20150405

Editorial


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L'Europe est sans substance, et il ne saurait être question de lui en trouver/inventer une, à partir d'un investissement symbolique maximal, même s’il s’agit d’accueillir et protéger des migrants ou des réfugiés. Elle est le produit de relations, de rapports, de négations, d'oppositions choisies ou subies, imposées ou décidées, qui font que son espace, qui ne saurait être réduit à des frontières sans cesse remaniables, à un territoire représentable par une carte, mais correspond plutôt à une nécessité de sortir de soi, en s'ouvrant et en accueillant aux/les autres. L'Europe ne vaut que par son ouverture interne et externe. Il n'y a pas une Europe, mais divers agencements qui se croisent et décident d'articuler leur histoire sans chercher une quelconque homogénéité. L'Europe est une pluralité de mondes acceptant de se confronter et de former une arborescence qui ne possède ni centre ni fondement, qui peut se ramifier n'importe quand dans des directions non déterminées d'avance.

Reprenons la question de la migration.

La scène est bien connue. Elle est abondamment diffusée dans les médias de l’image, sans doute aussi parce qu’elle sollicite la compassion, une photo récente le montre. Le plus souvent, au milieu d’une géographie bien typée – autour des îles de Lampedusa et de Kos, en Méditerranée –, elle donne à voir des barques de migrantes et de migrants errants sur la mer, emportées parfois par la colère des flots ou prises en charge par des gardes-côtes dont la fonction première est de garder des frontières. Des femmes, des enfants, des hommes, entre effarement et inquiétude, ayant l’air de sortir de l’inconnu, cherchent à aborder des côtes dangereuses et des écueils en décombres, entassés dans des barques peu sécurisées. Ne sont-ce que des successions d’images construites afin que les téléspectateurs se perdent en lamentations sur le sort des migrants ? Pas nécessairement. D’ailleurs qui pourrait se refuser à un excès de peine ?

Pour autant, rien d’autre n’est porté à son comble que le spectacle de la migration. Or, les images de « migration » soulevant, désormais, un imaginaire et des réactions fonctionnant comme des verdicts, la/le téléspectatrice/eur doit creuser un écart avec elles. Elle/il doit faire l’effort de problématiser l’existence des migrations dans le monde contemporain, d’élaborer un regard prenant en charge les dimensions de l’histoire, de l’économie, de la sociologie et de la politique des migrations.

Qu’appelons-nous « migration » ? Que signifie migrer ? Qui migre et pourquoi ? Et migre vers quoi ? Ce sont tout de même des interrogations qu’il convient de formuler. Et si l’on se saisit du terme « migration » en fonction des images citées ci-dessus, quelle(s) rectification(s) s’imposer ? Le même sort est-il réservé à la migrante et au migrant ? Quels sont les repères des changements ? Quel accueil reçoit le migrant ? Comment réagissent les États, est-ce en cohérence avec l’opinion ou avec la société civile ?

Ces questions, qu’il faudra sans aucun doute multiplier, ont du moins l’avantage, pour l’heure, d’obliger à prendre des distances avec les émotions, le pathos entourant les migrations. Elles incitent aussi à observer que « migration » est une notion qui ne prend une valeur que dans une association avec d’autres termes auxquels elle est confrontée. Tels sont, par exemple ici, les corrélats : « réfugié », « sans-papier », « exilé »,... Ce ne sont pourtant pas les seules combinaisons envisageables. « Migration » ne renvoie pas uniquement aux transmigrations. Le terme peut évoquer la transplantation de mots ou de traits culturels d’une langue dans une autre – pour la langue française, « aubergine » vient du Turc, une grande partie des termes commençant par « Al » (algèbre, algorithme,...) est d’origine arabe –, le transfert d’un concept d’un champ de recherche dans un autre (nous le prouvons par ces phrases même), les âmes des mortels s’élevant vers le Ciel,... C’est même cette confrontation à des objets différents qui peut conduire à forger des questions inédites, là où on se contente habituellement de réponses ou de solutions à des questions jamais révisées, parce qu’on présuppose que migration n’est qu’une circulation dans l’espace.

Cela étant, même en ce qui concerne la seule transmigration – l’ancien terme pour notre moderne « migration » spatiale –, les questions posées sont généralement peu approfondies. Nous contenterons-nous de considérer l’aspect économique des migrations ? Une migration désigne-t-elle uniquement la circulation des êtres humains d’un pays à un autre, émigration d’un côté et immigration de l’autre ? Qu’en est-il des migrants ruraux ? Une colonisation n’appartient-elle pas au registre des migrations, les États ne détestant pas encourager la migration de population alors qu’ils s’inquiètent d’avoir à recevoir des populations sur leur territoire, au point de dresser des murs de séparation (Mexique-États-Unis, Hongrie-Serbie,…) ? Qu’est-ce qu’un flux migratoire ? Flux et migration sont-ils identifiables ? Toute migration vise-t-elle une fin ?

Si nous étendons encore le champ des questions, cette notion nous renvoie aussi au droit. On se souviendra, en première approche et pour le contexte français, de l’article 4 de l’Acte constitutionnel de 1793 :



« Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année y vit de son travail ou acquiert une propriété ou épouse une Française ou adopte un enfant ou nourrit un vieillard ; tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité ; est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. »

Quant à l’article 13, alinéa 2, de la Déclaration Universelle des Droit des humains, il dispose:

« Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »

Dès lors s’ouvrent de nouveaux horizons dont on peut cerner les contours, en première approche, autour d’un couplage à réexaminer ensuite : migration dans une pensée du stock ou dans une pensée du flux ? Ce couplage qui engage fort clairement les questions signalées du sujet, de l’objet, de la finalité des migrations doit aussi puiser son efficacité ou ses limites dans le cadre de sociétés que d’aucuns dénomment désormais « liquides », selon les termes du sociologue Zygmunt Bauman, voire des « sociétés en réseaux » pour reprendre l’expression de Manuel Castells, qui se caractérisent, au cœur de ce qu’il est convenu d’appeler « la mondialisation », par des flux de population provoqués par la délocalisation des processus de production, des structures sociales réticulaires, les innovations imposées par les technologies de l’information, la restructuration des capitalismes et des postcommunismes.


20150404

Loi sur la création


Le chassé-croisé des raisons d'une loi
Christian Ruby, philosophe
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dernier ouvrage paru :

Abécédaire des arts et de la culture,

Toulouse, Editions de l’Attribut, 2015.





Dès lors qu’on accepte l’existence d’un ministère de la Culture, il y a des missions qui s’imposent à lui. Dès lors que les député(e)s voient poindre le risque d’une mise sous tutelle des citoyennes et les citoyens, ils ont une tâche à accomplir. C’est le cas actuellement. Il est requis de défendre, par un acte législatif – démarche qui devrait même valoir pour toute l’Europe –, des activités artistiques dont la survie dépend d’eux, la possibilité d’exposer les oeuvres d’art vivant (arts plastiques, cinéma, musique, chansons, multimédias, photographie,...) en public, sans tomber sous le coup d’interruptions brutales confinant à la censure des oeuvres, par destruction ou par exclusion, au sein des expositions publiques et en public.

Penser une législation de ce type ne consiste pas à inventer une loi de toute pièce destinée à conférer des privilèges à certains, les artistes. Cela contribue simplement à étendre le domaine de la protection des oeuvres d’art, dès lors que les options artistiques, les thèmes des expositions, les lieux d’exposition, les modalités des expositions mutent sous le coup des transformations des pratiques artistiques, ou sous le coup d’une délégation faite aux expositions de représenter une partie de la critique sociale. Pour ne rien dire de la censure économique. Les oeuvres dans les musées, devenues des oeuvres d’art, sont protégées, même si on en cache encore sous des prétextes moraux ; les oeuvres dans les FRAC, séparées de la vie, sont protégées, quoique toutes ne circulent pas ; les oeuvres en général sont des objets dont l’intégrité d’objets ou gestes non-marchands est protégée. Mais ce qui ne l’est pas actuellement ce sont les propositions de diffusion, de programmation, et les expositions, traversées de surcroît par des pratiques inédites de performances, mélanges, installations, transformations des spectateurs en acteurs,... L’actualité montre qu’elles sont soumises à des diktats de censure, d’autant plus furieux que les tensions politiques générales sont grandes et les soucis de l’état de la communauté sont patents.

Au cœur de la passe d’arme entre ceux qui sont favorables à la loi portant liberté de la création artistique et ceux qui y sont défavorables, les raisons échangées ne se croisent pas, parce que les présupposés à l’égard des arts divergent.

Afin d’établir leur refus, les uns construisent une équation simple et efficace. L’œuvre d’art contemporain n’est rien d’autre qu’une expression de l’artiste, selon les mots d’une vieille esthétique causale de l’intention, réveillée depuis quelques années. Puisqu’il ne s’agit que d’expression, alors les artistes sont déjà protégées par la loi sur la liberté d’expression. Si l’artiste manque à la loi, il tombe sous ses fourches. Il n’est pas nécessaire de leur faire le privilège d’une nouvelle loi qui les en exempterait. Ils sont déjà protégés comme n’importe quels autre citoyenne ou citoyen. Toute loi spécifique fabriquerait un « régime d’exception ».

On voit ici que la rédaction actuelle de la loi ouvre cette possibilité argumentative, puisqu’elle ne parle que de la création artistique. Il suffit alors d’ajouter que « création » équivaut à « expression » et l’argument tourne tout seul au détriment de la possibilité d’une loi. On peut même se moquer de ce libellé, et certains ne s’en privent pas : c’est évident, quel est le problème, etc.

Le vrai problème cependant est que cet argument repose sur une série de glissements, de l’artiste à l’expression et de l’expression à l’œuvre ; qu’il s’ancre dans une théorie de l’expression apparemment « démocratique », en ce qu’elle fait de chacun un artiste potentiel, par réciprocité ; et que nul n’a plus à se soucier de l’essentiel qui est posé ici.

