20130304

Figures de spectateurs


Christian Ruby
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Revista "Raison présente" (14 rue de l’Ecole Polytechnique, 75005, Paris, France) ka publikuar ne numerin e fundit te saje disa tekste mbi temen e spektatorit

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The magazine Raison présente ((14 rue de l’Ecole Polytechnique, 75005, Paris, France) publishes a series of texts addressing the theme of the Spectator. We have commented at length on an artist’s life and the notion of the artist (so long as artists don’t question this notion themselves), but also on the notions of a work and the public.  We have waited a long time before posing new and pertinent questions about an art work’s receiver, the spectator or listener, the beholder. To do so, one must consider recent works that draw an accurate portrait of this notion. Therefore, we have listed a coherent corpus of diverse studies in order to identify the person who many mistakenly summarise as a simple pawn in a complex matrix of sold tickets and statistics that penalise the established order of spectatorial values. However, this edition of Raison présente also raises an issue that widens the scope of the question at hand.  These studies, increasing in number, come about not only regarding the art spectator, but also the society moralist spectator, the self-spectator, or the political spectator...  In this regard, it is important to specify that there is no such thing as the “essence of the spectator”, and that the very concept is relational, not ontological.  The spectator is always a function of the object being observed...  Therefore, it is possible to shift the category of spectator towards different fields, not only differential but also historical.

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            Die Forscher erinnern sich an eine Zeit, in der den Zuschauer nicht galt. Traditionnelle Werte wie Künstler und Opus würden viel zu wichtig genommen. Heute sieht man das nicht mehr so eng. Wir können Zuschauern miteinander verglichen und Artikel in Auftrag gegeben. Dieses Jahr, über 10 Bücher stammen aus der Feder von Auroren. Raison présente, ein Zeitschrift, richtet eine Reflexion aus. Die These in Raison Présente, n° 187, 2013 (14 rue de l’Ecole Polytechnique, 75005, Paris, France) besagt zunächst einmal nicht mehr als dass der Zuschauer….  Zwischen tausenden und  millionen Zuschauer sind wöchentlich mit an Bord – aus allen Regionen, Altersgruppen, und Bildungsschichten. Was im Fernsehen nicht vorkommt, existiert für die Zuchauer nicht. Superstar Brad Pitt hat allein in Deutschland schon über eine Million Besucher in die Kinos gelockt. 27,22 Millionen Zuschauer sahen am Mittwochabend im privaten Umfeld - also zu Hause oder bei Freunden - wie Mario Gomez die Deutschen bei der Fußball-Europameisterschaft mit zwei Toren zum Sieg über die Niederlande führte und damit einen großen Schritt in Richtung Viertelfinale brachte. Auch so sind die Zahlen aber natürlich beeindruckend. Die Frage ob sich das Fernsehen in der Budesrepublik und in Europa tatsächlich schon zu einem reinen Unterhaltungsmedium entwickelt hat, ist sicherlich nicht eindeutig zu beantworten. Vor diesem Hintergund stellt sich zunächst einmal die Frage, was unter Unterhaltung überhaupt zu bestimmtes Angebot für das Publikum unterhaltend macht. Was aber ist entscheidend dafür, ob sich jemand mit und durch Medienangebote unterhält ? 

