrainiennes du Sud-Est à travers toute la Pologne, de sorte qu’il n’y ait jamais plus de deux ou trois familles ukrainiennes dans un village ; l’implantation des Ukrainiens déportés, de préférence, dans la partie occidentale de la Pologne, c’est-à-dire dans les anciennes terres allemandes elles-mêmes habitées par des Polonais expulsés d’Ukraine, etc.
Mais pour importants que soient ces conflits de mémoire, Chris Hann constate qu’ils ne suffisent pas à rendre compte de la violence des affrontements. Les véritables raisons – rarement avouées – sont à chercher du côté des questions ouvertes sur le présent et sur l’avenir, auxquelles pour l’instant la Pologne n’a pas encore apporté de réponse claire. Ces questions sont de deux ordres. La première – de portée plus générale – porte sur la définition de la nation polonaise. La nation polonaise de 1989 est l’héritière des purifications ethniques de la Sconde Guerre mondiale et de l’immédiat après-guerre. Les Juifs ayant été massacrés par les Allemands, les Allemands expulsés à la fin de la guerre et les quelques Ukrainiens survivants dispersés à travers l’espace polonais pour qu’ils deviennent eux-mêmes des Polonais, la Pologne des années 80 était un des pays européens les plus homogènes éthniquement avec seulement 1 % de minorité nationale. Correspond-il pour autant à une réalité authentique ? Que faire surtout lorsque cette apparente uniformisation de la Pologne sous le signe de l’homogénéité ethnique, du catholicisme triomphant et du socialisme (les deux se définissant l’un par rapport à l’autre) est doublement remise en question, par la réapparition de minorités que l’on croyait totalement résorbées et par les valeurs de pluralisme de l’Europe occidentale à laquelle on cherche à adhérer ? En d’autres termes, que faire de la définition de la nation polonaise héritée de l’histoire récente ? Peut-elle être conservée ou ne doit-elle pas plutôt céder la place à une nouvelle définition adaptée aux enjeux du présent et de l’avenir ? La seconde question, propre à PrezmyÊl et à sa région, est celle des rapports à entretenir avec l’Ukraine et les Ukrainiens. En effet, PrezmyÊl est une ville frontière, située dans une région pauvre de la Pologne, et qui vit essentiellement du marché noir et du trafic avec les Ukrainiens. On estime que le tiers des ressources des habitants de la région en proviendrait. Or les Ukrainiens sont à la fois indispensables à la survie économique de la Galicie, et méprisés et récusés. Comment donc se situer face à ces derniers ? Comment concevoir la frontière avec l’Ukraine ? Doit-elle être une frontière hermétique comme le voudrait la définition de la nation héritée de l’après-guerre – avec tous les risques de crise économique qui en découleraient –, ou doit-elle être au contraire une frontière perméable pour garantir les bénéfices qu’on en retire – avec tous les risques de remise en cause identitaire qui en découlent ? Liées l’une à l’autre, ces deux questions ne sont plus simplement des questions de mémoire ; elles sont avant tout des questions politiques qui touchent au présent et à l’avenir, à la définition de l’espace régional et à l’inscription dans un espace plus général. C’est par rapport à elles que se comprend la réactivation des conflits de mémoire.
Au terme de cette contribution, les questions sont plus nombreuses que les réponses. Elles portent à la fois sur les approches et les méthodes à mettre en œuvre pour essayer de saisir ce que peut être une mémoire européenne – si tant est qu’elle existe –, et sur les liens qui existent entre enjeux de mémoire d’un côté et choix de présent et de futur de l’autre. Quand et en quoi le passé détermine-t-il le présent ? Quand et en quoi est-il une ressource dans laquelle on va chercher les références et arguments qui permettront de mieux mener les combats du présent et de l’avenir ? Quand et en quoi la présence du passé, c’est-à-dire la mémoire, est-elle poids, pour reprendre l’excellente formule de Marie-Claire Lavabre (1991) ? Quand et en quoi est-elle choix ? Telles sont les questions auxquelles nous sommes tous confrontés à des titres divers – en tant que chercheurs et en tant que citoyens – et auxquelles il est souvent bien difficile de répondre. Le défi est d’importance, mais nous devons savoir le relever. Car – pour citer encore une fois Pierre Nora – « si la mémoire divise, l’histoire rassemble ».
Le point de départ est la notion de lieux de mémoire, que Pierre Nora (1984-1992) a popularisée en France – une notion qui, à dire vrai, est beaucoup plus une métaphore qu’un concept et dont le succès tient en partie à l’imprécision. Le lieu de mémoire tel que Pierre Nora l’entend n’est pas simplement le monument ou le site célèbre, mais tout ce qui à un moment donné dans l’histoire d’une collectivité – et selon lui une collectivité nationale – a réussi à cristalliser et à fixer des souvenirs, des émotions et des symboles faisant sens pour le groupe, de façon à en faire des éléments constitutifs d’une mémoire collective. Plus encore que la dimension factuelle et fonctionnelle, la dimension symbolique couplée à des pratiques sociales concrètes fait véritablement le lieu de mémoire. Une étude des lieux de mémoire qui se contenterait de faire ce qui est le plus facile, c’est-à-dire l’historiographie du souvenir d’une notion, ou d’un épisode historique, ou bien l’historiographie des formes de commémoration, ne suffirait pas. Si l’on veut vraiment prendre au sérieux la notion de lieu de mémoire, il faut aller au-delà pour scruter les pratiques sociales, les pratiques symboliques et les interactions entre les formes d’appropriation collectives et les formes d’appropriation individuelles ou particulières.