L’essentiel, en effet, n’est ni l’artiste, ni l’expression, ni la restauration des vieilles esthétiques. L’essentiel est l’exposition en public des oeuvres, conformément à des oeuvres d’art qui ne sont pas « expressions », mais art d’exposition et donc « proposition réglée faite à n’importe qui, à de (futurs) spectatrices/eurs ». Au titre du mode de réception par un public anonyme indéterminé, elles s’exposent évidemment à des commentaires, des oppositions, des pamphlets aussi, qui relèvent tous d’une discussion publique qu’il faut assurer – les diffuseurs le font – et protéger – c’est le rôle de la loi. Mais une proposition établie en œuvre, quelle qu’en soit la nature et de quelque manière qu’elle contribue à reforger la dynamique de nos affects, est bien faite pour être discutée dans le dissensus, non censurée.

Reste donc le cas de la censure de l’exposition et dans l’exposition : morale, politique, communautariste, d’autant que l’œuvre provoque un choc ou une situation étrange (ce qui ne signifie pas qu’elle soit choquante). La censure imposée par tel élu qui interdit la présentation de telle œuvre sur sa commune, y compris lorsqu’il ne l’a pas vue ; celle de telle autorité qui fait enlever telle œuvre d’une exposition parce qu’elle ne veut pas ouvrir un débat ; celle de telle association qui veut faire la police pour que tel problème ne soit pas posé en public, etc. tous cas répertoriés par l’Observatoire de la liberté de création. La question est bien celle de l’imposition de la censure sur les arts exposés et sa négation totale de l’exercice de la spectatorialité.

Une loi est donc nécessaire qui garantisse non la liberté de création, non la protection des oeuvres, mais la liberté d’exposition des diffuseurs, des programmateurs, des médiateurs, des commissaires d’exposition, des directeurs d’institutions culturelles publiques et privées, et protège de surcroît les artistes, en particulier ceux qui ne peuvent faire appel d’une censure devant les médias parce qu’ils n’ont pas la notoriété suffisante. Elle pourrait affirmer le principe : « La création artistique est libre », ce serait un honneur pour la législation d’affirmer cela haut et fort à l’instar des principes démocratiques. Mais, il faut aller plus loin. Elle devrait se prolonger ainsi : « La création artistique et son exposition en public sont libres ».

Les citoyennes et les citoyens seraient protégés par là, dans leur devenir spectateurs. On ne pourrait leur dénier un droit à l’exercice esthétique de voir les oeuvres afin de mieux pouvoir les juger. Que dit la censure ? Les citoyennes et les citoyens doivent rester mineurs et à leur place ! Moi, le censeur, je sais ce qui est bon pour eux, et je peux préjuger de l’effet de l’œuvre sur un public ! Je décide de ce qu’il peut voir ou entendre ! Ce n’est évidemment pas le pari de la démocratie qui est pris par le censeur, car ce parti considère que les citoyens sont majeurs dans l’égalité des intelligences. Le censeur méprise les citoyens, dans le cadre démocratique.

Certes, deux règles peuvent exister pour des sphères d’expérience différentes – liberté d’expression et liberté d’exposition des oeuvres d’art. La législation n’a nul besoin d’être unique dès lors que les activités des hommes sont diverses et ne se recoupent pas au même endroit. Encore en faut-il une pour la liberté d’exposition.

Cela dit, bien sûr, les choses à juger ne se répartissent pas sagement, sous un régime ou un autre. Il est des actes qui échappent à cette répartition. Tant mieux. Cela permettra de ne pas laisser croire en l’éternité de la loi. Elle devra sans doute être remaniée, rediscutée, parce que les oeuvres d’art déplacent sans cesse les problèmes, fendent les harmonies. Elle pourrait aussi se retourner contre des oeuvres futures si d’aventure la définition des oeuvres d’art y était trop précise.

Mais, sous une telle loi, les citoyens redeviennent copartageants et responsables d’un monde collectif, par trois fois : pouvoir voir/entendre les oeuvres et pouvoir en parler lorsqu’elles ont été fréquentées ; exercer une parole discutant le commun ; et demander que l’on révise à nouveau les problèmes dès lors qu’ils se renouvellent.












20150403

Le projet Migrom

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Dear colleagues, dear partners, dear friends,

Please find below links to the first findings of the MigRom Project “The immigration of Romanian Roma to Western Europe: Causes, effects, and future engagement strategies, 2013-2017”.

It is investigating the experiences, motivations, and ambitions of Roma migrants from Romania who have recently moved to Italy, France, Spain, and the UK, and the effect of migration on their own lives and on the lives of relations left behind in the home communities in Romania. It also investigates popular, media, and official reactions to Roma immigration. This project is financed by the European Union under the 7th Framework Programme, coordinated by the University of Manchester and gathers different partners such as the European Roma and Travellers Forum, the Fondation Maison des Sciences de l'Homme, the University of Verona, the University of Granada, the Romanian Institute for Research on National Minorities, and the Manchester City Council.

Read more: http://romani.humanities.manchester.ac.uk/migrom/

Project Briefing, June 2014 : http://romani.humanities.manchester.ac.uk/migrom/docs/MigRom%20Briefing%20No%201.pdf

Digest of the initial research results and policy recommendations: http://romani.humanities.manchester.ac.uk/migrom/docs/ERTF%20Project%20report%201.pdf

Feel free to disseminate these documents !

Best regards,

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Chers collègues, chers partenaires, chers amis,

Veuillez trouver ci-dessous des liens vers des documents présentant les premières conclusions du Projet MigRom : “L’immigration des Roms roumains vers l’Europe occidentale: causes, effets et stratégies d’engagement futures, 2013-2017”.

Ce projet s’interroge sur les expériences, les motivations et les ambitions des Roms migrants de Roumanie qui ont récemment rejoint l’Italie, la France, l’Espagne et le Royaume-Uni, mais aussi sur les conséquences de la migration sur leurs propres vies et les vies de leurs proches qui sont restés dans leur pays d’origine. Le projet porte également sur les réactions officielles, populaires, médiatiques face à l’immigration rom.

Il est financé par l’Union européenne par le biais du Septième programme-cadre et coordonné par l’Université de Manchester. Ce projet rassemble des partenaires aussi variés que le Forum Européen des Roms et des Gens du voyage, la Fondation Maison des Sciences de l'Homme, l’Université de Vérone, l’Université de Grenade, l’Institut roumain de recherche sur les minorités nationales, et la Municipalité de Manchester.

Pour plus d’informations: http://romani.humanities.manchester.ac.uk/migrom/



Présentation du projet, juin 2014 : http://www.ertf.org/images/Reports/BRIEFING_MIGROM_FR.pdf

Résumé des premiers résultats de recherche & recommandations : http://www.ertf.org/images/Reports/migromdigestFR.pdf

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The project will investigate the experiences, motivations, and ambitions of Roma migrants from Romania who have recently moved to Italy, France, Spain, and the UK, and the effect of migration on their own lives and on the lives of relations left behind in the home communities in Romania. It will also investigate popular, media, and official reactions to Roma immigration.

Involving assistants from the Roma communities and drawing on the expertise of an interdisciplinary team of leading scholars in Romani studies, the project will deliver a much-needed ‘Ethnography of Roma Migration’: an innovative analysis of the causes and effects of Roma migration, an assessment of examples of good practice of integration of Roma migrants and a criteria schema for assessing good practice, a practical contribution to capacity building in Roma migrant communities, policy recommendations, and models for community engagement strategies.

The project will attempt to illuminate the Roma perspective on migration through a comparative investigation that will be based in Roma communities and in Roma homes.

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Le projet MigRom a pour ambition d’explorer et d’analyser les expériences, motivations et ambitions des Roms roumains immigrant en Europe de l’Ouest. Ce projet de 4 ans, coordonné par l’Université de Manchester, est mené en partenariat avec les universités de Vérone, Grenade et le Centre roumain pour les minorités nationales de Cluj-Napoca. Le cœur du projet est une ethnographie de familles Romani présente en Europe de l’Ouest afin de saisir les déterminants et les effets des circulations intra-européennes. Au coté de cette anthropologie familiale, il nous faut comprendre les contextes sociaux-historique dans lequel se déroule cette migration et nous avons donc, pour ce faire, développé un volet numérique, dans laquelle deux initiatives ont été menées.

La première s’attache à montrer la force des catégories héritées du passé dans la construction des politiques publiques contemporaines, à partir d’une analyse des catégories juridiques et administratives constituées depuis la fin du XIXème siècle sur les populations dites tsiganes ou itinérantes. L’étude des réseaux des tsiganologues de la fin du XIXème jusqu’à la première moitié du 20ème siècle offre une entrée inédite sur ces questions, et nous avons donc entrepris la numérisation et le catalogage de différents fonds, la présentation raisonnée et géolocalisée d’éléments qui en sont issus (circulaires, correspondance, etc.), ainsi qu’un travail de visualisation et d’analyse de ces données.

La deuxième consiste à mettre en place un dispositif d’analyse de controverse permettant de saisir l’émergence et la diffusion des « questions roms » au cours des élections municipales et européennes de 2014. Il s’agit de comprendre les modalités de circulation des discours politiques sur le Web en utilisant la cartographie des sites politiques.


20150402

Habitat III

Quito, Octobre 2016 ----------------------------------------------------------------------------------------

Il s’agira de la première conférence opérationnelle après l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement et l’après-2015, lors du Sommet spécial pour le développement durable organisé à New York, en septembre 2015. Le nouvel Agenda urbain mondial qui devrait être adopté à Habitat III fixera les grandes orientations qui seront reprises par les grandes institutions internationales (ONU, Banque Mondiale, Banques régionales de développement,…). La préparation de Habitat III s’appuie sur un double processus : celui des Etats membres porté par ONU-Habitat et celui de la société civile encouragé par la Campagne urbaine mondiale d’ONU-Habitat.

Les Etats membres préparent les documents nationaux et participent à la production des documents régionaux qui seront synthétisés dans un rapport global.

ONU-Habitat a mis en place un groupe de travail international pour rédiger des lignes directrices sur la planification urbaine et territoriale.

Le débat en préparation porte sur « La ville qu’il nous faut » (The city we need). Les documents préparatoires s’appuient sur les documents précédents portant sur la décentralisation et le renforcement des autorités locales, ainsi que sur l’accès aux services de base pour tous.

