Le « Grand Tour ». Ainsi un site Internet présentait-il les grandes expositions artistiques internationales de l'été 2007. Il fallait se muer alors en migrant pour suivre ces exercices dispersés en Europe, d’abord, puis plus largement, au-delà de l’officiel Grand Tour, sur toute la géographie méditerranéenne (Istanbul). Sans protester. Car ce type de trajet, après tout, est, depuis le XIXº siècle, un classique de la vie même des artistes. Il s'agissait alors de rentrer en contact avec les oeuvres des uns et des autres, connus au travers de l'Europe, afin de renouveler son inspiration et ses références, voire prendre des contacts. Au demeurant, les villes du Grand Tour 2007 (Münster, Kassel, Venise, Bâle) possèdent de superbes musées qui permettent de doubler la visite du "contemporain" par la visite de l'"ancien" ou du "classique". Et ainsi de produire des interrogations multiples. A quoi s’ajoute que la visite indispensable de la 10° biennale d’art contemporain d’Istanbul, devait reprendre une grande partie des problématiques découvertes ailleurs, cette fois rassemblées en un seul lieu. Le titre de cette biennale disait tout : Not only possible, but also necessary : optimism in the age of global war.
La sculpture publique contemporaine s'éclatait, c'est le mot, à Münster (Allemagne). Tous les dix ans, Skulptur Projekt s'ouvre au printemps et traverse l'été, livrant l'exposition aux habitants et aux touristes de la Rhénanie-Westphalie. L'espace public en est ainsi renouvelé et différemment occupé. Et au fur et à mesure des années (3 fois 10 ans en 2007), l'expérience de l'espace, de l'urbain, de la part du public et des critiques s'enrichit. Il est désormais impossible de séparer la considération du lieu, de la ville et de l'époque sur le fond desquels les sculptures peuvent être lues et fréquentées.
Rappelons d'abord que l'idée de cette exposition, qui a fusée en 1977, était la suivante : alors que le nazisme avait largement puisé au fonds de la sculpture monumentale (silhouette sur socle), usant et abusant de la figuration nationaliste, plus rien ne s'était accompli en Allemagne, depuis la guerre. Il était urgent d'exposer en public et de faire discuter en public des sculptures nouvelles, contemporaines, pourquoi pas abstraites ou minimalistes. Aujourd'hui, l'exposition est bien implantée (3º saison). Elle est même attendue par les habitants. Aussi par le public international prêt à circuler pour aller à la rencontre des oeuvres.
La version 2007 offre de nouveaux objets à voir, par rapport aux versions précédentes. Gaspard König, l'un des fondateurs de Skulptur Projekt, est désormais assisté par Brigitte Franzen, Carina Plath et Christine Litz. Un changement de génération s'opère dans la direction, qui voit privilégier des artistes très contemporains (dans leur geste, leur projet, leur "esprit"). Le travail de Valérie Jouve (une vidéo portant sur l'errance urbaine sous un tunnel piétonnier) est certainement très abouti ; celui de Thomas Schütte (portant sur la muséification des villes ; un travail différent de la célèbre colonne dédiée aux cerises, d'une exposition précédente) ; comme celui de Martha Rosler (destiné à soulever au contraire les mémoires torturées et éradiquées : sorcières, religion anabaptiste réprimée, exilés) posent d'heureuses questions. Andréas Siekmann s'en tire bien aussi en occupant la cour d'un très beau palais baroque avec une benne à ordures surprenante destinée à souligner la nécessité de lutter contre la privatisation de l'espace public. Tous problèmes urbains qui nous concernent tous. Et des problèmes qui se mettent en discussion avec les précédents puisque, comme en grilles superposées dans la ville, les strates d'exposition se côtoient lorsque les anciennes sculptures sont demeurées en place (la ville procède à des achats réguliers).
Quelques kilomètres plus loin, à Kassel, s'était ouverte la Documenta 12. Conjonction des rythmes d'exposition aidant, l'Europe artistique pérégrinait donc d'une ville à l'autre, et nous aussi.
La Documenta, cependant, c'est une autre histoire. Celle d'une ville bombardée totalement, pour les raisons que l'on sait, se relevant démocratique en 1945, se reconstruisant à neuf dans des normes peu esthétiques, et inventant de sérieuses raisons de s'arrimer à l'Ouest, à l'esprit artistique moderne, avec la première Documenta, en 1955.