La notion de lieu de mémoire a eu en France un énorme succès qui a surpris son promoteur. Elle a même fait son entrée dans Le Petit Robert. Ce succès est lié à la passion patrimoniale qui s’est emparée de la France comme des autres pays occidentaux. Mais il est aussi lié au flou de la notion. Tout se passe en effet comme si elle avait pris la suite de ces notions aux évocations multiples et au chatoiement sémantique – telles celles de structure ou encore de mentalité – qu’affectionnent les historiens français et qui, tant qu’elles sont portées par la nouveauté, sont fécondes et permettent l’exploration de nouveaux domaines de recherche – jusqu’au moment où, ayant fait leur temps, on se rend compte qu’elles sont une image, une métaphore, une « notion éponge » comme disent les Allemands, et non pas un concept véritablement opératoire.
1. Quelle mémoire collective européenne ?
Trois entrées sont retenues pour aborder la question de ce qui serait une mémoire collective européenne, tirant leur matériau de trois événements : l’organisation à Berlin d’une exposition intitulée « Les mythes des nations » ; le déroulement à Leipzig d’un séminaire sur « 1968, événement européen » ; et enfin un autre séminaire à Berlin sur les lieux de mémoire allemands et européens.
L’exposition « Les mythes des nations »
Cette première série de remarques s’inspire d’un travail avec une équipe du Musée historique allemand de Berlin qui avait la charge d’une exposition intitulée « Les mythes des nations » (Flacke, 1998 ; François, 2000). Très ambitieuse, cette exposition montée par un musée qui se conçoit lui-même comme un musée européen avait pour objectif de montrer comment à la fin du xixe siècle dix-huit nations se représentaient leur passé, comment dans chacune d’entre elles ceux qui étaient en charge de l’enseignement de l’histoire, mais aussi les peintres d’histoire, les compositeurs d’opéras à sujet historique, ou encore les auteurs de romans historiques, ont représenté le passé de leur pays. Afin de faciliter la comparaison, l’équipe en charge de l’exposition, une équipe européenne, dans laquelle les Allemands étaient en minorité, avait sélectionné pour chacun des pays retenus (de la Russie à l’Allemagne, et de la Norvège à la Grèce) les cinq mythes fondateurs historiques les plus fréquemment évoqués. Idée aussi séduisante que féconde, elle permettait la comparaison et facilitait le travail de rassemblement des tableaux, des statues, des gravures et autres objets présentés dans l’exposition au printemps 1998. De cette expérience on peut tirer une première conclusion forte : mis côte à côte, ces tableaux et autres objets avaient entre eux un air de famille très prononcé. La manière dont les peintres russes représentent les grandes scènes de la mythologie nationale de leur pays diffère très peu dans sa facture de celle des peintres tchèques, néerlandais ou italiens. Ces similitudes ne sont pas simplement formelles ; elles tiennent aussi au fait que, d’un pays à un autre, il y a des thèmes récurrents, comme si finalement tous ceux qui avaient en charge à la fin du xixe siècle de représenter l’histoire de leur pays cherchaient à prouver aux habitants de ces pays comme aux habitants des pays voisins que leur nation était la meilleure nation européenne. D’un pays à l’autre, on pouvait donc reconnaître une dimension européenne très forte, s’exprimant en particulier par la circulation de thèmes communs partout présents. Le thème de la liberté traverse ainsi tous les pays européens, dans sa double dimension d’attachement à l’indépendance et d’attachement aux libertés intérieures – dans la postérité du message de la Révolution française. Il s’agit là d’un thème si puissant qu’on le retrouve, réfracté différemment, dans tous les pays, y compris les pays alors les plus autoritaires : dans l’Empire des tsars, la peinture officielle représente ces derniers comme les défenseurs des libertés du peuple russe, comme s’il fallait légitimer l’autocratie par référence aux valeurs libérales de l’Occident. L’air de famille va au-delà d’une simple apparence extérieure et renvoie à des valeurs communes. Il en est de même pour la religion : chaque nation européenne à la fin du xixe siècle fait une large place au christianisme dans sa mythologie. Elle se présente à la fois comme le peuple élu au sens messianique du terme et comme le meilleur interprète du christianisme. Chacun se réclame donc du christianisme, mais en même temps – et illustrant par la même la difficulté que l’on a à saisir une véritable mémoire européenne – s’empresse de dire que le christianisme n’est véritablement vécu que chez lui. Il souligne chez l’adversaire un christianisme abâtardi, non authentique, dont il faudrait plutôt se méfier. L’intransigeant catholicisme espagnol a un mépris profond pour le catholicisme italien – même si le pape est à Rome – et il en va de même de l’attitude du protestantisme anglais à l’égard du protestantisme allemand. Un troisième exemple pourrait être celui de la Révolution française. Présente dans la mémoire de pratiquement toutes les nations européennes à la fin du xixe siècle, cette Révolution n’est nulle part la même, chacun l’interprétant à sa manière si bien que, selon l’endroit où l’on se situe, cette référence est tantôt positive, tantôt négative. Les valeurs fondatrices dont se réclament les différents pays sont donc bien les mêmes. Pourtant, lorsqu’on cherche à les saisir dans le concret, on ne peut le faire qu’au travers de leur réfraction dans des cadres nationaux et au service d’une histoire particulière – ce qui renvoie à une question plus générale et décisive pour cette réflexion : comment saisir l’unité dans la diversité et l’unité par la diversité qui paraît constitutive de l’Europe d’alors, et d’aujourd’hui ?