L’objectif est toujours de définir des principes universels, tout en favorisant une diversité d’approches de la planification. La planification urbaine est définie comme « un processus décisionnel intégré et participatif destiné à atteindre des objectifs économiques, sociaux, culturels et environnementaux grâce à l’élaboration d’une vision commune, de stratégies globales de développement et de plans territoriaux à différentes échelles ». Trois dimensions sont privilégiées : le développement social, la croissance économique et la protection de l’environnement. La mise en œuvre de ces projets nécessité « une volonté politique forte, des cadres administratifs et institutionnels appropriés, une gestion urbaine efficace, une bonne coordination, des approches consensuelles et une mise en cohérence des moyens pour répondre de manière efficace aux défis actuels et futurs ».

A cela s’ajoute que ONU-Habitat veut créer un réseau mondial des Urban Planning and design Labs, des ateliers de projet urbain.



Références :

- www.worldurbancampaign.org

- www.fnau.org

- www.isocarp.org

20150401

Abécédaire

Abécédaire des arts et de la culture
Christian Ruby
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Christian Ruby propose, sous la forme originale de l’abécédaire, un ouvrage questionnant
les notions d’art et de culture dans une approche historique, ouverte et
dynamique.
Loin de se contenter d’apposer des définitions figées aux concepts qui jalonnent
les arts et la culture, il entreprend un voyage au long cours à travers l’histoire des
idées (la philosophie grecque, les Lumières, l’ethnologie, la sociologie contemporaine…)
et aborde le sujet dans toutes ses dimensions : philosophique, sociologique,
anthropologique, politique.
Les références bibliographiques qui complètent chaque définition permettent au
lecteur de se constituer une « bibliothèque idéale » sur la culture qui peut s’avérer
très utile à quiconque entreprend des recherches sur le sujet.
Au final, à l’inverse de l’approche cultivée et eurocentrée entretenue par un
monde professionnel parfois replié sur lui-même, Christian Ruby invite les lecteurs
à penser les arts et la culture en termes dynamiques d’exercice pour qu’ils
nourrissent leur trajectoire personnelle de citoyen, pour qu’ils s’interrogent sur la
question de l’émancipation.
Philosophe, formateur de médiateurs culturels, Christian Ruby est l’auteur de
nombreux ouvrages, dont dernièrement Spectateur et politique. D’une conception
crépusculaire à une conception affirmative de la culture ? (La Lettre volée).
Il a notamment travaillé sur l’oeuvre de Jacques Rancière (L’Interruption. Jacques
Rancière et la politique, La Fabrique). Il dirige la revue Raison présente et collabore
régulièrement aux sites Le Spectateur européen et Nonfiction.

Auteur : Christian Ruby
Collection : Culture et Société
Parution : juin 2015
Prix public : 18 €
Format : 15 x 20 cm
Pagination : 232 pages
Descriptif : dos carré collé
ISBN : 978-2-916002-30-9

Arts et Culture


Arts et Culture : naissance de revuesLe Spectateur européen
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Deux nouvelles revues consacrées aux idées, à la culture et aux arts sont annoncées dans les librairies : aux Editions La Découverte/Médiapart, la Revue du Crieur (3 numéros par an) ; aux Editions de L’Attribut, Nectart (semestrielle). Comment ne pas célébrer ces deux arrivées dans le champ de la réflexion culturelle, alors que les problèmes s’y multiplient ? Elles contribuent justement à envisager une manière de répondre à la « crise de la culture » par la multiplication des réflexions, des analyses et des enquêtes grâce auxquelles prendre de la hauteur et envisager éventuellement des avenirs moins sombres.

Voici quelques détails sur la première revue arrivée sur le marché de la lecture, la Revue du Crieur, ainsi nommée parce que les logos de Médiapart et de La Découverte, pour ceux qui les regardent de près, contiennent des vignettes de crieurs de journaux (voir aussi le site www.revueducrieur.fr). On pourrait d’ailleurs étendre légitimement l’exercice ainsi imagé en convoquant l’aspiration, dans la période en cours, à affronter les affaires artistiques et culturelles en criant haut et fort la nécessité de ne pas se soumettre au prêt-à-penser culturel, et donc de réveiller un monde dont la propension à la soumission volontaire, par connivence ou obéissance, est assez caractéristique.

En rapport étroit avec les choix des thèmes et des angles d’attaque, parfaitement manifestes dans ce premier numéro de la Revue du Crieur, on retiendra l’idée suivante : il est temps de réfléchir au monde contemporain à partir d’enquêtes plutôt qu’à partir d’éclats médiatiques. Chaque article procède par conséquent de la volonté de donner corps au propos portant sur les arts et la culture, non pas à partir de diatribes, mais à partir de la mise au jour du rapport entre les œuvres (citées et commentées) et les structures sociales (contexte, sphère intellectuelle, artistique, etc.) et matérielles (éditoriales, médiatiques) qui les suscitent, les portent ou les diffusent.

Ainsi en va-t-il des enquêtes portant sur la pensée de Marcel Gauchet et de Michel Onfray. En les rangeant sous le titre du « consensus conservateur », ce n’est pas – heureusement - le mépris qui domine à leur égard, mais au contraire la recherche d’une compréhension approfondie de deux œuvres qui à la fois se saisissent de questions essentielles - les caractéristiques les plus spectaculaires du monde moderne, les graves menaces auxquelles nous serions exposés et la montée de toutes sortes de tyrannies - et les vouent à des recettes qui passent plutôt par des formules bien senties que par la réflexion pointilleuse (le relevé des « erreurs » dans les ouvrages de Michel Onfray est déjà bien diffusé). A propos de ce dernier on peut se demander – en marge de l’idée positive d’université populaire – si l’athéisme finalement ne remplit pas la même fonction qu’une religion.

En complétant ces articles par des enquêtes portant sur les rapports de Google et de la presse, sur le déploiement des théories du complot (les Illuminati), et sur la surveillance telle qu’elle est pensée par la NSA, le lecteur est non moins convié à se poser des questions sur la formation de l’intérêt esthétique dans le monde contemporain, sur les liens entre les entreprises et les arts, sur les fonctions du divertissement, etc. On regrette, à cet égard, que l’article précis portant sur l’art et l’argent – même si parfois les propos sont un peu banals -, dans les conditions contemporaines du développement de la sphère artistique, ne soit pas signalé en couverture, car il mérite d’être discuté et sans doute complété, surtout en ce qui concerne les artistes qui s’opposent à ces déploiements.

En ce qui concerne ce premier numéro – prometteur -, on pourrait dire en effet qu’il laisse osciller trop souvent son propos essentiellement autour d’une rhétorique de la catastrophe (intellectuelle chez les penseurs analysés, institutionnelle ou politique chez les entrepreneurs cités). Ce numéro s’efforce encore peu de déceler dans le présent des significations politiques nouvelles, susceptibles de favoriser des écarts avec les conceptions de l’histoire induites chez les uns ou les autres (le paradis ou l’enfer). De même qu’il n’explore pas suffisamment ce qui, dans les sphères de l’art et de la culture, contredit les faits relevés, et ouvre de nouveaux horizons.

Après avoir signalé la parution de la Revue du Crieur (Médiapart/La Découverte), nous voici à même de rendre compte de la parution d’une deuxième nouvelle revue concernant les arts et la culture. Elle s’intitule Nectart (Editions de l’Attribut), soit : Nouveaux Enjeux dans la Culture, Transformations Artistiques et Révolution Technologiques. Sous la direction d’Eric Fourreau, un comité de rédaction (Pascale Bonniel-Chalier, Jean-Gabriel Carasso, Jean Hurstel, Serge Saada, Emmanuel Wallon, ... désolé de ne pas citer chacun) contribue à souhaiter faire de cette revue un instrument d’observation et d’analyse de l’actualité culturelle nationale et internationale, et surtout un instrument pluriel (diversité des signatures), transversal (culture, arts, technologies), de débats. La revue n’exclut par les controverses (on le montrera ci-dessous), prolongées sur le site Internet (revue-nectart.fr).

La lecture du numéro 1 de Nectart alimente largement et avec pertinence la réflexion. On met peu de temps à saisir la qualité des articles, à apprécier l’acuité des regards proposés sur les arts et la culture, à s’approprier aussi des résultats d’enquêtes à partir desquels les analyses sont conduites. Les interrogations à partir desquelles les rédacteurs ont été contactés sont bien celles de l’époque (un événement, une loi, un propos), même s’il est parfois nécessaire de se méfier de trop coller à des thématiques fabriquées par certains médias (le bouleversement du paysage culturel, l’art devenu trop sage, ...). Le risque est tout simplement de répéter, quoique à une autre échelle, ce que tout le monde entend déjà partout.

Ce premier numéro s’ouvre par un entretien avec un invité : le psychiatre Boris Cyrulnik. Interrogé sur la résilience dans l’art, il répond pourtant surtout à la question des fonctions de la représentation dans la formation psychique. En quoi, il reste sur son terrain, ce qui lui permet de rendre son propos habituel plus accessible.

La rubrique Enjeux culturels réunit six articles construits à partir des questions de politiques culturelles : la compétition mondiale autour de la construction des nouveaux musées (Beaubourg, comme paradigme, et Bilbao-Guggenheim comme terrain d’extension, par Marc Terrisse), la question des territoires relativement aux lois récentes (par Emmanuel Wallon), les intermittents, à quoi s’ajoute une interrogation sur la place de la culture dans le régime Hongrois actuel (plus factuel que conceptuel). Chacun article se donne bien pour tâche de partir d’une actualité, puis alimente le débat avec des données, enfin expose le parti pris de l’auteur.

Dans le même dossier, on notera deux articles plus originaux.

Le premier est un article portant sur les droits culturels (Farida Shaheed). Il a le mérite de résumer les principes généraux conçus au niveau mondial (Unesco et Déclaration universelle des droits de l’homme), mais manque sans doute d’une réflexion plus concrète, notamment, sur le projet de loi portant sur la création artistique en cours d’élaboration en France (à discuter d’urgence), sur le concept de « droits culturels » (fort débattu en particulier en Belgique), voire sur les conventions européennes (mises à la question en Allemagne). Le second n’est pas à proprement parler un article, il s’agit plutôt d’une controverse fort intéressante portant sur « Une politique culturelle basée sur l’offre ou sur la demande ? ». Les deux protagonistes (Jean-François Marguerin/Olivier Babeau) déploient leur propos face à face sur plusieurs pages de la revue, ouvrant ainsi simultanément l’esprit du lecteur à ladite controverse.