Le directeur de la Documenta 12, Roger Buergel, avait, quant à lui, adopté la stratégie suivante : travailler avec les régions les plus dispersées du monde, dont massivement l'Afrique, afin de confronter les artistes du monde entier. Les thématiques des Documenta étant en général très politiques : ici, immigration, exils, pauvreté, répressions, contraintes. Et en mêlant ainsi des oeuvres très différentes (par leur provenance et leur style), la direction obligeait à se poser des questions à l'échelle du monde contemporain. En particulier, celle-ci : l'humanité est-elle susceptible de transcender ses oppositions pour se reconnaître un horizon commun (lequel d'ailleurs ?, la question demeure si on ne veut pas banalement répondre : la sauvegarde de la planète !) ? À quoi s'ajoute cette autre question : l'art est-il le bon médium pour répondre à l'interrogation précédente ? Encore faut-il préciser que répondre "oui" un peu trop rapidement à la seconde question implique de renvoyer la mise en cause de l'actuelle mondialisation à la tâche d'une nouvelle éducation esthétique de l'homme contemporain.
De cette Documenta 12, nous avons surtout retenu ce qui suit : une organisation interne renvoyant assez subtilement les oeuvres les unes aux autres ; une très grande attention à l'espace public et des oeuvres importantes sur ce plan (Lin Yilin, Jiri Kovanda, Martha Rosler) ; une problématique générale : dès lors que nous vivons dans un monde globalisé (il n'y aurait donc plus de "dehors"), nous devons apprendre que nous sommes tous "dedans", mais ce n'est pas une raison pour ne pas s'attacher à repérer la naissance de nouvelles modalités de luttes, notamment celles qui opposent différents regards sur les mêmes choses.
Parcourant encore quelques kilomètres, on se retrouvait à Venise, pour la Biennale d'art contemporain. Répartie en plusieurs lieux (dont principalement, les Jardins et la Corderie), cette dernière a été menée par Robert Storr. Ce dernier s'est donné un thème de réflexion : la pensée est sensible et les sens pensent ("Penser avec les sens, sentir avec la raison"). Belle perspective, au demeurant, pour une exposition d'art, même si elle était un peu classique et certainement entièrement prise dans des problèmes d'interprétation largement Occidentaux. Sur cette thématique, on a pu noter un effet d'inversion assez subtile. Les Jardins offrant des oeuvres prises dans le sensible et ouvrant sur la pensée, tandis que la Corderie présentait le cheminement inverse, tandis que d'un lieu de l'exposition à l'autre, des oeuvres du même artiste se répondent (obligeant le spectateur a un retour sur soi dans la durée du parcours).
Mais l'essentiel n'était sans doute pas là. Plus caractéristique se trouvaient être ces innombrables oeuvres hantées par toute une série de dualismes : certes, pensée/sensible, mais aussi figuratif/abstrait (avec des oeuvres de Richter, Ryman), hommes/femmes (Sophie Calle/Tracey Emin), Orient/Occident, sédentaires/migrants (Adel Abdessemed et son EXIL rencontré chaque fois qu'on passe une porte de l'exposition, Aernout Mik et ses vidéos portant sur les immigrés et les centres de rétention ou les casernements), etc., oeuvres qui réinterrogeaient la condition humaine contemporaine à travers ses déboires majeurs : les guerres, les exils, les conditions inhumaines faites aux hommes et aux femmes (Irak, Palestine, Liban, Afghanistan), les maladies globalisées. Ce n'est sans doute pas pour rien que le prix de l'oeuvre majeure a été décerné à un artiste dont l'oeuvre consiste à se battre contre le Sida en Afrique.