« 1968, événement européen »
Le second ensemble d’observations est issu d’un colloque organisé en 1993 à Leipzig avec des collègues de différents pays européens pour travailler autour de la question suivante : peut-on considérer 1968 comme un événement européen, lui-même constitutif d’une mémoire européenne (François, Middell et al., 1997) ? Ici encore, l’air de parenté des différents mouvements de l’année 1968 a paru s’imposer dans un premier temps – un air de parenté si frappant qu’il laissait penser qu’on avait eu affaire en 1968 moins à une simple concomitance qu’à un mouvement européen caractérisé par des circulations très fortes d’un bout à l’autre du continent. La similitude des dynamiques culturelles, sociales et politiques enclenchées par les événements de 1968 frappait aussi les analystes, unanimes à constater que 1968 était un véritable lieu de mémoire dans la mesure où les événements de 1968 ont donné naissance à une génération, qui se définit par rapport à eux, une génération formée essentiellement d’intellectuels occupant aujourd’hui d’importants postes de responsabilités – tels, pour l’Allemagne d’aujourd’hui, le chancelier Gerhard Schröder et, plus encore, le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer.
Une fois cette parenté constatée, si l’on tente de mieux cerner ce qu’est la génération et la mémoire de 1968, on s’aperçoit de nouveau que tout est brouillé par l’interférence du cadre national. On constate d’abord que dans certains pays il ne s’est rien passé en 1968. Ainsi en est-il, et ce n’est pas le seul cas, de l’ancienne RDA, et pas seulement parce que le pouvoir politique et le pouvoir policier y ont veillé. À côté des pays qui ont vibré très intensément, d’autres sont restés étonnamment calmes et d’autres paraissent même être restés insensibles, ce qui empêche de dire qu’on a eu affaire à un mouvement ayant saisi l’ensemble de l’Europe. Dans le détail, on constate en outre que les chronologies ne sont pas synchrones. En France comme en Allemagne, on parle de mai 1968 ; mais tandis qu’en France la chronologie est très ramassée, avec une montée aux extrêmes due à une politisation très forte en mai 1968 précisément, en Allemagne en revanche, on observe ce que les Italiens appellent le mai rampant, un mai qui démarre dès 1967 et trouve son apogée à l’automne 1968. À cela s’ajoutent à la fois les différences tenant aux intentions des acteurs et l’interférence des mémoires nationales sur les objectifs. Autant l’Europe de l’Ouest voulait faire la révolution, autant l’Europe de l’Est à l’inverse voulait réformer le socialisme de l’intérieur. Dans un cas comme dans l’autre, on se réclamait de Marx, mais certainement pas du même. On s’aperçoit surtout que, dans les différents pays, le poids des mémoires spécifiques et des enjeux de mémoire a été déterminant. Dans le cas de la France, on sait bien que l’imaginaire historique constitué par la prise de la Bastille, les grèves générales de 1936, ou bien encore les barricades – depuis la Fronde jusqu’à la Libération de 1944 –, a joué un rôle déterminant dans le déroulement des événements de mai 1968. Dans l’Allemagne occidentale, les enjeux de mémoire ont été tout aussi importants mais différents : l’essentiel du débat a porté sur la mémoire du nazisme et la question de savoir si, loin d’avoir été exorcisé, le fascisme n’était pas toujours présent, masqué derrière le silence des générations de la reconstruction et les apparences trompeuses de l’ordre démocratique et libéral. En Pologne, enfin, un des grands débats de 1968 a été celui de la place à donner aux Juifs, avec en particulier la politique « antisioniste » du général Moczar – et le soutien que celle-ci a trouvé dans de larges secteurs de l’opinion publique. On se trouve ainsi en face de trois contextes mémoriels différents qui déterminent à leur tour la manière dont a lieu l’événement, et ses répercussions. Alors que dans une approche d’ensemble les éléments de ressemblance et les phénomènes d’interaction l’emportent d’évidence, dans le détail on retrouve la diversité. La dimension européenne de 1968 serait donc à chercher avant tout dans l’interaction entre des processus qui affectent l’ensemble des sociétés européennes de l’Est et de l’Ouest et des contextes particuliers, ce qui fait que ces processus spécifiques sont fortement différenciés, non interchangeables et finalement irréductibles les uns aux autres.
