20100408

Editorial

            In Deutschland, jeder dritte deutsch-türkische Student, so eine Erhebung, plane seine Karriere mittlerweile in der Türkei, und nicht in Deutschland. Die meisten Heimkehrer gehen nach Istanbul, wo der Arbeitsmarkt am vielsprechendsten und der Kulturschock am erträglichsten ist. Doch alle haben nicht bregriffen welches Potential von den gut ausgebildeten Deutsch-türken ausgeht. Wer zwischen zwei Welten wandert, kommt besser mit der Globalisierung zurecht.

Poul Nyrup Rasmussen write 10 theses on the Future of Social Democraty in Europe. We have taken some words : http://library.fes.de/pdf-files/ipg/ipg-2010-4/rasmussen.pdf It will also be crucial to reinvigorate our cooperation with stake-holders, such as our partners in the trade union movement and all spheres of civil society on a regular and coordinated basis. One of the most shocking aspects of the current crisis is how quickly blame for the financial crisis was transferred from the reality of bad banks and investment houses, to the myth of public sector overspends. The simple fact is that without public sector bail-outs the situation would have been immeasurably worse. How quickly those »market-first« advocates, who are now clamoring for drastic cuts in public spending, seem to have forgotten this. Instead, the public purse has been left holding not just the bill, but also the blame. The pressures now being brought to bear on public budgets and, by extension, on the European Social Model, are unprecedented. Unfortunately, those who have most to lose from these cuts are those whose voices are weakest. The disadvantaged and the socially excluded are left counting the cost of being unwilling creditors for the so-called titans of finance. This situation is unacceptable.


            Il n’y a pas seulement la soi-disant question des Roms, qui bien évidemment mérite d’être entièrement reformulée, et qui, en attendant qu’elle le soit, doit attirer de nombreuses protestations, à l’encontre de la France sans doute, mais aussi contre des institutions européennes codifiées qui ne savent pas bien à quel titre et sur quoi prendre parti à ce propos. Il y a aussi, en marge du problème des droits (au déplacement, à la migration, à l’intégration, à la non-intégration, à la pluri-culturalité) et des plaintes légitimes (en racisme, rejet, xénophobie, exclusion) contre les actions et projets d’exclusion, une autre question qui se profile : celle des migrants que l’on contraint à « rentrer chez eux » ( !) et celle de ceux qui veulent rentrer chez eux après un « séjour » chez les « autres » (des immigrés de Turquie en Allemagne, par exemple) ; celle de la « double peine » infligée par les pays de réception et par les pays de « départ » ; celle de la haine des mouvements de population alors même que tant de commentateurs célèbrent les mobilités postmodernes ou les échanges dus à la mondialisation.
Il y aurait donc les « bons » migrants et les « mauvais » migrants ! Tel est finalement la teneur du propos officiel. Telles sont les formulations de la sigmatisation et de l’assignation à résidence identitaire perpétuelle qu’elles ne cessent de nous reconduire aux ornières de l’identité identique et des politiques « d’ethnicisation » qui les accompagnent par désignations, fichiers, listings et typologies contestables interposés !  
            Il faut donc surtout parler de ces pratiques des césures, de ces diffractions, de ces exclusions (par « origines géographiques », « races », « ethnies », « religions », ...) qui fondent de nombreux discours et les renvoyer à leurs contradictions. Elles n’ont guère de rapport avec la défense ou la préservation des rapports d’altérité, avec l’idée de confrontation des cultures, avec le parti pris de l’interférence qui sont les nôtres. Il n’est pas et ne doit pas exister de culture européenne une, unique et fermée sur elle-même.
            D’autant que, politiquement, de ceux qui sont contraints de rentrer, des raisons de cette contrainte et des doubles effets produits, on parle peu. Or, du point de vue que nous occupons, il convient justement de s’y arrêter. Qui rentre « chez lui » en venant d’ailleurs, paradoxalement :
-          ne se trouve pas plus à l’aise « chez lui » que dans le pays de destination migratoire, ayant été considéré comme immigré dans un cas, relégué socialement et culturellement, et comme revenant immigré dans l’autre ;
-          ne revient pas vraiment « chez soi », puisque ces personnes arrivent pour la première fois dans « leur » pays réputé « d’origine ».
-          et pourtant elles bénéficient des avantages attachés à des formations bi-culturelles et bi-lingues dès lors qu’elles ont été accomplies (« je me voyage » dans la culture européenne – comme le dit l’héroïne du dernier roman de Julia Kristeva (Meurtre à Byzance).
D’une manière ou d’une autre, pour ne nous arrêter qu’à ce dernier point, on néglige beaucoup trop le potentiel qui peut émaner de cette double formation culturelle. Celui qui évolue entre deux univers, s’en sort finalement mieux que d’autres devant la mondialisation et dans les situations qui lui sont proposées. C’est même une « richesse » de pouvoir se promouvoir dans deux cultures différentes. Et de pouvoir décider où l’on veut se fixer. Voire ne pas se fixer du tout.
            Le choc des cultures ne s’opère pas comme on l’a dit ou comme on a cru pouvoir l’énoncer sans pertinence conceptuelle, en termes de choc des identités. Le choc des cultures est interne à chaque culture et s’amplifie dès lors que nul n’accepte les interférences. Ainsi que le fait remarquer Marcel Detienne : « Le Français, c’est une fiction. Cela s’invente, cela se fabrique sur une longue période » (Cahier spécial, décembre 2009, Mediapart, p. 09). Ce qui vaut pour chaque culture, chaque découpe historique de territoire.
En revanche, pour une culture européenne à dessiner sans l’enfermer dans l’uniforme ou l’homogène, il y a là des ressources de réflexion. Il pourrait être central de considérer cela. Il ne serait plus exagéré d’affirmer que des messages de solidarité à l’égard de la migration pourraient nous rappeler aussi que l’Europe n’a jamais été figée, et que les peuples européens ne sont pas taillés dans des rocs d’identités brutes, mais composés et toujours recomposés.
Principe d’accueil, de générosité et d’égalité, politique du va-et-vient social et culturel, que Poul Nyrup Rasmussen, ancien premier ministre du Danemark, affirme autrement : In its most positive moments, Social Democracy has not only set the agenda, but also redefined public norms – public healthcare, state pensions, and reasonable working hours are just some examples. What start out as groundbreaking initiatives soon become accepted as the status quo. This is the result of political courage and the willingness to identify and define the standard. In recent years, however, there has been an over-preoccupation with the so-called »center ground.« Rather than positively define what is politically accepted, progressive parties have fallen prey to the temptation to second-guess what the mythical »floating or swing voters« want. Such reactive politics never ends well. It signals only that one lacks the courage of one’s convictions.

Ch. R.

20100407

L'Europe et l'Afrique


Christian Ruby
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Nulle Europe sans relation avec tous les autres pays et continents. Mais il faut d’abord que nous nous interrogions sur les images que nous avons accolées aux « autres ». Par exemple, le philosophe allemand Hegel, au début du XIX° siècle, a stigmatisé ce qu’il appelle le « vide culturel et spirituel » de l’Afrique et rejeté celle-ci hors de l’histoire du monde. En conséquence, Hegel, pour un Africain, « n’appartient point à la catégorie des auteurs dont les gloses et commentaires sont affaires de diplôme ou d’école. C’est un philosophe destin ».

            Lassen Sie uns aufhören von dem Afrika Geist zu reden, wenn wir haben einfach voreinander keinen Respekt. In den vergangenen Jahrzehnten sei Afrika eine Kolonie. Der Geist von Hegel schwebt über die Frage.

Colonial thinking regarding Africa did not wait for active colonialism to emerge.  At the beginning of the XIXth century, the philosopher GWF Hegel stigmatized what he called Africa’s “great cultural and spiritual void” and excluded it from global historical considerations.  As a consequence, Africans consider Hegel to be an author whose “commentaries and reflexions are outside of scholarly practice; he is a destiny-philosopher”.   Many today consider his theories as good predictions of what was to come.  Not only did they support, in the day, the very notion of African colonialism, they also still continue today to serve as rallying-language for some (some might immediately think of recent (French) presidential words that were legitimately echoed in the book Africa responds to Sarkozy: against the Dakar speech Makhily Gassama, Mamoussé Diagne, Dialo Diop, Koulsy Lamko – Paris, Philippe Rey Editeur, 2008), and require numerous exorcisms for others.