La rubrique Transformations artistiques donne à lire une étude importante sur les séries télévisées et leur accession progressive au panthéon de l’art majeur (c’est évidemment une interrogation). Cet article rejoint toute une série d’autres articles de ce type, publiés dans les magazines ces derniers temps, comme si une inquiétude sourde devait peser sur les programmes télévisuels de la rentrée prochaine. La sociologue Anne Gonon tente une synthèse concernant l’art urbain. Cette dernière est classique, mais manque d’éclaircissements sur l’usage des concepts, l’espace urbain n’étant pas nécessairement identique aux lieux publics et ces derniers ne pouvant être confondus avec l’espace public. Confusions très courantes en France, alors que nos voisins Britanniques, Allemands et Italiens s’acharnent à juste titre à distinguer ces registres d’analyse.

Enfin, la rubrique Révolution technologique reprend le dossier Netflix, Deezer, Spotify, Amazon... sous l’idée d’une « impossession culturelle », ce qui, après tout, introduit un nouveau concept dans le débat.

Pour donner aux futurs lecteurs encore une précision, indiquons que ces deux nouvelles revues procèdent de typographies assez proches et de mises en espace qui sont typiques de l’époque. Ce qui ne peut qu’encourager leur approche par des lecteurs aux habitudes culturelles récentes.











20150306

Editorial

Die Zukunft Europas
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You will find below a message from Mr. Hubert Védrine. Is this the beginning of a new hegemonic cycle? Hubert Vedrine, Lionel Jospin's former Foreign Minister, recently stated in an interview, "the superiority of the West over the rest of the world is increasingly illusory".

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Empruntons un extrait d’interview au journal parisien Libération (31 mai 2015).

Il s’agit d’un fragment d’un propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Lionel Jospin et ex-secrétaire général de l’Elysée sous François Mitterrand, Hubert Védrine, reconnu comme l’un des meilleurs experts français en relations internationales, qui explique les défis auxquels doit faire face le nouveau président, François Hollande. Encore le propos choisi place-t-il plutôt l’Europe au premier plan. C’est ce qui nous intéresse.

« L’Occident a perdu le monopole du pouvoir mondial qu’il détenait depuis quatre siècles. En termes de puissance relative, les émergents sont déjà ce que nous pensions, avant la crise, qu’ils seraient en 2030 ! Cela se constate dans toutes les négociations internationales et sur le terrain économique, dans la « mêlée mondiale ». Mais les émergents ne forment pas une alliance homogène qui va dominer le monde. Les Occidentaux vont rester longtemps les plus puissants et les plus riches. Mais ce sera relatif, le monde sera multipolaire et instable. Dans ce monde, la France doit défendre à tous les niveaux et dans toutes les enceintes ses intérêts vitaux, et faire en sorte qu’elle puisse toujours, demain, prendre des décisions autonomes. Parmi les 193 Etats des Nations unies, la France fait toujours partie des quelque 5 à 10 pays les plus influents, avec une puissance et une influence plus ou moins grande selon les sujets, à condition qu’elle sache en user et mobiliser des partenaires ou des alliés. Il est évident que l’on est encore plus influent si l’on agit au niveau européen, rendu plus intégré par la crise. Mais pas parce qu’il faudrait «s’en remettre» par faiblesse à l’Europe ! L’Europe doit conjuguer par le haut les ambitions et d’abord celle, nouvelle, de la France. »

Quant aux rapports à entretenir avec les Révolutions arabes, voici ce qu’il en dit :

« Etre disponibles, les écouter. Pour tous les pays, ces printemps arabes sont une dure leçon de modestie. Aucun n’a pressenti ce qui se préparait. Ensuite, nous les avons admirés d’avoir renversé eux-mêmes des despotes. Nous souhaitons ardemment que leur démocratisation se concrétise rapidement, et sans heurts. Mais nous n’avons pas tellement de moyens pour influer sur le cours des événements. Il y a un contraste croissant entre l’idée que les Occidentaux se font de leur «rôle» et de leur responsabilité historique, et ce qu’ils peuvent faire. Ces peuples ont repris leur destin en main. Le Maghreb ainsi sera plus arabe, plus musulman, mais toujours francophile si nous savons bien jouer nos cartes. Les Américains n’ont guère plus d’influence sur le cours des événements en Egypte. Ces sociétés vont évoluer, au fil des années, y compris les partis islamistes, qui vont être encore plus transformés par le pouvoir qu’ils n’arriveront à changer la société. Mais il ne faut pas non plus passer d’un extrême à l’autre et penser que parce que nous ne décidons plus pour ces pays, nous n’avons plus rien à faire avec eux. Il nous faut avoir des capteurs, être au contact, garder des liens multiples et être disponibles pour apporter l’aide la plus intelligente possible, et des partenariats, si ces pays nous le demandent. »

20150305

Védrine / Balibar


Entretien d’Hubert Védrine et Etienne Balibar sur l’Europe
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Philosophie Magazine - Septembre 2010

Il est important de recentrer la notion d’Europe autour de débats polémiques. Ce pourquoi nous renvoyons nos lecteurs à l’entretien entre Hubert Védrine (ancien ministre des Affaires étrangères, en France) et Etienne Balibar (philosophe), publié par Philosophie Magazine, en septembre 2010.


Hubert Védrine: Je ne vois pas la construction européenne comme une grande et belle ambition fédéraliste collective qui se serait hélas enlisée dans les sables, la géopolitique prime. À mes yeux, les pères fondateurs ce sont d’abord Staline et Truman, avant même Monnet et Schuman. S’il n’y avait pas eu la menace soviétique après la guerre, si les Etats-Unis n’avaient pas crée l’alliance atlantique, et fait le plan Marshall, rien ne se serait fait. Ce n’est pas l’Europe qui a fait la paix, c’est la paix qui a permis l’Europe. Ensuite certains dirigeants européens visionnaires ont décidé de profiter de cette situation pour créer quelque chose d’inédit. Leur approche était concrète: communauté du charbon et de l’acier, marché commun, etc. Petit à petit des courants de pensée ont bâti, à partir de là, l’utopie des Etats-Unis d’Europe. Ce qui s’effondre aujourd’hui, ce n’est pas l’Europe, mais les mythes européistes. En réalité, l’Europe est d’abord l’enfant d’une situation géopolitique, pas la mise en oeuvre d’un extraordinaire projet historico-moral.


Etienne Balibar
: Je suis né en 1942, vous êtes un peu plus jeune que moi, mais notre génération a hérité de la précédente une utopie positive et mobilisatrice, celle de la réconciliation. L’Europe était allée à la catastrophe, elle avait plongé du fait des nationalismes dans une forme d’auto-destruction, il fallait, sous peine de disparaître, dépasser les souverainetés nationales et se réconcilier. L’utopie est donc un ingrédient constitutif de la construction européenne.


HV: La «réconciliation franco-allemande», inlassablement répétée, n’est pas à l’origine du projet européen. Le cadre européen lui a servi d’abri favorable. Pour que la dissuasion soit efficace face à l’URSS, les Américains avaient besoin que l’Allemagne soit dans le coup – ce qui n’a pas été facile à faire accepter. Ce n’est que plus tard a posteriori qu’on en a fait un «moteur».

EB: Disons que la réconciliation, instrumentalisée par la politique de la guerre froide, est devenue, du fait de la transformation de l’esprit des peuples, un objectif en soi. Mais d’une manière générale, l’effet de la guerre froide sur la construction européenne m’apparaît plus ambivalent. L’URSS ne représentait pas seulement une menace mais aussi un défi. Elle a joué un rôle d’aiguillon pour la mise en place du modèle social européen qui n’aurait jamais vu le jour si les gouvernements et les opinions occidentales n’avaient pas pensé que des formes sauvages d’exploitation capitaliste conduisaient à l’explosion sociale sinon au communisme, qu’il fallait généraliser la concertation entre le capital et le travail. Or ce modèle est aujourd’hui au cœur de l’identité européenne, les peuples le voient à tort ou à raison comme un rempart contre la mondialisation libérale sauvage. D’accord donc pour penser que la guerre froide est le cadre initial de l’Europe, mais sous réserve d’analyser de manière plus dialectique les effets de ce cadre sur la construction européenne: en chemin, le Mécano géopolitique est devenu une fin en soi.


HV: C’est devenu un objectif en soi pour une poignée de dirigeants. Giscard et Schmidt, Mitterrand et Kohl, Delors et quelques autres ont utilisé cette paix pour presser l’intégration. D’autant que l’Allemagne divisée, en remettait dans son engagement européen: c’était le prix à payer pour sa normalisation. Et puis patatra, ce cadre géopolitique général se désagrège: il n’y a plus d’union soviétique, plus de guerre froide, plus d’ennemi. Qu’est ce que ce monde global? Une communauté internationale régie par le droit? Un monde multipolaire? Une compétition générale? Face à ce que j’ai appelé l’hyperpuissance américaine, les Européens ont cultivé l’ingénuité. Mais dix ans après, les conflits resurgissent. Quelques années avant le 11 septembre, Huntington oppose au rêve d’une «fin de l’histoire» sa crainte d’un «clash des civilisations». Quand l’Amérique se lance avec hystérie dans «la guerre» contre «le terrorisme», l’Europe est désemparée. Le contexte géopolitique qui avait présidé à sa naissance s’est effondré, il n’y a plus de projet collectif qui s’impose à elle, excepté des engagements économiques, durs éléments fort des traités dans un monde en voie de dérégulation économique.


EB: La chute du Mur ne se réduit pas à un changement du cadre géopolitique. C’est un changement dans la perception du «sens de l’histoire», donc un événement de portée philosophique considérable. Et c’est aussi la réunification de l’Europe.


HV: La «réunification»? Mais elle n’avait jamais été unie auparavant sauf par la loi chrétienne à un moment.