Les lieux de mémoire allemands et européens
Il s’agit enfin d’évoquer les conclusions tirées d’un séminaire animé avec un ami historien allemand, Hagen Schulze, à l’Université libre de Berlin sur les lieux de mémoire allemands et européens, à partir de l’approche de Pierre Nora. À la suite de ce séminaire – où ont pris forme les trois volumes des Deutsche Erinnerungsorte –, nous avons tenté en 1998 d’élargir la perspective, de sortir du cadre de la nation et de nous mettre en quête des lieux de mémoire européens. Avec un groupe d’étudiants très motivés, nous avons ainsi évoqué la mémoire de l’Antiquité, l’Université comme une forme sociale et intellectuelle spécifique de l’Occident puis de l’Europe, la mémoire des croisades et de la confrontation avec l’Islam, la noblesse comme réalité européenne, les révolutions (Révolution française, révolution soviétique), etc. Cette exploration a vite convaincu de l’extrême difficulté de saisir précisément ce qu’il faut entendre par mémoire européenne – et d’abord en raison de problèmes de définitions. Autour de chacun des lieux de mémoire étudiés, on a vu s’articuler des fragments d’une possible mémoire européenne ; mais dès que l’on cherchait à préciser davantage sous forme d’une géographie, réelle ou imaginaire, d’une chronologie, de pratiques identifiables, de milieux porteurs, on se heurtait toujours à des questions auxquelles il était pratiquement impossible d’apporter des réponses satisfaisantes. De quelle Europe parlions-nous : de la vieille chrétienté latine, de l’Europe des nations anciennes et stabilisées, d’une Europe incluant la Russie, du monde occidental et transatlantique ? À la différence de ce qui se passait lorsque ces questions étaient traitées dans un cadre national, deux questions restaient sans véritables réponses : la première avait trait aux milieux porteurs de mémoire – question dont on sait depuis l’enquête pionnière de Maurice Halbwachs (1925) sur Les cadres sociaux de la mémoire à quel point elle est déterminante. Or, en dehors de quelques petits milieux d’intellectuels, qui à des moments variés dans l’histoire de l’Europe se sont interrogés sur la réalité européenne, dans la plupart des cas nous n’arrivions pas à saisir de véritables milieux de mémoire européens. La deuxième question, qui renvoie aussi aux travaux de Maurice Halbwachs (1941), est celle des lieux matériels et symboliques où s’inscrit une mémoire en tant que pratique. Or là aussi, les seuls lieux faciles à saisir sont des lieux de rupture et de conflit – des innombrables champs de bataille à Auschwitz –, comme si l’Europe ne se laissait saisir qu’en creux, dans ses déchirures et non dans ses pleins.
2. Comment appréhender des éléments de mémoire européenne ?
Au contraire de ce constat un peu décevant – peut-être simple conséquence d’un problème mal posé ou de la recherche de réponses à d’insolubles questions –, d’autres fonctionnements peuvent mettre sur la piste d’éléments praticables de mémoire européenne.
Un exemple sans substance : Aix-la-Chapelle et le prix Charlemagne
Écartons d’abord ces lieux de mémoire européens inventés par des politiques ou par des eurocrates animés des meilleures intentions, mais qui sont de pures constructions idéologiques ne renvoyant à rien. Un des grands problèmes auxquels sont confrontés les politiques qui sont en train de construire l’Union européenne est ce qu’ils appellent perpétuellement le déficit d’identité. Ce déficit d’identité découle largement du fait qu’ils imaginent l’Europe comme une sorte de grande nation, et pensent donc qu’on devrait pouvoir retrouver en son sein des structures mémorielles, des institutions de transmission de la mémoire, et des lieux aussi bien pédagogiques que monumentaux, comparables à ceux des États nationaux. Or rien de cela n’existe. D’où, pour lutter contre cet état de fait, toute une série d’initiatives volontaristes d’en haut, dont l’exemple le plus net – et le plus ancien – est sans doute le prix Charlemagne. Ce prix a été créé en 1950 à Aix-la-Chapelle et est décerné chaque année à une personnalité européenne pour récompenser ses mérites. Or quand on examine de près les raisons qui ont conduit à la création de ce prix et la manière dont se déroule son attribution, on discerne une caricature de lieu de mémoire européen. Aix-la-Chapelle a été choisie pour ce prix, dont l’initiative revient aux élites municipales et économiques de la ville, parce que cette dernière est à la jonction entre l’Allemagne, la Belgique et la France – et donc au cœur de l’Europe qui fut le point de départ de la future construction européenne. Le nom donné au prix renvoie à l’idéologie foncièrement démocrate-chrétienne et anticommuniste des fondateurs de l’Union européenne, désireux de légitimer leur projet par référence à un passé glorieux et réinventé, le passé de la chrétienté occidentale réinterprétée comme anticipation de l’Europe en gestation – une motivation dont les promoteurs du prix ne font aucun mystère. La liste des personnalités à qui a été remis le prix est tout aussi éloquente : les lauréats sont en général des hommes politiques en fin de carrière qui ont rendu des services à la construction européenne, personnalités consensuelles qui correspondent bien à la moyenne de la définition de l’Europe occidentale. Cette liste n’offre pas prise à débat. Bref, il s’agit d’un lieu de mémoire neutre, aseptisé, totalement instrumentalisé et sans véritable ancrage, qui est plus un contre-exemple de mémoire européenne qu’un authentique lieu de mémoire européen.