Afrika'yla ilgili kolonyalist düşüncelerin varlığı bu kıtanın sömürgeleşmesini beklemedi.  Öyle ki, kolonyalist düşünceler Afrika'nın sömürgeleşmsinden önce vardı. 19'uncu yuzyılın başlarında filozof GWF Hegel bu kıtada "kültürel ve spiritüel boşluktan" bahsederek bu kıtayı dünya tarihinin dışına iterek damgasını vurmuştu. Kısacası Afrika'da "kültürel ve spiritüel boşluk" sömürgeleşmenin kapısını açıyordu. Bu durumda bir Afrikalı için Hegel tartışılması gereken veya adında diploma yapılması gereken bir düşünür olarak görülemeyeceği kesin. Ancak Hegel'in tezlerini kullanların sayısı oldukça fazla. daha önce belirtiğimiz gibi, somürgeleşmenin açıklmasını kolonyalistler Hegel'in tezleri sayesinde yaptı. Ancak bugün bile, "bir takım" Fransız Cumhurbaşkanlarının  Afrika'ya yaptığı konuşmalarında bu tezler hissediliyor. L'Afrique répond à Sarkozy : contre le discours de Dakar (Makhily Gassama Mamoussé Diagne, Dialo Diop, Koulsy Lamko) adlı kitap bugün halen Fransız siyasetçilerin bu tezleri nasıl kullandığını inceleyen bir kitap.
 

            Parlons d’un ouvrage de Benoît Okolo Okonda, Hegel et l’Afrique, Thèses, critiques et dépassements, paru chez Le Cercle Herméneutique (Paris, 2010).
Si le cœur de cet ouvrage est consacré au philosophe GWF. Hegel, ce n’est pas pour rien. Cela pourrait relever de la nécessité de théoriser la question de la modernité, ou celle de l’oralité, puisque l’auteur – philosophe, professeur ordinaire à l’Université de Kinshasa, en République Démocratique du Congo - s’est aussi spécialisé dans ces objets. En vérité, il est un autre objet, infiniment plus prégnant et plus délicat à élaborer, mais aussi plus important politiquement concernant les relations Europe-Afrique.
Hegel a stigmatisé ce qu’il appelle le « vide culturel et spirituel » de l’Afrique et rejeté celle-ci hors de l’histoire du monde. En conséquence, Hegel, pour un Africain, « n’appartient point à la catégorie des auteurs dont les gloses et commentaires sont affaires de diplôme ou d’école. C’est un philosophe destin ». Ses thèses dont devenues des oracles pour beaucoup. Non seulement elles ont, pour leur part, servi de soutien à la colonisation de l’Afrique, mais encore, de nos jours, elles tiennent lieu pour les uns d’incantation – quand on ne pense pas immédiatement, devant ces énoncés, à des paroles présidentielles (françaises) récentes, qui ont légitimement trouvé réplique dans l’ouvrage L’Afrique répond à Sarkozy : contre le discours de Dakar (Makhily Gassama, Mamoussé Diagne, Dialo Diop, Koulsy Lamko) (Paris, Philippe Rey Editeur, 2008) - et requièrent pour les autres de nombreux exorcismes. En un mot, affirme l’auteur, « Hegel hante, comme un fantôme, le passé, le présente et l’avenir de l’Afrique ».
            Il faut donc s’expliquer avec Hegel, d’ailleurs des deux côtés de la Méditerranée, en Europe et en Afrique. Tel est donc cet ouvrage qu’il relève les nombreuses questions qui structurent nos rapports réciproques. En voici les principales :
-         Qu’a donc dit exactement Hegel au sujet de l’Afrique ?
-         Quelle fut la figure conférée au « sauvage », par lui ?
-         Comment pense-t-il la rencontre Europe-Afrique ?
-         Dans quelle mesure les Africains ont-ils raison de projeter Hegel aux sources de leur histoire contemporaine : esclavagisme, colonisation, impérialisme, … ?
-         Quelle est cette unité de l’Afrique dont parle chacun ?
-         Comment composer actuellement une philosophie africaine ?
On retiendra toutefois d’emblée que Hegel insiste sur le principe selon lequel « les Nègres et les Blancs ne sont pas des espèces différentes d’hommes », et que « l’infériorité » du Noir n’est pas due à sa nature ou à « sa race », mais aux conditions géographiques extérieures. Ce qui permet de porter l’accent sur des discussions plus subtiles et plus profondes, engageant de multiples dimensions.
            Ceci accepté, il n’empêche, la richesse culturelle et spirituelle de l’Afrique n’a pas été appréciée du tout par Hegel, il l’a mise hors de l’histoire du monde. Hegel, à cet égard, est évidemment entièrement tributaire de son temps. Mais il combine sa méconnaissance avec une conception de l’histoire du monde, unique, universelle, qui renforce ce rejet. Enfin, il adopte une perspective entièrement eurocentrique : la pleine signification de l’histoire, la rationalité complète et l’universalité atteignent leur point culminant en Europe occidentale.
            Il reste qu’à partir de là plusieurs pistes sont possibles pour un philosophe africain. Tenter d’échapper à Hegel, c’est-à-dire finalement tenter d’échapper à un ordre qui vous définit, c’est une première voie. Elle consisterait à mettre l’Afrique du côté des singularités qui s’excluent de toute référence de ce type. Au-delà de ce « meurtre du père », il est d’autres voies envisageables : Chercher à retrouver originairement, dans une Afrique authentique, en deçà de ce que Hegel et les explorateurs ont affirmé, une philosophie africaine première, une sorte d’illusion ethnologique de la substantialisation de la culture ; chercher à penser contre Hegel, en se présentant comme son autre, en se pensant de façon dialectique contre lui ; chercher à le dépasser… Autant de pistes que cet ouvrage explore en permettant simultanément, à ceux qui ne les connaissent pas, une rencontre avec nombre de philosophes africains contemporains.
            Dans un premier temps, l’auteur retrace le propos de Hegel selon lequel l’Afrique ne va pas au-delà de l’antichambre de l’histoire. Il n’oublie pas d’en souligner les étapes de formation, il examine les textes avec précision, et organise le relevé des propos. Ces propos sont donc connus : l’Afrique à proprement parler est sans histoire, sans volonté d’histoire. Les hommes y sont non civilisés, sauvages, sans culture. Le continent africain lui-même est pratiquement inhabitable. Les hommes y sont sans morale, ni religion. Les forces de la nature sont prises pour des divinités, et les Africains dépendent fortement de la nature, ils n’ont aucun sens du progrès. En un mot, le règne de l’Esprit y est pauvre.
            Ce développement est complété par Hegel, par la référence à l’enfance, pour parler de l’Afrique. On sait comment cette référence va servir durant tout le XIX° siècle le déploiement de la colonisation. L’Afrique hégélienne est à chercher dans l’entrecroisement entre l’idée du « nègre bon enfant » et du « nègre sauvage ». Elle est située entre la quête de l’exotisme européen et l’exploitation négrière.
            Dans un deuxième temps, l’auteur conduit une enquête sur les sources de Hegel, dont on sait qu’il n’a jamais voyagé en Afrique. Où Hegel est-il allé chercher son Afrique ? Ces sources semblent être nombreuses. Hegel multiplie les renvois aux récits des missionnaires, des voyageurs et des explorateurs (Hérodote, puis Cavazzi et surtout Karl Ritter). Au passage, cela signifie que l’objection selon laquelle l’Afrique est inconnue de l’Europe, et que le propos de Hegel est « imaginaire », tombe mal. Il faut plutôt en conclure que l’Afrique est toujours déjà interprétée par les voyageurs, mais aussi par ceux qui lisent leurs textes. Ce qui autorise des conclusions plus intéressantes. Car Hegel ne retient pas d’Hérodote l’Afrique brillante, une et riche qu’il raconte. Autrement dit, ce n’est pas tant la valeur de vérité des sources qui est primordiale que la critique de ces sources.
Ainsi en va-t-il par exemple de toute la discussion portant sur l’esclavage et l’Afrique. Même si Hegel est très éloigné du naturalisme et du racisme de ses contemporaines, il prétend que l’Africain est esclave de sang et de naissance. Il soutient ce propos d’une référence aux récits du missionnaire Cavazzi. Mais l’examen précis et rigoureux des textes de ce dernier n’oblige pas à tirer les mêmes conclusions que celles de Hegel. Plus précisément encore, il est aisé de montrer que certaines causes de mise en esclavage intra-africaines tiennent à la famine et à des épidémies de peste. L’auteur insiste aussi sur des textes émanant des rois du Congo, montrant aisément que ces rois ne sont pas prêts à justifier quelque esclavage que ce soit. En un mot, l’esclavage n’a rien de naturel en Afrique. Il n’est pas une nécessité pour le développement du Noir. Il est lié à des contingences intra-africaines, amplifiées et détournées ensuite par les colonisateurs.
            Dans un troisième temps, l’auteur s’intéresse à la réception africaine de Hegel. Ce regard africain sur Hegel est tout à fait essentiel à détailler. Certes, les penseurs africains se répartissent en « pour » et « contre » Hegel, mais cela ne suffit pas. Il importe aussi d’analyser ce pourquoi s’exerce ce jugement et ce sur quoi il porte. Autrement dit, s’attaquer à Hegel, cela peut signifier prendre à parti sa notion de « moteur de l’histoire », mais aussi celle de continuité de l’histoire ou d’histoire unique. Mais plus subtilement, il faut mettre aussi en perspective l’axe à partir duquel le propos est tenu : une culture africaine authentique pré-hégélienne ? Une culture africaine qui ne serait jamais rentrée dans le royaume hégélien ? Ou une culture africaine qui passerait au-delà de Hegel ?
            Cette dernière version correspond d’ailleurs à la thèse de l’auteur. Il préconise un chemin d’assomption et de dépassement selon lequel : « nous ne pouvons pas nous libérer de Hegel ou de l’Occident sans nous remettre nous-mêmes en question ». La volonté de l’auteur est de « démystifier le symbole même de l’Occident en la personne de Hegel », puisque « l’illusion africaine surgit sur fond d’une autre illusion, européenne celle-là ».
            « Le destin de l’Afrique, dans ce cas, est l’aventure improbable de l’Afrique, lieu de lutte et de ressaisie toujours ouvert », ajoute-t-il, en orientant ce destin vers « un espace de responsabilité pour un avenir dont l’issue est incertaine ».
            Ce qui ne va pas sans une réflexion approfondie par laquelle Hegel serait alors retourné non seulement dans son propos sur l’Afrique, mais encore dans son propos général. Pour poser l’Africain faut-il simplement retourner le rôle de la pensée et de l’histoire hégéliennes ? Il ne semble pas, précise l’auteur. « Le complexe de supériorité n’en efface pas un autre puisqu’ils se bâtissent sur les mêmes illusions, fantasmes et désirs. Pour dépasser Hegel tout en l’assumant, à la place d’une négritude ethno-raciste, substantialiste, il faudrait probablement une négritude historique, proposée entre autres par Aimé Césaire chez qui la conscience du Noir se forge à travers les figures historiques comme Toussaint Louverture, Lumumba, mais aussi par des calamités comme l’esclavagisme et la colonisation ».
            Une conclusion s’ensuit. L’accent doit désormais être porté sur la réaffirmation et la revendication pour l’Africain de l’initiative de pensée et d’histoire, interrompue par l’esclavagisme et la colonisation. « Peut-on nier toute volonté d’histoire à ceux qui ont créé des royaumes, des chefferies, à ceux qui ont continuellement migré pour des meilleures conditions de vie, à ceux qui ont fait surgir des cultures et des civilisations, qui ont produit des arts, religions, littératures ? ».