EB: Vous ne pouvez pas nier qu’il y a une communauté d’histoire, de culture, des idéaux politiques qui ont circulé entre les nations. La guerre froide a tiré entre les deux moitiés de l’Europe un «rideau de fer» qui coupait les peuples de toute possibilité de circulation. La chute du Mur, c’est la renaissance virtuelle de cet espace de liberté, c’est la perspective d’une circulation pour les idées et les projets qui a enflammé l’imagination des Européens. Nous avons été nombreux alors à espérer que se constituerait non pas un peuple européen mais une opinion publique, un espace politique transeuropéen qui ne serait pas seulement animé par les dirigeants et les intellectuels mais par le grand nombre. De façon conflictuelle et laborieuse, l’idée d’Europe indiquait un chemin au-delà des souverainetés nationales. C’était là notre utopie, aujourd’hui dévalorisée.


HV: Je ne crois pas à ce dépassement. Exercice en commun de la souveraineté oui. Abandon non. Ce sont des nations trop nombreuses, avec des histoires, des langues et des passions différentes profondément enracinées. Depuis le XVIIIe siècle et les Lumières, il y a en effet un espace culturel commun aux élites. Vous faites partie du petit nombre d’intellectuels qui parcourent les capitales européennes et dont la parole est écoutée. C’est très important, cela peut donner à cet espace une orientation politique et morale. Mais cela ne concerne que quelques centaines de personnes. Ce n’est pas le projet des peuples. L’Europe, c’est une fédération d’Etats-Nations qui n’ont pas vocation à disparaître. Les Européens aiment l’idée de l’Europe, mais ils ne s’intéressent pas concrètement aux autres peuples européens. Cela n’a rien de tragique parce qu’ils sont tous pacifiques. Mais cela n’a rien à voir avec la formation d’une opinion publique «européenne». Les européistes rêvent d’une puissance morale, une sorte de Croix Rouge globale répandant le droit-de-l’hommisme dans le monde entier. L’évangélisation selon Saint-Paul reste le logiciel profond des élites européennes à travers les siècles. Mais l’Europe n’est plus sur son Olympe: elle n’a plus ni la légitimité ni l’efficacité pour jouer ce rôle. Les peuples, eux, je le crains, n’aspirent qu’à devenir une grande Suisse.

EB: Une Suisse, mais sans le secret bancaire alors…


HV: Oui, parce qu’exemplaire. Un haut niveau de vie, peu d’obligations et beaucoup de droits, une attitude compassionnelle mais distanciée par rapport aux malheurs du monde, voilà l’éthique des Européens. C’est inquiétant car dans la dure bagarre multipolaire qui s’annonce, si l’Europe ne devient pas une puissance, elle est condamnée au protectorat.

EB: Un protectorat de qui dans votre esprit?


HV: Sino-américain.


EB: Il y aurait donc un projet de condominium sino-américain?


HV: Pas besoin de projet pour que ce risque existe. Même si aucun des deux pays n’a intérêt à se retrouver dans un tête-à-tête exclusif avec l’autre, il y aura pour nous l’addition de leurs puissances. Je veux dire que si l’Europe continue comme cela elle subira les conséquences des décisions des uns et des autres, même si ceux-ci ne s’entendent pas. Voilà ce qui pourrait arriver de pire: accumulation de décisions sur un ensemble gélatineux qui n’a plus de pensée propre et n’arrive pas à se mettre d’accord pour se faire respecter qui devient, en somme, l’idiot du village global.


EB: J’irai plus loin. Ce n’est pas le protectorat qui nous menace, c’est la désagrégation pure et simple. Je redoute que les Etats européens ne soient même pas capables de maintenir les grands acquis. Et d’abord la paix. Cela paraît démentiel d’imaginer la renaissance du nationalisme qui nous ramènerait à des conflits tragiques que la construction européenne avait pour fin de dépasser. Mais on ne peut l’écarter. Je redoute qu’une Europe dramatiquement affaiblie, ne se transforme en champ de bataille de forces politico-économiques qui lui sont extérieures. Or, il n’y a aucune raison de penser que tous les pays auront une même analyse et une même stratégie face aux menaces de demain. Je ne crains pas seulement des désaccords entre la France et l’Allemagne, je me demande quelle raison ces deux pays pourraient avoir de marcher du même pas et d’avoir une position commune si ce sont les forces de la mondialisation qui l’emportent. Il n’est pas évident que les peuples ressentent le besoin d’être réunis dans la mondialisation de demain. Dans un monde dérégulé, on sent monter une obsession de la protection imaginaire qu’offrirait le cadre national...


HV: Imaginaire, peut être. Mais sa désintégration fait peur. La question de fond est bien celle que vous posez: les européens ont-ils, oui ou non, un intérêt à être unis face à la mondialisation? Autant je suis prêt à une relecture décapante et réaliste des raisons pour lesquelles l’Europe a été construite autant je ne suis pas prêt à lâcher sur ce point: ils doivent être unis sur quelques points stratégiques dans la bagarre multipolaire qui s’engage. Les peuples sont égoïstes c’est normal. Il n’y a pas de peuple ni de gouvernement «altruiste». En revanche, ce qui est dangereux, c’est qu’il n’y ait plus le deuxième échelon consistant à transformer les intérêts nationaux légitimes au premier degré en intérêts communs de second degré. Or les Européens ont un intérêt vital à élaborer des stratégies globales. Pas en fusionnant. Jamais l’Allemagne et la France ne seront le Dakota du Sud et le Dakota du Nord. Mais si l’Europe ne s’institue pas comme un pôle, on va se faire plumer! Je ne comprends pas que les dirigeants européens n’aient pas élaboré une stratégie commune face à la crise, et une stratégie pour le monde multipolaire plus convaincante, plus frappante.


EB: Je ne veux pas jouer à tout prix le rôle du militant en face de l’homme d’Etat. Mais il faut aussi, en politique, tenir un autre langage que celui des gouvernements et de la diplomatie. Or ce qu’on appelait la social-démocratie européenne s’est avérée totalement incapable d’esquisser une réponse crédible à la crise financière internationale. Cela démontre le degré de décomposition organisationnelle, mais aussi intellectuelle et morale, de la politique européenne, en particulier à gauche. Absence de perspectives aussi bien que d’enracinement populaire…

HV: Face à la crise les gouvernements de droite ont été pragmatiques, sans états d’âmes: ils n’ont pas hésité à nationaliser, et à rétablir les contrôles étatiques. Tandis que la gauche social-démocrate l’a vécu comme un drame conceptuel: alors qu’elle achevait de se résigner l’économie de marché, voilà que celle-ci se transformait en un gigantesque casino. Aujourd’hui la gauche n’arrive même pas à théoriser le faible sursaut des Etats qui s’opère sous nos yeux. Elle est le dindon de la farce. Dans toutes les réunions de la gauche européenne, on commence par exprimer son attachement absolu… au libre-échange! Mais le libre-échange intégral qui met en compétition des centaines de millions de paysans asiatiques ultra pauvres avec les anciennes classes ouvrières européennes protégées par deux siècles de lutte, c’est absurde! Non, vraiment, la gauche doit se refaire!


EB: Oui mais elle manque aujourd’hui de toute culture internationaliste, alors que la seule réponse institutionnelle crédible à la crise se situe au niveau européen. Il ne s’agit pas de supprimer les Etats-Nations. Mais comment pourrait-on réguler de façon un peu stricte l’activité des banques en Europe, si les Etats agissent indépendamment les uns des autres? Comment pourrait-on donner un contenu à l’idée d’une politique budgétaire qui vienne compléter l’existence d’une monnaie commune si la puissance souveraine est toujours strictement nationale? J’admets que la notion de fédéralisme est équivoque: elle hérite de différentes traditions, et au fond il s’agit d’en inventer une forme nouvelle. Sans être nécessairement fédéraliste, il s’agit d’instituer un niveau de puissance publique qui soit efficace et démocratiquement légitime à l’échelle de l’Europe.


HV: Si on appelle à des abandons de souveraineté parce qu’on se sent trop petit et fatigué au niveau national, l’Europe n’est alors que le visage de notre épuisement. Mais il y a aussi un fédéralisme d’ambition qui consiste à exercer en commun la souveraineté.


EB: Vous accepteriez donc l’idée de souveraineté partagée?


HV: Non seulement je l’accepte, mais j’ai signé avec ce stylo plusieurs traités de souveraineté partagée, et nous la pratiquons depuis longtemps. Que l’Europe ait une vraie politique dans la bataille de la régulation, une vraie gouvernance économique de sa monnaie, une vraie politique d’ «écologisation» (de l’agriculture, de l’industrie, des transports, de l’habitat, du travail,), des stratégies multipolaires (face à la Chine, à la Russie): pour réaliser cela on n’a pas besoin de demander aux peuples de renoncer à leur égoïsme. Il faut seulement faire émerger les intérêts communs, au-delà des intérêts de chacun. La coordination des politiques économiques dans la zone euro, faite dans un esprit de délibération publique et démocratique, déclencherait une dialectique des opinions en quelques années. Mais pour cela il faut des gouvernements nationaux forts, capables de mettre en commun leur pouvoir, pas une mutualisation des incapacités…


EB: Les forces centrifuges sont, étonnamment, de plus en plus puissantes. Les classes dirigeantes, en particulier la bourgeoisie financière, n’ont plus d’intérêt à préserver la cohérence du tissu social dans chacun des pays européens. Elles ne croient plus qu’il faut faire des concessions à la classe ouvrière, qui dans le même temps s’est désagrégée. La coordination en vue de la régulation, il faudra donc l’imposer. Et c’est plutôt d’en bas que j’attends le sursaut, dans une forme nouvelle de populisme ou de civisme européen. Je n’appelle pas à la révolution, mais à la mobilisation des opinions et à la renaissance des mouvements sociaux, sur de nouveaux objectifs traversant les frontières. Je n’oppose pas le populisme à la souveraineté des Etats ou des gouvernements…


HV: Non, vous l’opposez à un élitisme a-démocratique et technocratique. Ce en quoi vous avez raison.


EB: La question fondamentale que je me pose est celle-ci: quelles sont les forces avec lesquelles se font l’histoire et la politique? Il me semble que vous avez une vision politique classique, où ce sont les gouvernements, représentant des peuples et des nations, qui déterminent des stratégies en fonction d’un contexte géopolitique en perpétuel changement. Je pense pour ma part qu’il y a d’autres forces. Sur l’Europe, j’ai employé le mot de populisme par provocation pour laisser entendre que les élites, les gouvernements, les Etats ne suffisent pas à représenter les peuples, mais dans certaines circonstances n’en sont pas les maîtres.