Beaucoup plus porteuses pour le présent, et pour l’avenir, sont ces initiatives qui, en Europe occidentale mais aussi dans l’Europe de l’Est, essayent de saisir ce que pourraient être des morceaux de mémoire européenne dans des lieux de rencontres, des lieux de confrontations, dans des interstices où il y a du jeu, dans une double dimension de conflit et d’invention. Ces lieux sont, en Europe occidentale, les innombrables lieux d’affrontement des nations européennes et les monuments qui les commémorent, ces lieux où chacun s’est battu avec son voisin, au nom d’une certaine conception de la nation, mais aussi au nom d’une certaine conception de l’Europe et de ses valeurs.
Lectures plurielles de mémoires : l’historial de Péronne et l’exposition GrenzenLos à Sarrebruck
L’historial de Péronne ne présente pas une vision unique de la guerre de 1914-1918. Il fait se superposer et se confronter en permanence les perceptions qu’en ont eues Anglais, Allemands et Français. Un lieu donc qui ne propose pas une vision unique et réductrice de la guerre, mais en suggère trois lectures différentes, qui ont toutes la même légitimité et correspondent à autant d’expériences concrètes. Lorsque l’on pénètre dans l’historial de Péronne, la disposition même des vitrines et des objets fait qu’on est immédiatement confronté à la pluralité des perceptions, qu’on ne peut faire autrement que de les saisir en profondeur, dans leurs contradictions et dans leur pluralité, et non pas dans une réduction à l’unité qui est toujours une forme de trahison.
L’exposition a été montée en 1998-1999 par le Musée historique de la Sarre sous le titre GrenzenLos, qui signifie à la fois « Débarrassons-nous des frontières » et « Le sort des frontières » est un autre exemple (Kugler, 1998). À partir de scènes tirées de la vie quotidienne, d’exemples d’itinéraires familiaux, en s’appuyant sur des objets concrets et ordinaires, cette exposition faisait revivre ce qu’avait pu être le tracé des frontières et leur oscillation dans une région contestée entre la France et l’Allemagne, depuis le début du xixe siècle jusqu’au rattachement définitif de la Sarre à la République fédérale en 1956. Non pas une histoire politique par en haut, mais beaucoup plus une histoire subjective, d’en bas, par des itinéraires de familles, par la reconstitution d’arbres généalogiques, par des photos montrant l’inscription des trajectoires de vie des personnes identifiées dans un cadre national ou dans un autre, l’ensemble faisant ressentir ce qu’avait pu représenter le fait de vivre dans ces régions, où on ne peut pas penser l’un sans penser l’autre.
Des lieux de mémoires partagé(e)s, Tannenberg-Grunwald
Lors de l’exposition sur les « mythes des nations », on pouvait être frappé par le grand nombre d’événements et de figures du passé de l’Europe dont plusieurs pays se réclament tout en se les disputant. Il s’agit là au sens propre du terme de « mémoires partagées », c’est-à-dire de mémoires qui partagent et que l’on se partage. Or de tels « lieux de mémoires partagé(e)s » sont légion et rien n’est plus instructif que d’en faire un travail de déconstruction et de reconstruction historique. Ainsi en va-t-il de l’exemple de Tannenberg-Grunwald, lieu de mémoire germano-polonais dont on peut reconstituer toute l’histoire, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. En 1410 les chevaliers Teutoniques sont défaits par une armée commandée à la fois par le roi de Pologne Ladislas II Jagellon et le grand-duc de Lituanie : cette défaite a été par la suite réinterprétée dans un sens national, alors qu’au départ il s’agissait d’un conflit sans le moindre enjeu national, entre princes se disputant un même territoire et s’affrontant avec des armées multiethniques, composées dans un camp comme dans l’autre de soldats d’origine slave et germanique.
Sur place, en Pologne, la mémoire de la défaite spectaculaire des chevaliers Teutoniques s’est d’abord transmise sous une forme religieuse et liturgique, par l’intermédiaire de processions rappelant la bataille et de cérémonies célébrant son souvenir à la date anniversaire du 15 juillet. Totalement dépourvue de dimension nationale, cette mémoire liturgique et religieuse est la seule que l’on rencontre jusqu’au début du xixe siècle. Un deuxième temps de la mémoire de la bataille s’ouvre avec le xixe siècle. Il est marqué par sa redécouverte et surtout sa réinterprétation sous le signe du durcissement de l’antagonisme entre Allemagne et Pologne, l’une et l’autre se disputant le même héritage au service de leur cause, l’Allemagne au service de son unité nationale, et la Pologne, privée d’État national et démembrée, au service de la préservation de son identité.