20100406

ESTHER SHALEV-GERZ : Ton image me regarde!?


Josette Delluc
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            L’artiste Esther Shalev-Gerz est bien connue dans l’Union européenne pour des expositions qui sont passées de villes en villes. Elle a déposé des oeuvres dans des lieux célèbres. Regardons sa dernière exposition, à Paris.

Esther Shalev-Gerz affirms her enthusiasm toward otherness and her interest in multiplicity, as announced through the title of her exhibit “Your image is watching me!?”.  In Echoes in Memory, photographs created from 3D virtual sculptures representing the dozen female writers and artists that influenced her can be considered as her doubles. Thus, Esther Shalev-Gerz chooses Claude Cahun.

Paris'teki bir sergiyle ilgili Esther Shalev-Gerz çeşitliliğe ve farklılığa olan heycanını vurguluyor. Serginin başlığı " İmajın bana bakıyor !? ". Öte yandan, Echoes in Memory'de Shalev onu etkileyen isimlerden (sanatçı ve ressam ağırlıklı) de bahsediyor. Esther Shalev-Gerz'in bahsettiği isimler arasında Claude Cahun, Louise Bourgeois veya Susan Sontag ve Rose Selavy veya Artemise Gentileschi ( Greenwich Müzesinde yer alan bir ressam )


Marta Gili, directrice du Jeu de Paume, a consacré son musée à 3 artistes femmes, chacune représente une génération. La célèbre Lisette Model dont l'œuvre s'est achevée avec sa mort en 1983, la jeune Mathilde Rosier et, Esther Shalev-Gerz qui née à Vilnius est revenue en Europe après une adolescence israélienne, elle expose un travail issu d'une réflexion menée depuis une trentaine d'années.
En franchissant le seuil du bâtiment de La Concorde, déjà nous nous interrogeons : quel est ce bruit ? Puis, l'ensemble de l'exposition repose sur le questionnement de la créatrice. Il porte sur le double problème de la transmission, et de la préservation de la mémoire.
L'artiste traite de la transmission et, à sa manière, de la question sociale dans Sound Machine, elle cherche à repérer et qualifier le trouble causé par l'infernal cliquetis des machines dans le souvenir des ouvrières du textile et celui de leurs filles qui subirent dans leur vie fœtale un vacarme identique à la sonorisation qui nous alertait à l'entrée du musée. Question sociale aussi posée par Jacques Rancière, lisant un extrait de son livre « Spectateur émancipé » il rappelle que jeune intellectuel il allait dans les usines à la rencontre des ouvriers, sans doute à la fin des années 1960, lorsque militant pour une université populaire il enseignait au Centre Universitaire de Vincennes. Esther Shavez-Gerz qui utilise différentes techniques, choisit le vidéogramme pour exprimer le thème de l'échange : Jacques Rancière défend la posture du « spectateur-acteur » il est associé sur l'écran à la traductrice Rola Younes qui explique souffrir de l'absence mémorielle d'un Liban divisé et apprendre la langue des minorité pour aller à la rencontre de l'Autre ; ses choix sont remarquables puisqu'en priorité elle nomme l'hébreu et le yiddish. L'installation, créée pour cette exposition, est intitulée: D'eux, ce jeu de mot traduit la réunion du philosophe et de la traductrice et aussi la générosité de leur engagement intellectuel.
Esther Shalev-Gerz affirme son élan vers l'altérité et son intérêt pour le double, elle l'annonce dans le titre de l'exposition « ton image me regarde !? ». Dans Echoes in Memory une dizaine de figures féminines représente les écrivaines ou plasticiennes qui ont influencé la créatrice, ces images photographiques créées à partir de sculptures virtuelles en 3D peuvent être considérées comme ses doubles. Ainsi Esther Shalev-Gerz choisit-elle Claude Cahun, Louise Bourgeois ou Susan Sontag et avec humour Rose Sélavy ou Artémise Gentileschi (peintre qui serait intervenue bien avant elle dans ce même hall du National Maritime Museum de Greenwich). Poursuivant, l'artiste rend hommage à la littérature anglaise et à ses inspiratrices en incluant à sa galerie de femmes Alice Liddell ! Gaité et légèreté caractérisent cette œuvre qui fait référence aux Surréalistes: Marcel Duchamps, Meret Oppenheim, pourtant les propositions de l'artiste traduisent aussi des réflexions profondes et graves principalement lorsqu'elle s'attache au travail sur la mémoire. C'est alors un cadrage très serré qui est adopté pour réaliser des portraits et s'intéresser seulement à l'homme. Dans la continuité d'Ingmar Bergman, l'image souvent frontale nie le décor au profit du visage. Des gros plans sur un détail, l'œil ou la bouche accompagnent les paroles des immigrés de First Generation, qui dressent le bilan de leur déplacement, entre acculturation, déracinement et intégration. Dans Menschen Dinge, le parti pris du cadrage serré est appliqué aux entretiens avec le directeur du musée des objets trouvés de Buchenwald, l'archéologue, l'historien, la restauratrice, tous cherchent à approcher au plus près ceux qui tentaient de préserver leur nature humaine dans l'univers concentrationnaire. Ce procédé du portrait cinématographique est parfaitement bien maîtrisé et particulièrement efficace lorsque Esther Shalev-Gerz écoute les rescapés d'Auschwitz : Entre l'écoute et la parole : derniers témoins, Auschwitz 1945-2005. L'artiste a choisi de filmer ces femmes et ces hommes au moment où ils ne parlent pas. Elle enregistre leur témoignage et décide paradoxalement de ne pas diffuser les paroles. Ce mode de représentation conduit à la vérité. L'image seule, traduit la profondeur de la douleur, et, les regards fixes, les crispations des visages et des mains, la respiration oppressée expriment l'indicible.
Enfin l'intervention directe devant une caméra d'Esther Shalev-Gerz lui permet de communiquer sa réflexion. Ainsi sommes-nous initiés à la démarche de celle qui questionne et refuse les certitudes, comme l'indique la double ponctuation finale de l'intitulé de son exposition (!?),
            L'étrange horloge à double cadran, appelée Les Inséparables, renvoie à Walter Benjamin mais sans doute aussi au Surréalisme. Cet objet, qui a été fabriqué pour l'exposition, synthétise le penchant de l'auteur pour la gémellité et résume son effort obsessionnel pour comprendre et exprimer le passé, connaître l'histoire pour mieux comprendre l'avenir. En fait Esther Shalev-Gerz se livre totalement dans son œuvre et nous accueille dans sa propre histoire, ses lieux, les fondements de son initiation, ses différentes attaches culturelles. Nous pénétrons dans son univers fait de confrontations, d'échanges et de dons auxquels nous sommes intégrés et même assimilés si nous le souhaitons.