HV: Mais s’ils sont élus par ces mêmes peuples?


EB: C’est une partie incontournable – et à laquelle je ne suis pas prêt à renoncer – de l’idée de démocratie, mais une partie seulement. Et au niveau européen, le Parlement, bien qu’élu au suffrage universel direct, a des pouvoirs très limités dont il fait un usage très restreint. De sorte que l’élément de démocratie élective et parlementaire, fondamental, est extraordinairement fragile.


HV: Il ne faut pas rompre le lien fragile, mais qui subsiste, entre la construction européenne et la démocratie. Le débat sans fin sur les institutions n’aide pas: les gens normaux n’ont pas envie de vivre dans un mécano en perpétuelle construction. L’Europe est plus technocratique que démocratique et les organismes de décision se sont autonomisés, aux dépens souvent du cadre démocratique. J’ai entendu des commissaires proclamer: «nous sommes plus légitimes parce que nous sommes plus efficaces!». Ce qui est doublement contestable! Un peu de populisme à la Balibar contre cet esprit technocratique pourrait être tonique…


EB: Plus de civisme ou de populisme, c’est plus de conflits. Du conflit social, mais aussi culturel, spirituel, etc. C’est l’aspect machiavélien de ma vision de la démocratie. J’en vois bien les risques. Mais quand on veut se protéger contre le risque on aboutit à l’anesthésie et à la coquille vide.


HV: Ce qui inquiète les peuples européens dans la construction européenne, c’est cet élargissement qui parait sans fin. Je pense qu’il faut que cela s’arrête quelque part. L’Europe ne va pas intégrer le Japon, la Russie, Israël ou le Sénégal! Il faudrait plutôt faire la liste des pays qui ont encore vocation à entrer - une dizaine à mon avis. C’est important si l’on veut que les citoyens s’identifient à un ensemble organisé et fixe. On ne s’identifie pas à un ensemble gazeux qui se dilate sans fin.


EB: Pour moi, dans l’absolu, il n’y a pas de frontières à l’Europe. Elle n’a jamais été un espace clos. Le mouvement d’expansion séculaire dont fait partie la colonisation a entraîné une interpénétration mutuelle de sorte que l’Europe a toujours été et sera toujours un carrefour d’influences culturelles et de relation d’intérêt avec toutes les parties du monde.


HV: Mais les limites territoriales, ce n’est pas la même chose. Même les Etats-Unis en ont! Il faut bien s’arrêter quelque part, et cela n’empêche pas des relations ouvertes avec le reste du monde. Cela ne correspond plus à l’adhésion.


EB: Du point de vue de l’idéal européen, il est impossible de fixer des frontières. Mais je comprends très bien qu’on puisse le faire dans un souci pragmatique, à condition qu’on ne mobilise pas des fantasmes identitaires sous le couvert de critères dits «rationnels», historiques ou géographiques. La frontière politique ou administrative ne peut être déduite du partage culturel entre les héritages de la Chrétienté et de l’Islam.


HV: Je me borne à dire que quand l’Union européenne aura fixé sa géographie de façon stable, les citoyens européens se sentiront mieux. Ne pas le faire c’est la noyer.


Propos recueillis par Martin Legros.

20150304

The Cut

Fatih Akin
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Es war die Grösste Herausforderung im Leben des Fatih Akin : ein Film über den Völkermord seiner Vorväter an den Armeniern, der in der Türkei hundert Jahre Lang totgeschwiegen wurde. Viele in Akins Umgebung haben ihn Davor gewarnt, und nun, da, The Cut ins Kino kommt, spürt er : Dieser Film hat Konsequenzen auch für seinen privaten Kreis.

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Akin répond aux questions de Die Welt :



- Wann wurden Sie erstmals mit dem armenischen Genozid konfrontiert ?

Das muss in meiner Jugend gewesen sein. Ich habe mitbekommen, dass da etwas war, in das meine Landsleute involviert waren und worüber man nicht reden sollte. Seitdem habe ich so ziemlich jedes Buch dazu gelesen.

- Ist in der Familie Akin in hamburg darüber geredet worden ?

Ich komme aus einem politisch konservativen Elternhaus. Meine Familie gehört ethnisch, kulturel und in ihrem Wahlverhalten zum Mainstream und vertritt eher die offizielle Haltung. Ich habe leidenscheftlich mit meinen Eltern über Armenien diskutiert. Sie finden nicht allés toll, was ich mache. Mit einem Film wie « Gegen die Wand » können sie eher wenig enfangen. « The Cut » abev hat sie emotional sehr mitgenommen. Nach dreissig Minuten hatte der Armenier all ihr Mitgefühl.

- Könnte « The Cut » für die Turkei das werden, was die Serie « Holocaust » für Deutschland wurde ?

Vielleicht. « Holocaust » hat Mitgefühl mit den Opfern der Shoah ausgelöst. « The Cut » ist auch so ein « Schmugglerfilm ».

20150303

EGAM


Presentation of the European Grassroots Antiracist Movement

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History

The European Grassroots Antiracist Movement EGAM was founded in November 2010 in Paris following racist attacks that took place in Rosarno, Southern Italy. These events faced no reaction but silence by European political leaders and civil society. Its main objective is to answer the rise in racism, antisemitism and populism in Europe and to structure civil society’s commitment to equality and justice.  
Structure  
EGAM gathers the most important antiracist organizations from more than 30 countries all over Europe, inside and outside the European Union. Dozens of organizations have joined and keep sustaining EGAM in its fights. These associations represent 1.000 executives and thousands of activists. The EGAM’s head office and executive team are located in Paris.

Three main action areas

EGAM’s strategy is focused on three main types of activities: European-wide grassroots actions, lobbying activities targeting the European Institutions and support to the leaders of the antiracist civil society.

Grassroots Actions :
Roma Pride. http://www.egam.eu/presentation/
« Europe against neo-Nazism » in Greece. http://www.egam.eu/presentation/
Commemoration of the Armenian genocide in Turkey. Read more…
European Testing campaign against racial discrimination. http://www.egam.eu/presentation/
Support to democracy and human rights in Hungary. http://www.egam.eu/presentation/

Lobbying

The EGAM leads lobbying activities targeting national and European institutions – the European Parliament, the European Commission and the Council of Europe – and is officially recognized by them.

Informing and influencing European leaders

EGAM provides them with information, explanations and advices about some statements and decisions. It regularly participates in these institutions’ commissions and auditions.

Leading institutional campaigns

The EGAM denounced the presence of the neo-nazi group “Golden Down” at the equality commission of the Council of Europe. Today, it is heading a movement which aims at excluding this group from the Council and from the Greek Parliament. EGAM also works on a resolution of the European Parliament on the Roma genocide and is currently campaigning to push European Institutions to guarantee the respect of democracy in Finally, EGAM regularly publishes open editorials : more than 20 articles have been published in the main 50 newspapers of 30 countries.

Support to the civil society’s leaders

Because EGAM wants to strengthen the capacities of the civil society’s leaders, it implements every year training sessions and seminars on different topics: Holocaust history (2012 Paris), immigration and asylum (2013 Italy), racial discrimination (many countries since 2010), Roma people’s issues (2012 Sofia, 2013 Bucharest)… These trainings allow to build a common European vision and understanding of different issues among leaders of European civil society who eventually get to know and understand each other to work together.

Various and strong partnerships : Institutional partnerships


EGAM has built many partnerships at the European level: Amnesty International, European Union of Jewish Students, Open Society Foundations, Armenian General Benevolent Union, Ternype (young Roma), United, European Alternatives…

Intellectual network

EGAM is supported by a European network of intellectuals (Elie Wiesel, Bernard Kouchner, Dario Fo, Adam Michnik, Miguel Angel Moratinos, Jovan Divjak, Serge Klarsfled, Jonas Store,…) with whom we try to define and influence views and opinions on the future of European society.

20150302

Monuments

Le choix des monuments à conserver
Christian Ruby  ----------------------------------------------------------------------------------------
Zu viele historische Gebäude, für die wir begeistern sind, würden wohl auf lange Sicht abgerissen. Manche Baudenkmalen müssen unbedingt erhalten bleiben. Ein gutes Beispiel sei das Denkmal von der Exposition coloniale de 1907, in Paris, Jardin d’agronomie tropicale René-Dumont. Ein Blogger aus Berlin erinnert uns an den Zauber dieser Entdeckerlust. Man könnte er als Ruinentouristen bezeichnen. Und in Paris ?
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Death, art and monuments. Monuments have one primary task : to attract visitors and make them remember the dead. These monuments are relatively little studied and little known. Indeed, they were intended to establish in the collective Memory and set for ever the honourable réputation of the subjects they commemorated. Do they recreate the culture and society of the people who produced them, communicating everything from social, political and religious idéals ?

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Les lieux urbains importants mais abandonnés sont nombreux. Par abandon pur et simple, par refus d’entretenir, par négligence, par refus de s’en soucier. Tel est le cas du Jardin d’agronomie tropicale René-Dumont, ou du moins des monuments qu’il recèle, à Paris. Situé en bordure du Bois de Vincennes et à proximité de Nogent-sur-Marne, il abrite des vestiges de l’exposition coloniale de 1907. Serres tropicales, maison du Maroc, ponts asiatiques, sculptures de diverses colonies de l’époque, sont recouverts par la végétation et s’effondrent. La mairie de Paris indique : Ce jardin de 4 hectares et demi, inauguré en 1907 par l'exposition coloniale, a été racheté par la Mairie de Paris en mai 2003. Ouvert au public depuis le mois d'avril 2006, il abrite le Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD).

Elle précise encore : Un jardin d'essai colonial est créé en 1899 dans le bois de Vincennes pour coordonner les expériences agronomiques et réintroduire des végétaux exotiques sur de nouveaux sites de production. Ainsi, des plants de café, cacaoyer, vanille, bananiers... sont cultivés sous serre puis expédiés vers diverses colonies. De mai à octobre 1907, le site est transformé pour abriter cinq villages de l'exposition coloniale: villages indochinois, malgache, congolais, ferme soudanaise et campement touareg. Le jardin a été ensuite abandonné et la végétation a repris ses droits... Après la première guerre mondiale, il a accueilli des monuments aux morts en hommage aux soldats originaires des anciennes colonies. Le pavillon de l'Indochine a été restauré et propose désormais des expositions temporaires.