Alors, Istanbul, maintenant, quelques kilomètres plus loin ? Une biennale qui se déployait sur trois sites : l’Atatürk Cultural Center, l’Antrepo 3, et l’Istanbul Textile Trader’s Market. Cette exposition portait donc sur la mondialisation et ses effets : Not only possible, but also necessary : optimism in the age of global war. Et les effets en question étaient détaillés par chaque site. Le thème de la politique et des frontières se voyait illustré par Rem Koolhaas, la détérioration des sites culturels était prise à parti par Michael Rakowitz (sur les objets disparus du musée de Bagdad). Le thème de l’architecture et de la ville se trouvait exploré par l’artiste turc Erdem Helvacioglu, qui posait la question : « Quel est le son d’un bâtiment ? ». Le troisième volet de cette biennale était plus engagé encore. Il concernait la critique du capitalisme et l’altermondialisme. La lecture du catalogue de ces expositions, notamment de celui de l’Université Bilgi, donne à voir des travaux de grande qualité pris dans une contemporanéité marquante : interrogation de la place de l’art dans la vie présente, relations sociales (famille, rapports femmes-hommes, urbanisme, religion), rapports internationaux. On notera de surcroît que cette biennale, comme la plupart d’entre elles, mobilisait la ville entière. Les grands collectionneurs stambouliotes ouvraient aussi leurs collections (Sevda et Can Elgiz). Le palais Dolmabahce exposait aussi une œuvre de Jean-Michel Othoniel. Rappelons à ceux qui croiraient ne rien connaître au travail contemporain des artistes turcs, qu’ils connaissent probablement un de ces artistes en la personne de Sarkis, dont le travail est visible dans nombre de villes du centre de l’Europe.
Au terme de ces périples, dirons-nous quelque chose de l'esprit du temps (Zeitgeist) ? Sans doute pas, sinon pour préciser ceci : ce n'est pas seulement l'inquiétude de la globalisation du monde qui taraude les artistes. Plutôt celle des désastres humains qui l'accompagne. Et la question proprement artistique qui en est le corollaire : comment témoigner artistiquement ? Dès lors que les oeuvres ne se contentent plus de solliciter un face à face avec le spectateur (et Venise fait jouer subtilement le rapport conflictuel entre le moderne minimaliste ou abstrait et le contemporain : surprendre en utilisant du fil de fer barbelé pour réaliser une oeuvre (entre couronne du Christ et dénonciation des camps, Adel Abdessemed)), elles soulèvent le spectateur dans sa capacité à saisir une pluralité de situations à l'intérieur desquelles il importe de raisonner (parallèle entre les situations dans le monde, ou au contraire diversité des enjeux et des guerres). Que le monde contemporain produise du déstabilisé, de l'exclusion et de l'exil relève du constat. Que les exercices proposés aux spectateurs dans le cadre de ces expositions le conduisent à se placer dans ces situations pour apprendre à réagir (y compris sur le statut européen de la Turquie), voilà qui porte déjà ailleurs. Et qui surtout dépasse l'esthétique pour nous conduire à une forme particulière de politique. Une politique par l'art. L'affirmation artistique du politique.
La sculpture publique contemporaine s'éclatait, c'est le mot, à Münster (Allemagne). Tous les dix ans, Skulptur Projekt s'ouvre au printemps et traverse l'été, livrant l'exposition aux habitants et aux touristes de la Rhénanie-Westphalie. L'espace public en est ainsi renouvelé et différemment occupé. Et au fur et à mesure des années (3 fois 10 ans en 2007), l'expérience de l'espace, de l'urbain, de la part du public et des critiques s'enrichit. Il est désormais impossible de séparer la considération du lieu, de la ville et de l'époque sur le fond desquels les sculptures peuvent être lues et fréquentées.
Rappelons d'abord que l'idée de cette exposition, qui a fusée en 1977, était la suivante : alors que le nazisme avait largement puisé au fonds de la sculpture monumentale (silhouette sur socle), usant et abusant de la figuration nationaliste, plus rien ne s'était accompli en Allemagne, depuis la guerre. Il était urgent d'exposer en public et de faire discuter en public des sculptures nouvelles, contemporaines, pourquoi pas abstraites ou minimalistes. Aujourd'hui, l'exposition est bien implantée (3º saison). Elle est même attendue par les habitants. Aussi par le public international prêt à circuler pour aller à la rencontre des oeuvres.