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Appartiendra-t-il à ce début de siècle de s’inquiéter, dans des termes renouvelés, de la figure du spectateur d’art ? Il y a longtemps qu’on commente la vie d’artiste ou qu’on interroge le concept d’artiste (quand les artistes eux-mêmes ne le remettent pas en question), mais aussi les notions d’œuvre et de public. C’eut été curieux de n’en venir jamais à élaborer à nouveau frais des questions pertinentes à propos du récepteur des oeuvres d’art, du spectateur ou de l’auditeur, du regardeur ou du spectacteur.
On ne négligera d’ailleurs pas le fait que quelques travaux récents à son égard en composent de plus en plus souvent un judicieux portrait. Il nous a donc paru pertinent, en guise d’étape, de rassembler un corpus cohérent de recherches éparses, afin de rendre compte d’un trait de celle ou de celui que beaucoup réduisent fréquemment à un simple pion dans un décompte de billets vendus pour remplir des salles ou dans des statistiques qui se contentent de sanctionner l’ordre des valeurs spectatoriales établies, quand elles ne sont pas organisées selon la logique du marketing (publics identifiés et segmentés ou communautarisés).
            Sur le spectateur d’art et de culture, à proprement parler, les artistes s’interrogent d’ailleurs frontalement comme en témoigne l’oeuvre de Peter Handke, Outrage au public (1966). Une pièce de théâtre récente (Avignon 2012, Paris 2013), Spectateur : droits et devoirs, « conférence performative doublée d’une formation accélérée pour un public laïc et républicain », montée par Baptiste Amann, Solal Bouloudnine et Olivier Veillon, prend à nouvau le spectateur pour thème de ses discussions, puisque ladite « conférence » place les acteurs en symétrique du public, pour la spectatrice ou le spectateur, en les faisant entrer dans le jeu, à la fois comme sujets, objets et destinataires, et en finissant par unir salle et scène dans le reconnaissance d’une expérience sensible commune. Fût-ce aux fins de distanciation didactique, de prise de conscience, de fiction efficace, d’une entreprise désespérée de sauvetage ? C’est au spectateur de choisir, comme il en va pour certaines œuvres des artistes plasticiens Gary Hill, Thomas Struth, ou d’autres. Mais, cela signifie bien que cette question du spectateur, de sa place dans l’art, de sa formation doit être reconsidérée, notamment à l’heure où l’art contemporain prétend se défaire du spectateur (Groupe Democracia en Espagne, Biennale de Paris, Fabien Giraud et Raphaël Siboni, ...), où le théâtre contemporain voudrait devenir un théâtre de la capacité et plus de la conscientisation (ce que corroborent différemment Olivier Neveux, dans Politiques du spectateur, Paris, La Découverte, 2013, et Alternatives théâtrales, n° 116, « Le mauvais spectateur », 2013), ou des exercices inédits des multi-médias.
Toutefois, une remarque générale s’impose à ce propos qui ouvre plus largement le débat. Ces études de plus en plus nombreuses, nous les rencontrons non seulement à propos du spectateur d’art, mais encore du moraliste spectateur de la société, du spectateur de soi, ou du spectateur de la politique, ... En cela, il convient effectivement de préciser qu’il n’existe guère d’essence du spectateur, et que les figures de spectateur, si on peut en conceptualiser de telles, sont relationnelles, non ontologiques. Une figure de spectateur est toujours fonction d’un objet qui attire son attention... Par conséquent, il est possible de déplacer la catégorie de spectateur vers diverses champs, non seulement différentiels mais aussi historiques. 
Une partie des textes publiés dans cette livraison de Raison Présente, provient d’un colloque, organisé et présidé par Joëlle Zask, développé à l’Université de Provence. La journée était intitulée Figures du spectateur. Elle s’est déroulée le 31 mai 2012. En complément des interventions à ce colloque, nous publions, dans le même esprit, un texte portant sur le spectateur de cinéma et un article portant sur les arts de la rue, souvent absents de la réflexion théorique sur le spectateur. Enfin, nous ne pouvions clore cet ensemble sans référer à l’actualité. Introduits par un préambule d’Emmanuel Wallon, deux « manifestes » concernent un problème crucial de l’époque : l’enseignement de l’art ou des arts à l’école, trouvent ici leur place. Un problème de l’époque seulement ? Ce n’est pas certain, si l’on veut bien relire, par exemple, les pages consacrées à ce problème par Pierre Bourdieu, dans L’amour de l’art (Paris, Minuit, 1969, p. 97sq.). En tout cas, ils proviennent du collectif « Pour l’éducation par l’art ».
Le lecteur remarquera alors qu’outre sur le mot « spectateur » et son usage toujours un peu vague ou complaisant, l’interrogation porte aussi, à bon droit, de nos jours, sur la maîtrise, par le spectateur même, de la position dans laquelle il est mis, par ses propres moyens. Que l’on parle de la variété de ses formes - du spectateur d’art (ou du regardeur ou du spectateur, voire de l’auditeur), de soi, de la politique (Marcela Jacub en a récemment repris le thème à propos des limites de la notion de transparence, telle qu’elle est actuellement conçue au sujet de la vie politique : « Un peuple composé, non pas de citoyens, mais de spectateurs avides de potins prêts à tout pour savoir ce qui ne doit pas être su » (Libération, 27-28 avril 2013, p. XIX)), ou du monde (nature comprise) -, ou des différentes manières de lui ménager un espace ou l’accès à la parole (au delà des seuls bruits : cris, applaudissements, détournements), il convient de s’intéresser surtout aux principes, préceptes, procédés et institutions qui le rendent tel, ou qui visent à l’affranchir, par exemple, dans les pratiques de l’art contemporain. En l’accompagnant dans ses exercices de formation, en relevant certaines ironies à son égard, notamment de la part des artistes, en décryptant les réseaux d’images agencés autour de lui et les logiques festivalières ou biennalières, il est possible de produire une conception d’ensemble d’un réel éparpillé et fragmentaire, auquel nous participons chacun largement en allant au spectacle ou en nous laissant traiter de « spectateur de la politique », par les médias (avec ou sans ironie !), par exemple ou par les femmes et hommes politiques.
            Bonne occasion de rappeler qu’il est temps de cesser de refouler le débat politique concernant la posture du spectateur : spectateur et politique. La logique de la conjonction de coordination laisse se déployer plusieurs rapports possibles. En tout cas, l’absence de tout rapport est exclue. Au prisme du sensible, la séparation entre spectateur et politique est encore plus vaine que la séparation, prônée parfois, entre art et politique. Le spectateur d’art ne constitue pas une entité distincte de tout rapport social. Simultanément, il occupe une place dans un système de distinction (spectateur d’art, de stade, de médias, de la politique, ...), il discrimine ceux qui sont appelés dans le jeu de l’art et ceux qui en sont exclus, il se livre à une manière de poser le problème du commun et résulte d’une politique à l’égard des arts.
            Enfin, en ce qui regarde maintenant la politique conçue à l’égard du spectateur, il est temps de remarquer que les perspectives soulevées dans cette livraison de Raison Présente comportent bien quelques adresses aux institutions, tendant à les appeler à proposer de nouvelles politiques culturelles ou à se dispenser de certaines d’entre elles. Il faudrait d’ailleurs sur ce plan revenir sur le problème dans un prochain numéro.