20100405

Deux faces pour une même pièce ? (I)


Cem Uster
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Cem Uster


À travers son expérience personnelle, l’auteur évoque les problèmes issus de la variété culturelle. Son dualisme Franco-turc donne lieu à un développement fondé sur la nécessité d’un pluralisme culturel afin d’élargir la plate-forme d’interaction, et tendre vers un monde cosmopolite de la traduction. L’article se divise en trois volets qui seront publiés successivement. Le prénom de l’auteur, Alex-Cem est l’objet lui permettant de s’ouvrir sur le sujet du biculturel qu’il soutient comme étant un fait, mais surtout une attitude…

Through his personal experience, the author enters a global issue which concerns cultural varieties. Within his French-Turkish duality, he explores the necessity of cultural pluralism in order to create a wider platform of interaction. His article is divided in three parts. The actual piece in an introduction and emphasizes the questioning rather than the development. The author’s first name: Alex-Cem is a catalyst for him to understand and analyze the connection that can be done between to two opposite cultures. He expresses his faith in bicultural as a fact but especially as an attitude.

            Der Vorname als Schiksal ? Es ist keine Einselfal. Ein Kind quält sich mit der Frage warum seine Mutter einen solchen Vorname gegeben hat.

Kisisel tecrubelerine dayanarak yazar kulturel farklılıkların üstünde duruyor.İki kisilikligi, Fransız Tuk kimligitercumelerde  kı cozu arayıs platforformların ve kosmopolit dusuncenin de dikkate alınması gerektigini vurguluyor.Yazı 3 bolumde toplanıyor ve giristeki sorular acıklamaları etkiliyor.Yazarın ismi Alex-cem konunun cift kulturlulugun yanında daha ziyade bir davranıs sekli oldugunu ifade ediyor...


            Alexandre-Cem. Plusieurs remarques peuvent être faites à propos de ce prénom qui aurait dû, en principe, être le mien. En réalité, mon vrai prénom n’est autre qu’« Alex-Cem », « Alex » ne correspondant pas, conformément aux traditions, au diminutif d’Alexandre. En effet, il s’agit là d'une création de mes parents qui sans doute avaient oublié que ce prénom demeure en principe un simple diminutif. De surcroît, les deux prénoms « Alex » et « Cem » ne sont pas, comme on peut l’imaginer, distincts dans la mesure où ils sont reliés par un tiret.
            Bien que cela soit anecdotique, ce prénom est en fait le fruit d'une erreur grammaticale commise par ma mère, il y a 16 ans, lors de mon inscription à l'école maternelle. En effet, mes parents, d'origine turque, ayant émigrés en France dans les années 1980, souhaitaient me familiariser avec les deux milieux culturels et linguistiques, français et turcs. Pour cela, ils avaient décidé de me donner deux prénoms, permettant une flexibilité et un potentiel d’adaptation en fonction des circonstances. Ainsi, cela me donnait la possibilité de changer de « T-shirt » en fonction du pays dans lequel j’allais me rendre. Mais un simple tiret a mis fin à toutes ces belles intentions. Ma mère, au lieu de séparer les deux prénoms par une virgule, a introduit un trait d'union, donnant naissance à un nom composé, sans doute unique dans le monde : Alex-Cem. 
            Toutes ces discussions autour de mon prénom n'ont pas pour objet de flatter un ego quelconque. L'intérêt est d'utiliser ce prénom comme instrument pour poser un problème majeur : le biculturel.
            Ce prénom composé met l’accent sur une incohérence dans ses deux extrémités et pose un problème d’une dimension plus ample qui est celui du trait d'union. Alex et Cem sont-ils par nature incompatibles ou, au contraire, engagent-ils la possibilité de penser l'unité à travers l'hétérogénéité ?
Symboliquement, ce prénom accentue l'accord ou la division même de mes deux sources culturelles. Dans le cadre de ce dualisme, le « Alexandre » qui puise ses racines en Grèce, peut-il s'associer avec le « Cem » turc ou bien s’agit-il de deux blocs de valeurs bien distinctes ?
            Durant toute ma scolarité, j'ai eu droit à l'appellation « Alexandre-Sém », que je devais rectifier tout en me justifiant : « Madame/Monsieur, le Cem ne se prononce pas Sém mais Djém », dans l’alphabet turc, le C se lit « Djé ». Étonnés les professeurs répétaient systématiquement « Alexandre-... Djém » en butant sur la seconde partie de mon prénom. Je souriais toujours car, à ce même moment, mon esprit repartait en Turquie, ou justement mes amis m'appellent « Alekksssandrr-Cem ! » (et où le Aleksandr, prénom à consonance étrangère, était prononcé avec un accent similaire au russe) ou simplement Cem car les noms composés ne sont pas fréquents en Turquie. A chaque erreur, je prenais conscience du « produit » que j’étais ; « un deux-en-un », le tout étant d’éviter d'être un « entre-deux ». Certes, Cem sonne turc en Turquie, Alex est un prénom habituel en France, mais Alex-Cem est un prénom étranger aux Turcs et aux Français... peut-on unir les deux ?
            Si mon prénom devait faire l'objet d’une recherche, l'étonnement en serait la conclusion. De l'étymologie à l'orthographe, et de cette dernière à l'histoire, mon prénom accumule les contradictions.
            « Alex » ou « Alexandre », auquel nous avons tendance à associer historiquement les succès d'Alexandre Le Grand, s'oppose au Sultan « Djem » qui, lui, a conduit l'empire Ottoman dans un conflit interne, dérisoire. M’inspirant de l’intitulé du livre de Samuel Huntington, je me dois, alors, de me donner le titre de : « clash des prénoms ».
Bien que leurs ambitions se soient traduites de manières différentes, ces deux personnalités historiques avaient une et même intention : créer une unité politique entre l’Occident et l’Orient. Refuser l’idée du « pont » qui suppose une division pour donner lieu à une et seule entité culturelle.
            Il s’agit là d’une intention qui remet au centre le débat du biculturel, et qui évacue tout paradoxe dans mon prénom. La transition culturelle qui me permet ce « changement de T-shirt » n'avait de sens pour ces personnalités historiques qu'en termes de territoire. C'est-à-dire que leur projet d’unité culturelle se résumait à une expansion visible sur une carte. Alexandre le Grand ou Sultan Djem ont donc eu une conception statique de la mobilité culturelle et du rapport entre cultures. La conquête ne peut pas établir un rapport bilatéralement culturel.
Il était donc nécessaire de créer un pont, qui se traduit dans mon prénom par un simple tiret.  
D'où l’enjeu du biculturel.