Avec un remarquable parallélisme chronologique, un processus de divergence croissante dans l’interprétation politique, idéologique et nationale du même événement fondateur s’enclenche alors. Du côté prussien, puis allemand, on commence à interpréter la défaite de Tannenberg comme la défaite des Allemands devant les Slaves, et donc comme une humiliation appelant à la revanche. Le grand maître de l’ordre Teutonique est présenté comme un champion de la cause de la germanité assimilée à la cause de l’Europe. Cette réinterprétation culmine avec la restauration, à l’initiative de la monarchie prussienne et sous la conduite de l’architecte Schinkel, de la forteresse des chevaliers Teutoniques de Marienburg (en Prusse occidentale), avec l’édification de statues à la mémoire du grand maître, et surtout avec la publication de toute une série de récits qui glorifient l’héroïsme des chevaliers Teutoniques et appellent à suivre leur exemple, pour que l’Allemagne soit le champion de la civilisation européenne face à la barbarie slave. De la même manière, dans la Pologne divisée en trois du xixe siècle, qui aspire à devenir un État national mais ne le peut puisque la Sainte-Alliance entre l’Autriche, la Russie et la Prusse le lui interdit, il y a création par les intellectuels polonais d’une relecture de Grunwald. Symbole de l’anticipation de la Pologne à ressusciter, Grunwald est lue comme une victoire, rendue possible par l’âge d’or que la Pologne médiévale connaissait alors. Dans cette réinterprétation, les Polonais sont exaltés en tant que véritables héros de la défense de l’Occident, tandis que les Allemands sont présentés comme des barbares – soit une interprétation qui se trouve dans une situation de symétrie renversée par rapport à l’interprétation allemande, alors même que les éléments de départ sont identiques. Dans la Pologne de la seconde moitié du xixe siècle, un grand nombre de romans historiques célèbrent la victoire de Grunwald, le plus célèbre étant en 1900 Les croisés de Henryk Sienkiewicz, futur prix Nobel de littérature. Ce roman fut aussitôt adopté comme livre de lecture dans les écoles polonaises.
Avec la montée de deux mythologies opposées et en même temps semblables, cette double récupération nationale atteint son apogée dans la première moitié du xxe siècle. Du côté allemand, elle s’exprime par la décision – véritable chef-d’œuvre de guerre psychologique – de Ludendorff de donner, à la victoire que les armées allemandes commandées par le maréchal Hindenburg viennent de remporter à la fin du mois d’août 1914 sur les Russes entrés en Prusse orientale, le nom même de Tannenberg. Un parallèle mythique est ainsi établi entre les deux batailles : la victoire de 1914 devient la revanche de la défaite de 1410, en même temps que l’accomplissement du martyre des chevaliers Teutoniques. Sur ces bases s’édifie par la suite le mythe de Hindenburg, un mythe qui se poursuit durant la République de Weimar. Dès 1927, il trouve son aboutissement dans la construction, sur les lieux du champ de bataille, d’un immense mémorial commémorant le combat éternel des Allemands contre les Slaves. Ce mémorial est destiné à devenir en 1935 le lieu de sépulture du maréchal. Du côté polonais, la volonté de venger l’outrage représenté par l’appropriation frauduleuse de Grunwald-Tannenberg en 1914 trouve enfin à s’exprimer après la défaite de l’Allemagne nazie. Dès 1945, le mémorial de Tannenberg est rasé, tandis que ses briques et ses pierres servent à la reconstruction de Varsovie détruite par les armées nazies. Dans toute la Pologne, cette forme de revanche symbolique, de réappropriation et de retournement se prolonge après 1945 avec la multiplication de mémoriaux qui rappellent dans un même mouvement la victoire de 1410 et celle de 1945.
Or, de tout cela, il ne reste pratiquement plus rien aujourd’hui. Avec la chute du Mur, l’effondrement du bloc soviétique, la réunification allemande et la transition démocratique en Pologne, le contexte a été radicalement transformé. La réconciliation entre l’Allemagne et la Pologne est désormais très avancée et, dans les mutations européennes dont nous sommes les témoins, les Polonais ont tout autant besoin de l’Allemagne pour rentrer dans l’Europe politique et économique, que les Allemands ont besoin des Polonais pour assurer la protection des frontières orientales de l’Europe et consommer les produits de leur industrie. Le contexte ayant changé, tout l’imaginaire d’opposition à partir d’un même héritage contesté est devenu obsolète et les monuments sont à l’abandon. Plus personne en Allemagne ne parle de Tannenberg, et si, en Pologne, on continue encore de parler de Grunwald, chaque fois on s’empresse d’ajouter qu’il s’agit là d’une histoire ancienne et révolue, et que l’avenir repose sur la réconciliation et le partenariat entre l’Allemagne et la Pologne. En d’autres termes, on a ici affaire à un véritable cycle mémoriel, comprenant une première strate prénationale à évolution lente, une montée aux extrêmes concomitante de l’affirmation des États nationaux, et enfin, avec l’apuration du contentieux et le bouleversement du contexte d’ensemble, la retombée de ce qui avait pu un temps mobiliser les passions et les opinions publiques, et qui a cessé d’être un enjeu de mémoire.