Un document d’ensemble est accessible sur :

http://www.apur.org/sites/default/files/documents/jardin_agronomie_tropicale.pdf



Dans ce jardin, nous devons prendre de front notre histoire, ici coloniale, mais à la fois d’un point de vue post-colonial et en considération des migrations qui caractérisent les mondes post-coloniaux. En ce sens, la rénovation de l’ensemble est souhaitable, elle contribuerait à faire entendre ce qu’est et a été cette histoire et donnerait consistance à des réponses nécessaires aux questions que de nombreux citoyennes et citoyens se posent, relativement au livre noir du passé colonial. Cette rénovation devrait alors faire l’objet d’un travail sur l’art colonial imposé au partage colonial, sur ce partage même et ses critères raciaux, ainsi que sur l’imposition du langage du colonisateur, et sur le refus toujours en cours de toute appréhension de l’art et de la langue des pays devenus indépendants.



Mais on remarque, non moins, outre les monuments en ruine de cette exposition, trois stèles plus tardives, dédiées aux morts de la Première Guerre mondiale, dont la lecture est à la fois glaçante et nécessaire. Elles séparent les « soldats morts pour la France », des « soldats coloniaux » morts durant la même guerre et des « soldats noirs morts pour la France ». Trois stèles, trois inscriptions, trois distinctions, autant de discriminations et de constructions historiques qui ne peuvent laisser la pensée en repos. Ces stèles ne sont pas honorées, par différence d’ailleurs avec d’autres monuments aux morts (Malgache, Cambodgien,...) qui demeurent des lieux de rassemblement et de commémoration.



La mémoire collective nationale est sélective, on le sait. Elle construit les fictions qui sont requises, selon les gouvernements, pour entretenir, réveiller, promouvoir « l’unité » nationale. Les abandons de monuments sont non moins significatifs.





20150301

Litterature

Voir, mal voir, ne rien voir : essai sur la libido spectandi
Christian Ruby
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Oeuvres morales,
Pierre Nicole
Edition Thibault Barrier, 
Coll. Le philosophe, 
Paris, Editions Manucius, 
2015.

Pouvons-nous comprendre quelque chose au Grand Siècle, si nous ne saisissons pas d'emblée une mise en perspective centrale à tous points de vue, fort bien énoncée par Pierre Nicole (1625-1695), membre comme on le sait de Port Royal : « Il y a une profession commune » à tous les hommes, « et un métier général que tous les hommes sont obligés de faire » ? Lequel : « Celui d'être des hommes et de vivre en hommes ». L'avertissement est clair. Effectivement, « ce métier est infiniment plus important que tous les autres ». A fortiori lorsqu'on est chrétien et qu'on met tous ses espoirs dans le Ciel plutôt que dans une profession ou un état.

Ceci accordé, le Discours sur la nécessité de ne pas se conduire au hasard de Pierre Nicole poursuit son propos en ce sens. Pour accomplir ce métier, il convient d'adopter des règles. Ce sont autant de devoirs. Quels devoirs ? « Ces devoirs consistent à vivre et à mourir comme il faut ». Et l'auteur de préciser : « Vivre, c'est marcher vers la mort. Mourir, c'est entrer dans une vie éternelle ». C'est entre ces deux moments, qui transcendent en partie la question de la finitude, que l'homme, si possible chrétien, doit s'orienter. Bien vivre, c'est marcher dans un chemin qui conduit à l'éternité. Et vivre mal, c'est se contenter de vivre ici-bas. La question d'une théologie chrétienne assortie d'une morale est aussitôt mise en scène. Elle recouvre la totalité de l'ouvrage.

Bien sûr, ce recueil d'écrits - insistons la fabrication de ce recueil et non les écrits mêmes de Nicole -, rédigés par Nicole, dans cette configuration, n'est destiné ni à muer le lecteur en chrétien, ni à témoigner seulement des ouvrages importants du Grand Siècle, parfois largement oubliés. Ceci, même si on peut rappeler que d'autres ouvrages de Nicole, la Logique, par exemple, ont fait les beaux jours des réflexions sur la linguistique dans les années 1970 ; la Grammaire de Port-Royal ayant, elle aussi, fait l'objet d'un travail de Michel Foucault à cette époque, de même que d'autres écrits plus dispersés avaient bénéficiés des commentaires de Louis Marin (cette fois autour de la notion de représentation). Ce recueil est plus exactement destiné à ouvrir un débat sur la notion d'ordre du visible, nous allons y revenir.

Techniquement, Pierre Nicole publie, à partir de 1671, sous le titre générique de Essais de morale, quatre volumes, par ailleurs édités et réédités avant sa mort (1695), et réédités depuis sous forme de multiples découpages orientés dans des sens différents. Plus précisément, il s'agit globalement de deux volumes d'essais, deux volumes de lettres, et de cinq volumes d'une Continuation. S'il existe, de cette montagne d'écrits, de nombreuses anthologies, le choix proposé ici diffère des précédents en ce qu'il édite des textes qui n'avaient pas été publiés depuis plus d'un siècle. Mais pas uniquement. Il donne aussi à lire la cohérence d'une oeuvre éthique spécifique à partir de l'analyse de paramètres très précis : bien sûr, celui d'un croyant qui défend entièrement la religion « qui est la chose du monde la plus importante et qui fait dans tous les peuples une partie très considérable de leur morale », mais sans se méprendre sur la nécessité subsistante de promouvoir aussi des règles éthiques qui ne soient pas au seul service de la particularité. Si la vie humaine est un « voyage », il faut aussi s'occuper du soin de ceux qui voyagent et s'informent du chemin qui mène au lieu où ils ont dessein d'aller.

Toutefois, ce qui importe plus encore au concepteur du volume, et l'on peut dans ce dessein négliger les efforts appuyés de Nicole pour défendre la foi, c'est le mode d'analyse pratiqué par l'auteur, à l'égard de la société. C'est alors toute une rhétorique du regard et de la visibilité qui vient en avant. Nicole ne cesse d'opérer la critique des attraits engendrés par le monde visible. Le monde est conçu comme un spectacle chatoyant et trompeur. Le terme « éclat » revient souvent dans les propos, soulignant combien l'esprit humain peut se perdre dans les lumières du monde. Le monde est donc envisagé comme un grand séducteur, il exerce cette séduction sur les hommes par le regard.

Mesurés à l'aune des perspectives et soucis contemporains, deux écrits de Nicole sont, de fait, passionnants. D'abord celui qui concerne la comédie, le théâtre, un extrait ici du Traité de la comédie (publié en 1667). On pouvait s'y attendre, ce texte condamne la comédie, en décelant une incompatibilité de principe entre le spectacle et la vertu chrétienne. Mais ce qui importe est moins cette réfutation que le type d'argumentation utilisé, ancré justement dans la question du regard. Nicole oppose le divertissement et la piété ou la dévotion. C'est sur cette opposition qu'il fonde sa fougue anti-spectacles, à l'époque où beaucoup tentent de montrer que le théâtre peut être moral. Le principe en est le suivant : la véritable règle chrétienne exige une vie de devoirs et d'élévation, notamment par rapport au néant du monde. Une description du pécheur (dans un des écrits antérieurs) ne laisse aucun doute sur l'attitude à adopter dans cette croyance à l'égard du monde. Autant dire que, par différence, le divertissement reste du côté de l'agrément relatif à lui, par conséquent de l'éclat auquel on se laisse prendre. D'ailleurs les arguments de Nicole à l'encontre de la comédie se répartissent ainsi : la vie des comédiens et comédiennes, tout d'abord, est une vie dissolue, ils vivent même les passions qu'ils représentent sur scène dans la vie sociale, bref, la comédie est une école de vice. L'argument est classique et connu. Mais vient alors l'argument portant sur le but de la comédie et ses effets (de visibilité, voire ses excès démonstratifs), qui contribuent à faire aimer les passions (en soi vicieuses) en les excitant aux yeux des spectateurs (sans leur donner les moyens d'en arrêter les effets), alors même qu'ils ne s'en rendent pas compte. En somme, le théâtre est d'autant plus dangereux qu'il paraît inoffensif. Moyennant quoi, puisque ces inclinations dans la comédie corrompent les spectateurs, il faut leur proposer le seul remède valable : la prière, c'est-à-dire le recueillement dans la dévotion, le silence et l'adoration divine, seuls susceptibles de déplacer correctement le regard vers la vertu véritable qui n'est pas le simulacre de contrition rencontré parfois dans les spectacles. A quoi Nicole ajoute non pas un argument supplémentaire, mais un propos important : d'ailleurs, écrit-il, les vertus chrétiennes sont incapables de paraître sur la scène, la preuve en est qu'on n'y représente pas (ou mal) les saints.

Où l'on observe fort bien que la question des passions est centrale pour cette époque. Nicole les définit d'ailleurs ainsi : « Toutes les passions sont des espèces de scandales, c'est-à-dire qu'elles disposent l'âme de celui qui les voit au péché et aux chutes ». Mais pas uniquement. Est plus centrale encore la liaison entre passion et regard.

La discussion sur le portrait est de même nature. Doit-on se laisser peindre ? Telle est la question posée à Nicole. La réponse ne se contente pas de référer à la « vieille » querelle théologique contre le culte des images (Concile de Nicée II, 787). Elle est plus ample. D'abord remarque Nicole (à partir d'une anecdote évangélique hautement improbable et que Nicole, il est vrai, se garde d'attribuer à un apôtre), le Christ n'a jamais accepté que l'on dresse son portrait (demandé par le roi d'Edesse), n'envoyant à ses correspondants que la trace de sa figure (le voile de Véronique en quelque sorte), mais afin moins de la contempler que de la graver dans leur coeur. Ensuite, écrit-il, l'homme est une créature pécheresse qui ne peut qu'avoir de la répugnance à entretenir son souvenir terrestre par des images ; et les saints n'ont jamais laissé de tels portraits. Puis vient l'argument (qui en intéressera beaucoup de nos jours) selon lequel les portraits de femmes sont d'autant plus indécents qu'elle doivent (veulent ?) vivre caché, derrière un voile, légitimé par les paroles de Paul (Epître aux Corinthiens). Il en est de même pour les personnages vieillissant qui devraient plutôt cacher leur déchéance. Et Nicole de conclure : il faut donc refuser la malignité qui consiste à vouloir se faire considérer et perpétuer dans un tableau qui, de toute manière, n'en reste qu'aux formes extérieures, et n'atteint jamais la vérité. Ou pour le dire autrement, le portrait manque toujours son objet puisqu'il s'en tient à l'homme et non au chrétien. Il est même privé d'objet puisque le moi de l'homme, qui veut se faire admirer, n'est pas même quelque chose. Il est seulement un vide qu'aucune flatterie ne peut rendre véridique.