20100404

Shanghai miroir de l'Europe.

Josette Delluc
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La présence de 44 pays européens venus séparément édifier un pavillon, le plus remarquable possible pour l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai, invite à rappeler les liens entretenus dans le passé avec la Chine et plus précisément avec son port principal. L'histoire entre Shanghai et l'Europe se déroule en plusieurs temps.

44 Avrupa ülkesinin 2010 Evrensel Şangai sergisi için inşa ettiği köşk, Çin'in tarihinde en büyük limanı olan Şangai limanı nın aktivileri ve çeşitli iilşkilerini hatırlatmakta. Şangai ve Avrupa'nın tarihetki ilişkileri etap etap kuruldu. 
 
The presence of 44 European countries, each erecting the most impressive pavilion as possible for the Universal Exposition of 2010 in Shanghai, is a strong reminder of the historical ties that link China to Europe, specifically Shanghai’s sea-port.  The history between Shanghai and Europe unfolds in multiple stages.

Die Chinesen haben bei der Weltausstellung in Shanghai alle Rekorde gebrochen. 70 Millionen Besucher war die Zielvorgabe bei der Eröffnung im Mai. Jetzt kurz vor Schluss ist klar, dass sie dieses Ziel sogar noch übertroffen haben. War die Expo also in jeder Hinsicht ein voller Erfolg?

La présence de 44 pays européens venus séparément édifier un pavillon, le plus remarquable possible pour l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai, invite à rappeler les liens entretenus dans le passé avec la Chine et plus précisément avec son port principal. L'histoire entre Shanghai et l'Europe se déroule en plusieurs temps.

Shanghai-Europe: un rapport Amour/Haine aux XIX et XXe siècles.

Ce fut le temps d'avant: une préhistoire. Le temps de l'empire romain au cours duquel le luxe européen adopte les richesses chinoises, la soie et les épices sont transportées à travers le continent. Puis la voie terrestre étant empêchée après 1453 ce sont les nouvelles techniques de navigation qui permettent aux bateaux de poursuivre les liaisons et de livrer de plus grandes quantités. A cette époque, Shanghai ne participe pas au commerce, c'est un village qui devient une place forte en 1554 pour se protéger des pirates japonais. Parallèlement, les liens entre Extrême Orient et Occident sont entretenus par diplomates et missionnaires. En 2010 en Europe, de nombreuses manifestations, dont un colloque de l'UNESCO à Paris, commémorent la personnalité de Matteo Ricci 1552-1610. Jésuite, il transmit à la Chine notre culture latine et nos connaissances en mathématique, il apprit le chinois pour pénétrer la brillante civilisation de ce pays. Ce type d'échange fut le sujet de l'exposition organisée par Le Louvre[1] : « Les batailles de l'empereur de Chine. Quand l'empereur Quianlong adressait ses commandes d'estampes à Louis XV ». Les gravures représentant les conquêtes en Asie centrale de 1755 à 1759 et illustrant les poèmes de l'empereur, avaient été réalisées en France d'après les dessins préparatoires exécutés en Chine par 4 missionnaires, elles furent ensuite envoyées à l'empereur accompagnées, selon sa demande, de leur plaque de cuivre. Le procédé de la taille douce a ainsi été donné à la Chine qui nous avait enseigné la gravure sur bois.
Au début du XIXe siècle la Chine était une puissance potentielle et une vraie partenaire, « forte de sa grande maîtrise technique et de ses systèmes de commercialisation complexes » [2] explique l'historien anglais Christopher. Alan Bayly. Il démontre que les produits de qualité : tissus, porcelaines, laques tellement appréciés des occidentaux favorisent une forte activité artistique et artisanale. Mais ajoute-t-il, la Chine ne peut mettre à profit l'accumulation de capitaux liés à ces exportations, elle est freinée par d'énormes charges : l'immensité de son territoire, sa surpopulation et elle doit faire face à des affrontements ethniques religieux et politiques. Au contraire, en Europe, la capacité d'investissement et le charbon plus facilement accessible donnent naissance à la Révolution industrielle. Puis, l'industrialisation rendant nécessaire la recherche de débouchés, l'abondante population chinoise devient vite un marché convoité. Pierre Renouvin, précurseur dans l'étude de l'histoire des relations internationales, entamait déjà son ouvrage « La Question d'Extrême Orient » [3] en précisant que le fait démographique était fondamental et déclencheur de la décision d'exercer un impérialisme économique en Chine. C'est en lançant « la guerre de l'opium », en 1841-1842, contre la Chine qui interdisait ce produit venu d’Inde et vendu par les colons britanniques, que la Grande-Bretagne obtient des avantages et élargit à l'Asie le champs des rivalités entre les pays européens. Concurrentes, la France et la Grande-Bretagne parviennent au milieu du XIXe siècle à combattre ensemble, dans un premier temps contre, puis en faveur, de l'État chinois, leur union leur permet de limiter les prétentions russes sur le littoral qui les intéresse. Les États-Unis ont aussi imposé leur présence pour participer à l'activité commerciale. 
Commence le temps du contrôle du commerce chinois par les Européens et celui de l'éclosion de Shanghai.
Vaincue en 1842 la Chine a signé le traité de Nankin qui, ouvre 5 ports aux étrangers, puis des concessions seront installées. C'est pour Shanghai petit port de pêche l'occasion de se métamorphoser en un grand centre industriel et financier. Il bénéficie d'un site favorable sur la rive gauche de la rivière Huangpu très large et profonde, la marée y est encore fortement ressentie. Sa situation dans le delta du Yangzi (Fleuve bleu) est encore plus remarquable, elle permet de pénétrer à 1700 kilomètres à l'intérieur de la Chine et offre un extraordinaire hinterland produisant thé et soie. Enfin Shanghai se situe au milieu de la façade maritime chinoise et peut assurer les flux aussi bien vers le nord que vers le sud du pays et de l'Asie. C'est ainsi qu'en 1937 il est devenu le huitième port mondial, l'industrie y est développée, les banques y sont nombreuses et il est un centre intellectuel de poids, fondé sur les universités et les maisons d'éditions, souvent étrangères. La population a augmenté et compte un million de personnes dès le début du XXe siècle, parmi lesquelles 7000 étrangers. La société elle même est modifiée puisqu'une nouvelle bourgeoisie chinoise participe à la modernisation et un prolétariat nombreux est généré par l'industrie. C'est ainsi que transformée par l'étranger et en particulier par l'Europe, la ville va contribuer à l'évolution politique du pays : en 1921 le Parti Communiste Chinois y est crée, et la force du mouvement ouvrier y donne lieu à une brutale répression par Tchang Kaï Chek en 1927. D'une manière générale et en se plaçant à l'échelle nationale, il est possible d'affirmer que la présence des occidentaux installés sur le littoral chinois, dont ils contrôlent le commerce prospère, nourrit les mécontentements face à la pauvreté et favorise par réaction la montée du nationalisme, ce qui participe à la victoire de Sun Yat Sen en 1911 puis celle du maoïsme en 1949.

Trente ans de séparation entre l'Europe et Shanghai.