Cet exemple présenté de manière un peu plus détaillée montre l’intérêt de poursuivre des enquêtes de ce type et de déconstruire les pluralités d’héritages qui sont les nôtres. Mais il rappelle aussi à quel point les mémoires sont des réalités continuellement instrumentalisées, et surtout à quel point le présent est déterminant dans le regard que l’on porte sur le passé. Il n’y a pas une lecture continue de Tannenberg-Grunwald, mais au contraire pluralité de lectures selon les contextes politiques et culturels, et selon les enjeux du présent, car la vision que l’on a du passé est très largement déterminée par les problèmes auxquels on est confronté dans le présent et par les projets d’avenir sur lesquels on s’affronte. Cette observation ne vaut pas seulement pour le cas de la Pologne et de l’Allemagne ; elle vaut tout autant pour la France et l’Allemagne (ainsi de l’exposition de Sarrebruck), ou encore pour la France, l’Allemagne et l’Angleterre (voir le mémorial de Péronne). Si nous pouvons aujourd’hui porter sur nos héritages d’opposition ce regard pluriel, et que nous essayons de faire pluraliste, c’est parce que nous ne sommes plus dans un contexte d’opposition et que tout l’environnement nous porte à le faire. Mais aurions-nous été capables de le faire au lendemain de la guerre de 1914-1918 ? D’ailleurs les historiens sont aussidépendants du contexte dans lequel ils travaillent, et ils n’échappent pas à ses déterminations. Il est facile, et même de bon ton aujourd’hui, de se mettre en quête des mémoires plurielles et des métissages qui sont à l’origine de ce que nous sommes. Mais il suffit de se reporter au contexte qui était celui des oppositions fortes entre les nations avant la guerre de 1914-1918 ou même encore entre les deux guerres, pour voir aussitôt en quoi ce contexte différent a pu déterminer le travail des historiens – y compris des plus scrupuleux et des plus érudits d’entre eux. On en donne un seul exemple, emprunté aux recherches menées sur l’histoire du protestantisme en France entre 1870 et 1914. Pour la majorité des historiens de cette époque, la priorité était de montrer que l’histoire du protestantisme en France était une histoire essentiellement française, qui ne devait pratiquement rien à Luther. Car dire du protestantisme en France qu’il trouvait ses origines chez Luther, c’était en faire un cheval de Troie de l’ennemi héréditaire allemand – et donc le condamner. D’où l’exaltation de la figure de Calvin que l’on constate alors, l’accent mis sur l’originalité de sa pensée théologique par rapport à celle de Luther, la mise en évidence de l’originalité de la Réforme en France. Rares ont été les historiens qui ont su résister à cette emprise – qu’il s’agisse de Marc Bloch, promoteur de l’histoire européenne comparée, ou de Lucien Febvre qui, nommé comme lui professeur à l’université de Strasbourg après 1918, publiera son beau livre sur le Rhin (Demangeon, Febvre, 1935). Ce livre, à bien des égards un essai sur les mémoires du Rhin, montre que ce fleuve a d’abord été un fleuve de réunion, de brassage, de circulation et que, s’il a été frontière, c’est au sens de lieu de passage, beaucoup plus qu’au sens de lieu de séparation – la frontière comme couture bien plus que comme coupure.
Mémoires de frontière, interstices de conflit et d’invention : PrzemyÊl
Un dernier exemple, emprunté au présent, sert à montrer comment se passent les choses là où les débats ne sont plus simplement des débats d’historiens, mais engagent des secteurs plus importants de la population, autour de véritables enjeux politiques et idéologiques. Cet exemple est celui de la ville polonaise de PrzemyÊl, située à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, et dont l’anthropologue anglais Chris Hann (1998) a remarquablement analysé les tensions et les conflits. À côté d’une majorité polonaise, cette ville a la particularité d’abriter également une minorité gréco-catholique, les uniates, qui, malgré les persécutions de l’époque communiste, est réapparue au grand jour après 1989 et a demandé qu’on lui restitue les églises qui étaient les siennes avant la guerre. Au cœur du contentieux : la demande de restitution de l’ancienne cathédrale attribuée par le régime communiste à un ordre religieux catholique romain. Or, alors même que la doctrine officielle en Pologne est celle de la reconnaissance du pluralisme religieux, et en dépit du soutien apporté par le pape Jean-Paul II aux uniates, cette demande de restitution a fait l’objet d’oppositions très vives. Finalement ce sont les plus durs, hostiles à toute restitution, qui l’ont emporté. Alors que les radicaux qui ont fait obstacle à la rétrocession de la cathédrale aux uniates sont très peu nombreux, pourquoi cette victoire de l’intransigeance ? Pourquoi la complaisance tacite de la municipalité qui accepte les coups de force de cette minorité et ensuite les ratifie administrativement ? Pourquoi ces conflits violents au terme desquels l’emporte, contre toute attente, une minorité intégriste qui se réclame d’une conception exclusive et purement ethnique de la nation polonaise ?