La version 2007 offre de nouveaux objets à voir, par rapport aux versions précédentes. Gaspard König, l'un des fondateurs de Skulptur Projekt, est désormais assisté par Brigitte Franzen, Carina Plath et Christine Litz. Un changement de génération s'opère dans la direction, qui voit privilégier des artistes très contemporains (dans leur geste, leur projet, leur "esprit"). Le travail de Valérie Jouve (une vidéo portant sur l'errance urbaine sous un tunnel piétonnier) est certainement très abouti ; celui de Thomas Schütte (portant sur la muséification des villes ; un travail différent de la célèbre colonne dédiée aux cerises, d'une exposition précédente) ; comme celui de Martha Rosler (destiné à soulever au contraire les mémoires torturées et éradiquées : sorcières, religion anabaptiste réprimée, exilés) posent d'heureuses questions. Andréas Siekmann s'en tire bien aussi en occupant la cour d'un très beau palais baroque avec une benne à ordures surprenante destinée à souligner la nécessité de lutter contre la privatisation de l'espace public. Tous problèmes urbains qui nous concernent tous. Et des problèmes qui se mettent en discussion avec les précédents puisque, comme en grilles superposées dans la ville, les strates d'exposition se côtoient lorsque les anciennes sculptures sont demeurées en place (la ville procède à des achats réguliers).
Quelques kilomètres plus loin, à Kassel, s'était ouverte la Documenta 12. Conjonction des rythmes d'exposition aidant, l'Europe artistique pérégrinait donc d'une ville à l'autre, et nous aussi.
La Documenta, cependant, c'est une autre histoire. Celle d'une ville bombardée totalement, pour les raisons que l'on sait, se relevant démocratique en 1945, se reconstruisant à neuf dans des normes peu esthétiques, et inventant de sérieuses raisons de s'arrimer à l'Ouest, à l'esprit artistique moderne, avec la première Documenta, en 1955.
Le directeur de la Documenta 12, Roger Buergel, avait, quant à lui, adopté la stratégie suivante : travailler avec les régions les plus dispersées du monde, dont massivement l'Afrique, afin de confronter les artistes du monde entier. Les thématiques des Documenta étant en général très politiques : ici, immigration, exils, pauvreté, répressions, contraintes. Et en mêlant ainsi des oeuvres très différentes (par leur provenance et leur style), la direction obligeait à se poser des questions à l'échelle du monde contemporain. En particulier, celle-ci : l'humanité est-elle susceptible de transcender ses oppositions pour se reconnaître un horizon commun (lequel d'ailleurs ?, la question demeure si on ne veut pas banalement répondre : la sauvegarde de la planète !) ? À quoi s'ajoute cette autre question : l'art est-il le bon médium pour répondre à l'interrogation précédente ? Encore faut-il préciser que répondre "oui" un peu trop rapidement à la seconde question implique de renvoyer la mise en cause de l'actuelle mondialisation à la tâche d'une nouvelle éducation esthétique de l'homme contemporain.
De cette Documenta 12, nous avons surtout retenu ce qui suit : une organisation interne renvoyant assez subtilement les oeuvres les unes aux autres ; une très grande attention à l'espace public et des oeuvres importantes sur ce plan (Lin Yilin, Jiri Kovanda, Martha Rosler) ; une problématique générale : dès lors que nous vivons dans un monde globalisé (il n'y aurait donc plus de "dehors"), nous devons apprendre que nous sommes tous "dedans", mais ce n'est pas une raison pour ne pas s'attacher à repérer la naissance de nouvelles modalités de luttes, notamment celles qui opposent différents regards sur les mêmes choses.
Parcourant encore quelques kilomètres, on se retrouvait à Venise, pour la Biennale d'art contemporain. Répartie en plusieurs lieux (dont principalement, les Jardins et la Corderie), cette dernière a été menée par Robert Storr. Ce dernier s'est donné un thème de réflexion : la pensée est sensible et les sens pensent ("Penser avec les sens, sentir avec la raison"). Belle perspective, au demeurant, pour une exposition d'art, même si elle était un peu classique et certainement entièrement prise dans des problèmes d'interprétation largement Occidentaux. Sur cette thématique, on a pu noter un effet d'inversion assez subtile. Les Jardins offrant des oeuvres prises dans le sensible et ouvrant sur la pensée, tandis que la Corderie présentait le cheminement inverse, tandis que d'un lieu de l'exposition à l'autre, des oeuvres du même artiste se répondent (obligeant le spectateur a un retour sur soi dans la durée du parcours).