L'occupation japonaise avait mis fin au système des concessions et en 1949 le nouveau régime bannit les firmes étrangères; le communisme veut sanctionner cette ville pour en effacer le passé capitaliste et le souvenir d'une population interlope incarnée par l'aventurière Shanghai Lily jouée par Marlène Dietrich [4]. Mais le port de Shanghai est indispensable au trafic intérieur et au devenir de la République Populaire de Chine. Son activité pendant la période maoïste ne croîtra pas mais ne sera pas réduite non plus. Simplement pour «assainir» cette plateforme commerciale, le secteur financier y est supprimé et l'industrie développée.
Rapidement vient le temps du retour de l'Europe.
            L'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978 et sa volonté de réforme ouvre une ère nouvelle pour la Chine et pour Shanghai. Pour permettre le développement économique celui-ci choisit l'ouverture au capitalisme étranger. Cette décision bénéficie d'un contexte favorable, elle est concomitante à la période d'accélération de la mondialisation. La position géographique de Shanghai, son histoire liée aux Occidentaux et la décision politique de renforcer l'activité au centre du littoral chinois pour contrebalancer la région de Canton dynamisée par la proximité de Hongkong, propulsent Shanghai au rang de capitale économique et pôle commercial et financier de taille mondiale. Cependant, l'aménagement des infrastructures avait pris du retard et le centre de Shanghai datait en grande partie du XIXe. En dehors des ruelles et venelles de la vieille ville, le plan a été structuré par les concessions étrangères le long d'axes Est-Ouest perpendiculaires au Bund en bordure du fleuve. Cet ensemble urbain constitue ce qui est appelé un «musée de toutes les architectures» avec une influence européenne dominante [5]. Certes des villes satellites avaient été construites à partir de 1959 pour répondre au problème de l'entassement, mais il s'agissait de réorganiser l'ensemble de l'espace urbanisé et d'améliorer les transports. Il fallait décongestionner le centre en aménageant des quartiers d'affaires et d'habitat près de l'aéroport, et de réhabiliter les vieux quartiers.
Le premier schéma directeur est adopté en 1986, il est conçu, ainsi que les suivants, avec la participation de conseillers européens parmi lesquels l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile de France. Et comme le consortium allemand formé par Thyssen, Krupp et Siemens réalise le train à grande vitesse qui conduit de l'aéroport au centre, nous notons que l'Europe est de retour à Shanghai pour contribuer à sa transformation. Même si en France on s'émeut de l'échec des projets d'architectes comme ceux de Paul Chemetov ou de Dominique Perrault, au profit de Japonais et Américains qui joignaient les investissements aux plans, du moins Jean Marie Charpentier a-t-il construit un centre d'exposition à Pudong et l'opéra dont le rideau de scène est conçu par Olivier Debré et Paul Andreu a participé aux travaux du nouvel aéroport puis réalisé l'Oriental Art Center dédié à la musique.

Voici le temps de l'inversion: l'Europe est conviée à l'apothéose de Shanghai.

 Shanghai, tête de pont, du dynamisme de la Chine membre de l'Organisation Mondiale du Commerce depuis 1995, ne ressemble plus à la ville des concessions et entrepôts qui étaient au service de la fortune étrangère, elle est dorénavant la vitrine de la puissance chinoise qui n'a cessé de croître. Shanghai capte un tiers des investissements directs reçus par la Chine, c'est le plus grand port du monde [6], une mégapole dont les deux parties : Puxi : la ville originelle et Pudong : le nouveau centre d'affaires sur la rive est du Pu, sont reliées par deux ponts géants et deux tunnels. De même que en 1851 la Grande Bretagne entrainait l'économie de l'Europe et Londres créait la première Exposition internationale, de même, aujourd'hui la croissance record chinoise permet à Shanghai d'accueillir l'Exposition universelle de 2010. La préparation de cet événement devait lui permettre de poursuivre les travaux d'aménagements urbains pour, en particulier, améliorer les transports. Il semble cependant qu'à cette occasion et contrairement à ce qui avait été prévu dans le premier schéma directeur, les quartiers anciens ont été mis à mal et les expulsions nombreuses, comme dans le vieux Paris sous les transformations de Haussmann.
C’est justement le thème de la ville et son environnement qui a été retenu pour l'Exposition[7], il concerne tous les pays et exprime un des grands problèmes de la Chine. C'est souvent par la coercition que l’État répond au phénomène récent de l'exode rural qui risque d'aggraver le déséquilibre spatial de la population, de plus, l'étalement urbain réduit l'espace arable déjà insuffisant. Chaque grande ville à l'image de Shanghai, est obligée de gérer la pression démographique. D'autre part, ne sont pas résolus les problèmes de pollution de l'air ou de l'eau, causés par les particules émises par les vieilles centrales au charbon et les déchets des usines rejetés dans les fleuves comme à Shanghai[8]. « Meilleure ville, meilleure vie », ainsi est formulée, positivement, la question de l'urbanisation. Sachant que la notion de ville est l'une des plus difficile à définir, 5 sous-thèmes traités dans des pavillons et au cours de spectacles ou forums doivent permettre d'expliciter le sujet : « Mélange de cultures dans la ville ». « Prospérité économique de la ville ». « Innovation scientifique et technologique dans la ville ». « Le remodelage des communautés dans la ville ». « L'interaction entre la ville et la campagne ». Pour préciser, les organisateurs formulent un certain nombre de questions. « Quel type de ville rend la vie meilleure ? » « Quel type de vie rend la ville meilleure ? » « Quel type de développement urbain rend notre planète meilleure ? » Soit un questionnement qui concerne plus de 50% de la population de la Terre.

Shanghai ou le temps du « copier-coller »

La fin du parcours de l'exposition du Centre Pompidou : « Dreamlands [9] » est intitulée : « Copier-Coller » pour nous alerter sur le fait qu'en Chine au cours des 30 années d'ouverture économique et de dynamisme urbain, la créativité des constructeurs et aménageurs laisse place, parfois, à une médiocre reproduction de l'architecture européenne la plus banale, modélisée et standardisée. Certes l'Europe avait souvent montré le mauvais exemple : ainsi la France à l'initiative du baron Alphonse Delort de Gléon « représentant de la nation française au Caire » a reconstitué à l'identique une « rue du Caire » [10] pour l'Exposition parisienne de 1889. Ici toutefois l'édification était éphémère et l'objectif d'ordre didactique, de plus le député étant collectionneur, des éléments authentiques et qui ont rejoint maintenant les collections du Louvre, y avaient été intégrés [11]. Inversement à Shanghai ce sont des cités satellites, c'est à dire des lieux résidentiels durables qui pastichent les villes européennes. Anting est une ville de style allemand, se référant à Weimar, érigée par le fils d'Albert Speer, nous dit-on, elle inclut une usine Wolkswagen et devrait abriter 30 000 personnes. Sonjiang imite l'Angleterre des Tudors avec cottages et labyrinthe. Pujiang devrait compter 100 000 habitants le long des canaux de type vénitien. De même sont déjà établies une cité espagnole, une suédoise, une néerlandais et aussi une ville canadienne. Un triste bilan semble-t-il car non seulement la pauvreté de la réalité architecturale est navrante, mais en plus, leur prix élevé rend ces habitations inaccessibles à la majorité de la population. Pour l'instant le résultat est sans doute loin des objectifs qui fixaient à 500 000 le nombre des personnes qui devaient s'installer dans ces nouveaux centres.

Quelle est la réalité du modèle européen face à Shanghai aujourd'hui?