La première raison que l’on pourrait tenter d’invoquer est l’intensité des conflits de mémoire. De fait, la région de PrezmyÊl, la Galicie, a eu une histoire récente mouvementée et tragique, marquée par des conflits sanglants. On évoque les affrontements entre nationalistes polonais et ukrainiens au lendemain de la guerre de 1914-1918, d’autant plus violents que les enjeux nationaux et les enjeux confessionnels se recoupaient pratiquement à l’identique. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est gréco-catholique, cela veut dire qu’il est ukrainien, et de quelqu’un qu’il est catholique romain, cela veut dire qu’il est polonais. On rappelle la réactivation de tous ces conflits pendant la Seconde Guerre mondiale, les occupants allemands prenant le parti des Ukrainiens contre les Polonais. On note enfin les affrontements qui se prolongent après 1945 avec une résistance armée ukrainienne sur place, puis des mesures répressives très brutales prises par les autorités de la Pologne socialiste pour mettre fin à cette guérilla. Ces mesures de purification ethnique entraînent la dissémination forcée des populations ukrainiennes du Sud-Est à travers toute la Pologne, de sorte qu’il n’y ait jamais plus de deux ou trois familles ukrainiennes dans un village ; l’implantation des Ukrainiens déportés, de préférence, dans la partie occidentale de la Pologne, c’est-à-dire dans les anciennes terres allemandes elles-mêmes habitées par des Polonais expulsés d’Ukraine, etc.
Mais pour importants que soient ces conflits de mémoire, Chris Hann constate qu’ils ne suffisent pas à rendre compte de la violence des affrontements. Les véritables raisons – rarement avouées – sont à chercher du côté des questions ouvertes sur le présent et sur l’avenir, auxquelles pour l’instant la Pologne n’a pas encore apporté de réponse claire. Ces questions sont de deux ordres. La première – de portée plus générale – porte sur la définition de la nation polonaise. La nation polonaise de 1989 est l’héritière des purifications ethniques de la Sconde Guerre mondiale et de l’immédiat après-guerre. Les Juifs ayant été massacrés par les Allemands, les Allemands expulsés à la fin de la guerre et les quelques Ukrainiens survivants dispersés à travers l’espace polonais pour qu’ils deviennent eux-mêmes des Polonais, la Pologne des années 80 était un des pays européens les plus homogènes éthniquement avec seulement 1 % de minorité nationale. Correspond-il pour autant à une réalité authentique ? Que faire surtout lorsque cette apparente uniformisation de la Pologne sous le signe de l’homogénéité ethnique, du catholicisme triomphant et du socialisme (les deux se définissant l’un par rapport à l’autre) est doublement remise en question, par la réapparition de minorités que l’on croyait totalement résorbées et par les valeurs de pluralisme de l’Europe occidentale à laquelle on cherche à adhérer ? En d’autres termes, que faire de la définition de la nation polonaise héritée de l’histoire récente ? Peut-elle être conservée ou ne doit-elle pas plutôt céder la place à une nouvelle définition adaptée aux enjeux du présent et de l’avenir ? La seconde question, propre à PrezmyÊl et à sa région, est celle des rapports à entretenir avec l’Ukraine et les Ukrainiens. En effet, PrezmyÊl est une ville frontière, située dans une région pauvre de la Pologne, et qui vit essentiellement du marché noir et du trafic avec les Ukrainiens. On estime que le tiers des ressources des habitants de la région en proviendrait. Or les Ukrainiens sont à la fois indispensables à la survie économique de la Galicie, et méprisés et récusés. Comment donc se situer face à ces derniers ? Comment concevoir la frontière avec l’Ukraine ? Doit-elle être une frontière hermétique comme le voudrait la définition de la nation héritée de l’après-guerre – avec tous les risques de crise économique qui en découleraient –, ou doit-elle être au contraire une frontière perméable pour garantir les bénéfices qu’on en retire – avec tous les risques de remise en cause identitaire qui en découlent ? Liées l’une à l’autre, ces deux questions ne sont plus simplement des questions de mémoire ; elles sont avant tout des questions politiques qui touchent au présent et à l’avenir, à la définition de l’espace régional et à l’inscription dans un espace plus général. C’est par rapport à elles que se comprend la réactivation des conflits de mémoire.
Au terme de cette contribution, les questions sont plus nombreuses que les réponses. Elles portent à la fois sur les approches et les méthodes à mettre en œuvre pour essayer de saisir ce que peut être une mémoire européenne – si tant est qu’elle existe –, et sur les liens qui existent entre enjeux de mémoire d’un côté et choix de présent et de futur de l’autre. Quand et en quoi le passé détermine-t-il le présent ? Quand et en quoi est-il une ressource dans laquelle on va chercher les références et arguments qui permettront de mieux mener les combats du présent et de l’avenir ? Quand et en quoi la présence du passé, c’est-à-dire la mémoire, est-elle poids, pour reprendre l’excellente formule de Marie-Claire Lavabre (1991) ? Quand et en quoi est-elle choix ? Telles sont les questions auxquelles nous sommes tous confrontés à des titres divers – en tant que chercheurs et en tant que citoyens – et auxquelles il est souvent bien difficile de répondre. Le défi est d’importance, mais nous devons savoir le relever. Car – pour citer encore une fois Pierre Nora – « si la mémoire divise, l’histoire rassemble ».
Etienne François
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(1) Nous remercions chaleureusement l’auteur et l’éditeur de nous avoir autorisés à publier ce texte que nos lecteurs peuvent trouver en version papier dans Territoires d’Europe, la différence en partage, Sous la direction de Violette Rey et Thérèse Saint-Julien, Lyon, ENS-Editions, 2005. Outre l’article reproduit ci-dessus, cet ouvrage offre à la lecture une palette complète de réflexions sur la question des territoires, en multipliant les champs de recherche et les exemples d’exploration.