Mais l'essentiel n'était sans doute pas là. Plus caractéristique se trouvaient être ces innombrables oeuvres hantées par toute une série de dualismes : certes, pensée/sensible, mais aussi figuratif/abstrait (avec des oeuvres de Richter, Ryman), hommes/femmes (Sophie Calle/Tracey Emin), Orient/Occident, sédentaires/migrants (Adel Abdessemed et son EXIL rencontré chaque fois qu'on passe une porte de l'exposition, Aernout Mik et ses vidéos portant sur les immigrés et les centres de rétention ou les casernements), etc., oeuvres qui réinterrogeaient la condition humaine contemporaine à travers ses déboires majeurs : les guerres, les exils, les conditions inhumaines faites aux hommes et aux femmes (Irak, Palestine, Liban, Afghanistan), les maladies globalisées. Ce n'est sans doute pas pour rien que le prix de l'oeuvre majeure a été décerné à un artiste dont l'oeuvre consiste à se battre contre le Sida en Afrique.
Alors, Istanbul, maintenant, quelques kilomètres plus loin ? Une biennale qui se déployait sur trois sites : l’Atatürk Cultural Center, l’Antrepo 3, et l’Istanbul Textile Trader’s Market. Cette exposition portait donc sur la mondialisation et ses effets : Not only possible, but also necessary : optimism in the age of global war. Et les effets en question étaient détaillés par chaque site. Le thème de la politique et des frontières se voyait illustré par Rem Koolhaas, la détérioration des sites culturels était prise à parti par Michael Rakowitz (sur les objets disparus du musée de Bagdad). Le thème de l’architecture et de la ville se trouvait exploré par l’artiste turc Erdem Helvacioglu, qui posait la question : « Quel est le son d’un bâtiment ? ». Le troisième volet de cette biennale était plus engagé encore. Il concernait la critique du capitalisme et l’altermondialisme. La lecture du catalogue de ces expositions, notamment de celui de l’Université Bilgi, donne à voir des travaux de grande qualité pris dans une contemporanéité marquante : interrogation de la place de l’art dans la vie présente, relations sociales (famille, rapports femmes-hommes, urbanisme, religion), rapports internationaux. On notera de surcroît que cette biennale, comme la plupart d’entre elles, mobilisait la ville entière. Les grands collectionneurs stambouliotes ouvraient aussi leurs collections (Sevda et Can Elgiz). Le palais Dolmabahce exposait aussi une œuvre de Jean-Michel Othoniel. Rappelons à ceux qui croiraient ne rien connaître au travail contemporain des artistes turcs, qu’ils connaissent probablement un de ces artistes en la personne de Sarkis, dont le travail est visible dans nombre de villes du centre de l’Europe.
Au terme de ces périples, dirons-nous quelque chose de l'esprit du temps (Zeitgeist) ? Sans doute pas, sinon pour préciser ceci : ce n'est pas seulement l'inquiétude de la globalisation du monde qui taraude les artistes. Plutôt celle des désastres humains qui l'accompagne. Et la question proprement artistique qui en est le corollaire : comment témoigner artistiquement ? Dès lors que les oeuvres ne se contentent plus de solliciter un face à face avec le spectateur (et Venise fait jouer subtilement le rapport conflictuel entre le moderne minimaliste ou abstrait et le contemporain : surprendre en utilisant du fil de fer barbelé pour réaliser une oeuvre (entre couronne du Christ et dénonciation des camps, Adel Abdessemed)), elles soulèvent le spectateur dans sa capacité à saisir une pluralité de situations à l'intérieur desquelles il importe de raisonner (parallèle entre les situations dans le monde, ou au contraire diversité des enjeux et des guerres). Que le monde contemporain produise du déstabilisé, de l'exclusion et de l'exil relève du constat. Que les exercices proposés aux spectateurs dans le cadre de ces expositions le conduisent à se placer dans ces situations pour apprendre à réagir (y compris sur le statut européen de la Turquie), voilà qui porte déjà ailleurs. Et qui surtout dépasse l'esthétique pour nous conduire à une forme particulière de politique. Une politique par l'art. L'affirmation artistique du politique.
Christian Ruby