Du moins l’Europe peut-elle être touchée du fait que son modèle urbain fascine toujours. Shanghai fidèle à son passé aspire au mode de vie européen, sans doute marque, pour elle, de bon goût, d'élégance et de confort. Cependant le rapport Shanghai-Europe a bien changé, l'Europe autrefois dominante est maintenant dépendante de la Chine, nouvelle locomotive du commerce mondial. La voici invitée à fêter la réussite du premier port du monde qui n'est ni en occident, ni sous son contrôle. Le renversement est saisissant, la fantastique réussite asiatique contraste avec la perte de l'hégémonie européenne. Alors, nous pouvons nous demander pourquoi l’Europe se présente-t-elle à Shanghai désunie ? N'apparaît-elle pas encore plus affaiblie? N'était-ce pas l'occasion d'afficher la réalité de notre association régionale ? Au contraire l'Union Européenne partage le pavillon belge, ce qui offre l'avantage pour Bruxelles de confirmer sa place de capitale européenne mais ne permet pas d'exposer la représentation de l'Europe en majesté. Inversement, nous remarquons que la Chine, État centralisateur, plus que réservé sur la pluralité et l'expression des minorités, accueille dans son pavillon, à côté de l'espace national, ses 31 provinces et régions qui y présentent leurs richesses et traditions. Pourquoi l'Europe ne pouvait-elle se produire ainsi, en un ensemble formé de la diversité des Vingt-sept. Un tel dispositif plus économique, aurait contribué à montrer les particularismes de nos institutions et de notre entité culturelle, et à défendre notre économie et nos valeurs politiques.
Pour mettre en scène notre participation à Shanghai nous sommes en droit de rêver non d'un « musée imaginaire » comme André Malraux, mais d'une « exposition imaginaire » dans un pavillon européen, unique, un véritable espace communautaire où auraient pu s'allier, la haute technologie et l'art pour une Europe participant collectivement à cette « Fête du progrès »qui est à la fois « Foire à la nouveauté » et « Salon des Beaux-Arts » [12].
Pour présenter l'urbanisme européen, en dehors des colonies romaines ou de l'influence de la Renaissance italienne, il aurait été intéressant de rappeler que, spontanément, les Européens ont fréquemment travaillé ensemble sur ce phénomène. En ce qui concerne le XXe siècle, rappelons que dans l'entre-deux-guerres en Allemagne, élèves et professeurs de l'école du Bauhaus étaient issus de nationalités diverses, tous cherchaient à parfaire l'habitat. Venu de Suisse pour l'un et de Hongrie pour l'autre, Johannes Itten et Laszlo Moholy Nagy travaillaient sur les couleurs et la matière, pour accompagner le travail des architectes tel Walter Gropius. De même les Congrès Internationaux d'Architecture Moderne (CIAM) organisés entre 1928 et 1959 par Le Corbusier et ses amis, pour contribuer à la modernité, réunissaient des bâtisseurs d'origine géographique différente: Italie, Allemagne, Suisse, Espagne, Finlande. Leur travail commun avait comme objectif l'amélioration de la vie quotidienne, leurs propositions « fonctionnelles » ont constitué le fondement de l'urbanisme moderne [13]. Ce travail laissait envisager d'extraordinaires avancées, mais sans doute incomplètes et insuffisamment appliquées ces réflexions n'ont pas résolu tous les problèmes urbains et encore moins prévenu les évolutions. C'est pourquoi, en 2010, le choix de la ville comme axe directif de l'exposition de Shanghai est tout à fait recevable. Ce thème mobilise élus, population, philosophes, sociologues, architectes, économistes, ingénieurs, artistes et renvoie à une question restée centrale en Amérique en Asie ou en Europe. Quant aux architectes, les concours étant internationaux ils sont souvent appelés à travailler hors de chez eux, ainsi Renzo Piano et Gianfranco Franchini, italiens, étaient associés au britannique: Richard Rogers pour concevoir le Musée National d'Art Moderne à Paris. Dans les années 1980 Ricardo Boffill fut sollicité à l'extérieur de sa Catalogne natale, principalement en France tant à Paris en Ile de France ou à Montpellier. Et après la réunification de l'Allemagne, pour réaménager Berlin et réunir les 2 parties de la ville qui redevenait capitale, les nombreux travaux furent confiés à des dizaines d' architectes, allemands et étrangers, notons en plus de Renzo Piano ou Richards Rogers déjà cités, Aldo Rossi ou Jean Nouvel. Ces quelques exemples autorisent à évoquer l'existence d'une architecture européenne (à laquelle participe toutefois Japonais ou Américains). Cet ensemble culturel et architectural européen existe bel et bien il aurait dû être montré et serait entré en résonance à Shanghai, avec une partie de la ville.
Référons nous par ailleurs, à l'exposition du Centre Pompidou : « La ville-art architecture en Europe 1870-1993 » [14] qui s'attachait à retracer de manière chronologique les grands étapes d'une histoire parallèle sur l'ensemble du continent. Adopter le même schéma, pour ordonner notre pavillon idéal aurait l'avantage de présenter avec clarté une triple évolution, celle du destin commun des espaces urbains et des besoins des populations, celle des faits politiques, sociaux, et des idées, et en dernier lieu, la succession des grands courants artistiques. Comme le milieu urbain est une source classique d'inspiration, il n'aurait pas été difficile de regrouper des œuvres diverses traitant ce sujet. Les peintres ont parfois contribué à enrichir un mythe: celui de la tour de Babel fut souvent repris après Breughel. D'autres artistes préfèrent se propulser dans le futur, Métropolis fut plusieurs fois déclinée à la suite de Paul Citroën en 1923 et de Fritz Lang en 1927. Les Expressionnistes allemands en peignant les ruines ont dénoncé la guerre, les Futuristes italiens séduits par la technique et la vitesse représentaient la dynamique dans un monde industriel et urbanisé. Fernand Léger s'attachait à dessiner les constructions colorées sans oublier la figure humaine.
La dimension sociale du travail de Frans Masereel : « La ville » [15], et la puissance dramatique de ses gravures sur bois contraste avec l'imaginaire antique exprimé dans les peintures de Giorgio di Chirico, ou l'univers architectural de l'Hourloupe de Jean Dubuffet.
La photographie est au plus proche de la réalité, Charles Marville constitue un trésor de documents d'archives sur Paris ses monuments puis ses transformations sous le Second Empire. Après lui, les clichés d'Eugène Atget enregistrent les façades du centre de la ville et la pauvreté des banlieues, de même que la représentation des petits métiers des rues. Brassaï, hongrois de Paris photographie la capitale « la nuit »[16] comme le jour, l’élite intellectuelle et artistique comme les prostituées, et s'attache à l'expression populaire du graffiti.
En effet, si la ville est une source d'inspiration elle est aussi un milieu riche en matériaux de création: les lacérations d'affiches de Raymond Hains, Jacques Villeglé ou Mimmo Rotella sont issues directement des murs livrés à l'information et la publicité. De même la ville est un support à la création, et Ernest Pignon Ernest a fondé l'esprit et la réussite de son travail sur ce principe. Elle peut aussi être transformée par des interventions, lorsque Daniel Buren appose ses rayures sur des monuments ou que Christo procède à ses emballages. Le vidéaste Pierre Huyghe concilie réalisme et imaginaire pour exprimer la ville d'aujourd'hui.
Cette énumération bien que incomplète confirme qu'un grand nombre d'artistes européens ont consacré une partie ou l'essentiel de leur travail à la ville, pourtant nous notons l'absence de volonté d'exprimer ainsi, l'Europe à Shanghai.     
Remarquons par ailleurs que l'Europe impérialiste et triomphante a conçu l'idée d'Asie, mais que aujourd'hui lorsque l'Asie émerge et se construit, l'Europe semble en panne.
L'idée d'Europe est ancienne, elle fut exprimée, dès l'Antiquité, sous forme de récit mythologique. Son espace géographique, excepté la question de sa frontière orientale, est bien délimité et comme il est non contraignant, il permet une circulation intérieure, la prise de conscience d'un territoire et l'établissement de relations commerciales et culturelles. Dans cette aire les échanges nombreux furent cependant rompus par des guerres, et ce sont, justement, les deux derniers grands conflits qui se déroulèrent sur le territoire de l'Europe au XXe siècle qui fournirent les arguments définitifs pour créer une association régionale. Après la barbarie les Européens étaient poussés à la raison et signaient dès le début des années cinquante les premiers traités qui devaient organiser un avenir pacifique et commun. De l'idée d'Europe aux institutions européennes, l'Europe s'est pensée et formée elle même. Mais au delà, dans sa période expansionniste, alors quelle domine et colonise, elle entreprend de créer aussi et d'imposer son concept d'Asie.
En ce qui concerne le terme d'Asie il « est forgé par les Assyriens au cours du deuxième millénaire avant notre ère pour désigner la vaste Terra Incognita qui s'étendait à l'est de leur empire. Le terme lui même révélé par les Grecs proviendrait du verbe Akkadien « asa » qui signifierait sortir, surgir en référence au soleil, l'Asie étant pour eux la direction d'où le soleil se lève » rappelle Christophe Marion [17] en précisant que Thucydide dans « La guerre du Péloponèse » désigne par Asie l'est de la Méditerranée et que les conquêtes d'Alexandre Le Grand, inaugurent un rapprochement entre Orient et Occident.
Cependant si il est avéré que le nom Asie est ancien, il en va autrement pour l'idée d'Asie, Christophe Marion comme Hugues Tertrais[18]citent tous deux le géographe Pierre Gourou dont l'ouvrage «l'Asie» a fait référence et qui pourtant affirmait «l'Asie n'existe pas». Lorsqu'elle surgit mentionnait Edward Saïd [19], l'Asie fait partie d'« un Orient crée par l'Occident ». L'idée d'Asie est conçue à la fois dans la continuité de la définition géographique d'un continent et dans la rupture qui devait signifier la détermination entre l’Est et l’Ouest. Par ailleurs il est certain que l'idée d'Asie est née en Occident d'une analyse manichéenne et partisane. Au XIXe siècle, la comparaison entre les deux espaces, établie par les Européens leur était unilatéralement favorable car elle était fondée sur leurs propres normes. Les grandes puissances industrialisées qui avaient entrepris de coloniser le monde étaient fières de leur domination militaire, elles regardaient les territoires conquis selon des critères préétablis et refusaient d'accepter des valeurs et cultures différentes de leurs principes. En vertu de cet ethnocentrisme européen l’Asie est jugée comme en retard. Ainsi l'idée d'Asie correspond à la vision de l'Europe qui perçoit négativement, les empires multi-ethniques et l'économie encore agricole d'Extrême-Orient opposés aux États-Nations, souvent démocratiques et au développement capitaliste et urbain du monde occidental [20]. L'idée d'Asie issue de l'Occident reposait sur une erreur intellectuelle; conçue artificiellement, elle ne correspondait à aucune réalité, d'une part le discours était dévalorisant et d'autre part l'Europe inventait un ensemble régional face au sien, alors que, au contraire, comme le disait Pierre Gourou l'Asie n'existait pas.
Nous pouvons noter une évolution récente en constatant que des réseaux de flux rapprochent les grands pôles d'Extrême-Orient. Un embryon d'organisation existait depuis 1967 l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) avait été créée, elle rassemblait, dans le contexte des tensions de la bipolarisation, les États capitalistes alliés aux États-Unis : Indonésie, Malaisie, Les Philippines, Singapour, Thaïlande puis le Brunei en 1984. L’origine de cet ensemble était d'ordre politique, et c'est la nouvelle donne internationale qui permettra sa mutation. Hugues Tertrais dans son article «Fin de la guerre au Viet Nam et construction en Asie» explique que ce « moment clé pour l' Asie » va créer de nouveaux rapports entre États-Unis et URSS, transformer les relations internationales et ouvrir la possibilité d'un projet de construction régionale unique en Asie. L'ASEAN progressivement s'élargit aux petits pays: le Viet-Nam, en 1995, le Laos en 1997, de même que le Myanmar et le Cambodge en 1999. Une entente commerciale et culturelle est formée entre ces10 pays, auxquels s'associent la Corée du sud, la Chine et le Japon, dans l’ASEAN PLUS THREE (APT). Cette association peut-elle être l'organe qui mène à une union asiatique ? La question de la hiérarchie est posée, car l'Inde, la Chine et le Japon peuvent revendiquer le titre de puissance régionale, chacune avec sa spécificité est tentée d'exercer un leadership. Hugues Tertrais conscient de cet équilibre délicat indique que l'Asie reste à construire et conclut qu'il lui faut créer sa propre structure « sans doute en dehors des modèles connus », ajoutons que l'Europe avait en son temps été capable d'inventer pour s'organiser et créer son modèle. Nous notons que les projets des pays de l'APT ont d'abord une portée régionale : développement du bassin du Mékong, promotion du tourisme, mais leur but est aussi de renforcer leur voix dans le concert international, par exemple au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, pour contrebalancer l'influence de l'Alena [21] et de l'Union Européenne.

