La reconquête d’Internet et des cités
En Allemagne, l’humoriste Jan Böhmermann a lancé un mouvement : « Reconquista Internet ». Il s’agit d’y élever des contre-feux contre l’invasion, certes, des sites d’extrême-droite, mais aussi des propos racistes, xénophobes, anti-féministes, négationnistes, etc., sur Internet.
C’est effectivement une réalité à laquelle nous nous heurtons tous et sans aucun doute de plus en plus. Mais la question posée est aussi de savoir comment réagir et comment étendre l’initiative, sans être obligé de recourir à la censure ou à l’interdiction.
Il faut effectivement se souvenir de ce qu’affirmaient les protagonistes d’Internet, à l’heure de sa construction. Par exemple le fondateur de Twitter, Ev Williams : « Je pensais que le monde entrerait immédiatement sur le chemin d’un futur meilleur, dès lors que chacun pouvait exprimer son opinion et partager ses idées en public ». Et il ajoute, sous le coup du constat des résultats : insultes, censures réclamées des oeuvres d’art, racisme et pornographie, que : « je me suis trompé ».
À ce titre, l’idée d’intervenir est justifiée.
Quel parti prendre ? Censure, procès, interdiction ? Non. Et d’ailleurs, à qui reviendrait le droit d’interdire ? Aux médias, des entreprises privées ? Pas sûr. Aux États ? A voir.
Plutôt : une mise au banc d’Internet n’est pas souhaitable, si elle ne concerne finalement que les dirigeants de partis. Ceux auxquels il faut parler, ce sont les bloggeurs quotidiens, racistes, mais non militants. Et donc les obliger à la discussion publique. Reconquérir Internet ce serait alors assortir tout propos d’un forum de discussion dans lequel des contre-feux pourraient venir objecter des arguments aux propos haineux.
D’ailleurs, si l’initiative de Jan Böhmermann a effectivement encouragé des réactions positives, il a aussi satisfait l’extrême-droite qui y a gagné en publicité « gratuite ». Pour autant, peut-elle servir de modèle à une élaboration internationale ?
La question est posée, justement.
Il est possible de se confronter autrement encore à ces questions en lisant le dernier numéro (7) de la revue Nectart, portant sur : Comprendre les mutations culturelles et numériques, Deuxième semestre 2018, Éditions de l’Attribut, Toulouse. Un dossier sur un New Deal culturel revient sur l’éducation artistique et culturelle des citoyennes et des citoyens, en Europe. Et relance le projet européen grâce à la mobilisation de forces culturelles. Il y a en France, mais une telle recherche devrait s’accomplir sur tout le territoire européen, une implantation dans toutes les régions de dizaines de lieux de création à caractère public et l’éclosion dans chaque département de foyers de compagnies ou d’ateliers d’artistes, qui font sonner creux le dernier slogan ministériel : La culture près de chez vous, lorsqu’il est restreint à propulser les institutions parisiennes hors de la capitale. Christophe Blandin-Estournet, s’intéresse à la question de l’application des droits culturels pour réaffirmer le droit commun dans « les banlieues ». Les quartiers populaires ont besoin d’être reconnus dans leurs propres usages et leurs cultures diversifiées, et de voir le droit commun se réinstaller sur leurs territoires, via ces droits culturels. La banlieue apparaît ainsi comme un des endroits forts de l’interpellation de la mise en œuvre des droits culturels, si on consent à s’appuyer sur les résidents. Aussi conviendrait-il de multiplier les consultations citoyennes, de se saisir des conflits actifs dans la société, d’instituer des lieux d’échange et de création, s’adressant aux personnes en tant que citoyens et non en tant qu’habitants.