Evidemment à lire ce recueil, on n'évite pas quelques parallèles. Le plus flagrant concerne Blaise Pascal dont l'esprit traverse largement ces pages, même si on ne saurait confondre les deux moralistes. L'analyse de la position sociale des Grands tient beaucoup aux Trois Discours de Pascal, même si Nicole approfondit les éléments constitutifs de cette position en expliquant l'origine de l'admiration qu'on leur porte, sans pour autant atteindre jamais à la dialectique pascalienne. C'est toujours la concupiscence qui gouverne. L'homme apparaît d'autant plus enclin à l'admiration que la concupiscence est profondément inscrite dans sa « seconde nature », celle qui est la sienne depuis la Chute. Et le commentateur de préciser : admirer la grandeur ne consiste pas seulement à prendre plaisir à la considération d'une qualité jugée supérieure chez autrui. Il s'agit toujours de désirer être admiré soi-même de la sorte. Autrement dit, à force d'être admiré et d'en recevoir les signes, les Grands finissent par se convaincre des qualités pour lesquelles ils sont honorés.

Justement, Thibault Barrier, qui introduit et commente ce choix d'écrits, propose en avant de la lecture des extraits sélectionnés une étude fort éclairante des thématiques retenues et de la métaphysique du visible qu'ils présupposent. Et ceci sous le brillant titre : Les travers de l'éclat. Il suit moins une logique biblique (celle de l'aveuglement), qu'il ne relie l'aveuglement terrestre du croyant à une certaine manière de poser le problème de la lumière et du visible. Certes, il souligne que les Essais de morale traquent les inévitables troubles de la vie humaine et cherchent à y introduire de l'ordre. Ces Essais construisent ainsi une morale qui consiste moins en une exposition dogmatique de commandements spirituels qu'en une analyse concrète des dangers auxquels expose la fréquentation du monde ainsi que des moyens à mettre en oeuvre pour s'en prémunir. Mais, après avoir situé brièvement la carrière de Nicole, son engagement à Port-Royal, il considère de près l'anthropologie de la concupiscence que supposent les textes donnés à lire. Il insiste sur les éléments qui confortent le choix du titre de son intervention : l'analyse de la dimension à la fois fascinante et trompeuse du visible. Il souligne l'opposition structurante de la clarté (la force de l'idée vraie) et de l'éclat (excès d'intensité). L'éclat est le signe le plus manifeste du faux. Que l'on considère le langage (notamment la rhétorique de la grandeur) ou l'art dramatique (et romanesque d'ailleurs, voir ci-dessus), les peintures, mais aussi, puisque nous n'en avons pas parlé, la physique cartésienne, tous renvoient aux travers de l'éclat. « Travers » il y a, puisque l'éclat ne donne à voir que le superficiel. L'éclat rive le regard sur les apparences. Mais ce qui est plus réfléchi encore chez Nicole, c'est justement que l'éclat est opaque, il barre la route à la vérité, littéralement, il aveugle. Et surtout, il aveugle la créature, cet être imparfait dont la condition est brisée, éclatée même ajoute Barrier. La question inverse de celle-ci étant de savoir comment redresser le regard pour qu'il abandonne le lustre trompeur du monde visible au profit de la lumière cachée de la vérité ? Ce commentaire détaille parfaitement les enjeux conçus par Nicole autour de la visibilité. Et l'auteur de ce texte de prolonger encore l'analyse en prenant pour point d'appui la notion d'admiration, cette tension que Nicole juge excessive du regard. L'admiration, montre-t-il, est envisagée par Nicole comme l'affect paradigmatique de la concupiscence du regard de l'homme déchu. L'admiration est d'ailleurs prise entre une forme de plaisir du voir, un certain désir de se laisser emporter par la fausse plénitude du monde, et le regret de l'exclusion du réel. Barrier en déduit que se forme ainsi une libido spectandi qui gouverne non seulement les Essais de Nicole mais encore l'ontologie du visible qui les fonde. Le visible est toujours trop visible, de ce fait on ne voit rien de vrai, tandis que le vrai, qui est visible, ne peut plus l'être parce que le regard se fait prendre au piège de l'admiration.

Ainsi cet ouvrage nous montre comment se met en scène et en avant tout un vocabulaire dont nous héritons et dont il conviendrait de rendre compte pour nous-mêmes : le vocabulaire du vif et de l'animé, de l'éclat et de la lumière, de la couleur et du débordement, etc. C'est par là, montre Nicole, que les dispositions vicieuses entrent dans le spectateur et s'impriment en son esprit. Mais c'est sans doute par là aussi, en dehors des options religieuses, que les querelles autour de l'éclat de nos jours rebondissent.

20150204

Editorial

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The voice of culture

Europe is a beautiful mosaic of cultures. One of the primary conditions for a better co-operation and an intense cultural exchange is a better knowledge of each other and of the way we operate. Not only national cultural institutes have a mission to fulfil in Europe's future. Also local actors in the cultural field do need a platform where they can meet, talk about their experiences, dream about projects in co-operation with partners all over Europe. The commission has published an agenda with three objectives :

●The promotion of cultural diversity and intercultural dialogue in Europe

●The promotion of the culture as a driver of innovation and creative endeavour, bearing in mind the Lisbon Strategy for jobs and growth

●The placing of culture as a main element of the EU’s external relations, in order to foster understanding with other parts of the world.
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Rassismus und die Ethnisierung sozialer Konflikte bleiben auch in Europa eine stete Gefahr, besonders in Zeiten hoher, bis in dire Mittelschichten hineinreichender okonomischer und kultureller Verunsicherung. Mit der grundrechtlichen Garantie der Menschenrechte, der gerechten Beteiligung aller am gesellschaftlichen Leben und der solidarischen Absicherung vor den Risiken zunehmender Weltmarktintergration besitzen die Lander Europas die entscheidenden Mittel, um den Gefahren des Rassismus auch in Krisenzeiten begegnen zu konnen.

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Culture européenne
: Cette expression prend un sens différent dans les deux questions suivantes : - existe-t-il une culture spécifique à l’espace géographique européen (de la même manière que l’on parle de « culture occidentale ») ? ; - existe-t-il une doctrine des institutions européennes (UE) portant sur la construction d’une culture européenne (officielle) ?

Définir précisément l’esprit d'une culture européenne reste une gageure. Regardant vers le passé, chaque nation évoque les références qui lui plaisent, le plus souvent par ethnocentrisme. Ouvrant sur l’avenir, nul ne peut préciser ce qui adviendra en dehors de quelques souhaits. Bref, tant qu’on confond « culture » et « identité », on ne peut tomber que dans des impasses. Car, l’Europe culturelle est d’abord multiple et ouverte. Certes, si l’Europe intellectuelle s’est, il est vrai, longtemps baignée dans le monolinguisme (le latin du Moyen Âge), mais aussi dans l’ignorance d’être soi-même une culture parmi d’autres (préjugé eurocentrique), elle a aussi participé à la promotion d'échanges intellectuels par traduction et de valeurs universelles (les Droits de l’humain). Le travail de générations d’anthropologues et le décentrement historique qui a infligé une blessure narcissique majeure à l’Occident, ont, de surcroît, ouvert, de nos jours, l’esprit européen à sa propre diversité.

L’écrivain George Steiner (1929-2012), par exemple, parle de la culture européenne en termes de « double héritage d’Athènes et de Jérusalem », de l’entrelacement « des doctrines et de l’histoire du christianisme occidental ». Mais à y regarder de près, ce soi-disant héritage – la Grèce, berceau de notre civilisation, le monothéisme fondateur,… - est plus trouble qu’il ne le croit puisque, pour ce qui relève de l’esprit grec, sa transmission passe par le monde arabe et un monde musulman se réclamant aussi d’Abraham. Ce qui, à tout le moins, élargit déjà les références envisageables. Et, n’en déplaise à certains, les grandes références de la culture européenne puisent aussi aux sources des empires Ottoman et Byzantin, comme elles intègrent les athéismes, les philosophies des Lumières répandues en Europe au XVIIIe siècle, et les manières européennes de se rapporter aux autres cultures (exclusion, colonisation, muséification, rencontres,...).

De toute manière, si la culture doit apparaître comme un ciment possible d’un projet civilisationnel ouvert et accueillant, alors elle doit moins être définie par un passé que chacun réclame identitaire et monolingue que par un futur à construire. Il n’est donc pas de modèle possible et déposé de « culture européenne ». Tout au plus un cheminement fragile et incertain, l’expression d’une critique constante de soi et de la recherche d’alternatives nombreuses, l’idéal d’une Europe plurielle et ouverte sur le monde au-delà de ses frontières.

En ce qui regarde le second sens - institutionnel - l’idée d’une « culture européenne » est encore jeune. Elle n’existe que depuis 1992 – le Traité de Maastricht – qui pose les bases légales de la mise en place de programmes culturels européens. Mais, d’une part, l’Union ne peut intervenir dans ce domaine que par défaut du principe de subsidiarité (réservant à chaque nation constituante le soin de légiférer sur ce point) ; ne peut être accompli à l’échelle de l’Europe que ce qui ne peut se réaliser à l’échelle nationale, l’Union dépensant seulement 34 millions d’euros (2013) par an pour son programme culturel, soit à peine 0,03 % de son budget total, ou sept centimes par citoyen ! D’autre part, il serait nécessaire de définir ce qu’on cherche par là : une seule culture homogène malgré les différences ? L’instauration (la facilitation) d’interactions préservant la diversité et l'échange ?

Cf. Jacques Derrida, L'autre cap, Paris, Minuit, 1991 ; Etienne Balibar, Europe, Constitution, Frontière, Paris, Éditions du Passant, 2013.