L'Europe et l'Asie aujourd'hui, 2 ensembles concurrents.

Dans le dernier chapitre de l'histoire entre l'Asie et l'Europe, nous constatons que l'Asie, une idée conçue autrefois par l'Europe, proclame, aujourd'hui, son existence pour échapper à l'emprise occidentale et construire son propre modèle. Tournée vers le futur, l'Asie émerge et se fixe des objectifs ambitieux à l'échelle régionale et internationale, maintenant sur notre grand continent coexistent deux entités. Dans le grand ensemble oriental, Shanghai, cette « tête du Dragon », est le pôle essentiel de l'organisation économique, et un centre de culture grâce à son passé et au grand nombre de ses musées [22]. Au contraire de l'Asie qui se propulse vers l'avenir, l'Europe adopte une attitude régressive et se comporte comme au XIXe siècle. D'une part à Shanghai chaque pays européen se présente comme un État-Nation et paraît vouloir se mesurer à ses voisins dans un esprit de rivalité. D'autre part, en différant les prises de décisions, notre union ne peut franchir l'étape nouvelle menant à une intégration économique et financière qui pourrait lui permettre de renforcer sa structure. Elle n'affirme même pas son unité culturelle qui est source inspiratrice de nombreux créateurs et architectes chinois.                                                                                                                                                               
Elle devrait faire preuve de vigilance, avertit Nicolas Baverez en indiquant que dans le contexte de quadruple crise: financière, bancaire, économique et politique, l'absence de réponse, de la part de cette Europe paralysée par ses contradictions, peut la mener à être « renflouée par les États-Unis et l'Asie, ce qu'elle paierait d'un statut de protectorat économique. Après avoir inventé le capitalisme et dominé 70% des populations et des terres émergées, l'Europe verrait sa souveraineté ruinée non par les totalitarismes qu'elle a enfantés, et dont elle a triomphé grâce à l'aide décisive des États-Unis, mais par son impuissance à relever le défi de l'universalisation du capitalisme. Voilà pourquoi il est urgent que les Européens redécouvrent que l'Europe est leur bien commun et la clé de leur avenir dans la mondialisation » [23] Nicolas Baverez est généralement considéré comme pessimiste, mais actuellement il n'est pas seul à alerter, Hubert Védrine [24] semble lui donner raison car inquiet de l'immobilisme de l'Europe face aux autres pôles mondiaux, il redoute lui aussi sa chute et face à ce risque, emploie le même terme de «protectorat».
En 2010, la ville de Shanghai dans son épanouissement, est le témoin de l'essoufflement de l'Europe, elle renvoie toutefois, l'image de la vivacité de son influence culturelle, encore préservée. Ainsi remarquons-nous que, au long de leurs relations, Shanghai a reflété avec exactitude l'état de l'Europe et sa position dans le monde. En ce sens nous pouvons conclure que Shanghai est le miroir de l'Europe depuis l'apogée jusqu'au déclin, ou espérons, déclin relatif.                                                                                         
                                                                                                                                             



[1]    Les batailles de l'empereur de Chine. Le Louvre : Fonds Rotchschild. Paris. Février 2009 à mai 2009.
[2]    Christopher. Alan BAYLY: La naissance du monde moderne (1780-1914) Les Éditions de l'Atelier. Paris. 2006.
[3]    Pierre Renouvin: La question d'Extrême-Orient. 1840-1940.  Hachette. Paris. 1946.
[4]    Josef Sternberg: Shanghai Express. 1932
[5]    Jean-Pierre Larivière, Pierre Sigwalt: la Chine. Masson /Armand Colin. Collection U. Paris. 1996       
[6]    Pour son trafic en volume.
[7]    Accueil Site Officiel de l'Expo de Shanghai 2010: www.expo.cn
[8]    Des chercheurs des universités de Yale et Columbia mesurent la proximité entre la situation des pays et les objectifs environnementaux définis à l'échelle internationale placent la Chine au 160e rang mondial. Grégoire Allix:  La France au 7e rang mondial pour l'environnement.  Le Monde. Dimanche30. Lundi 31 mai 2010
[9]    Dreamlands. Centre Pompidou. Musée National d'Art Moderne. Paris . 5 mai-9 août 2010.
[10]  Ceci fut rappelé lors de l'exposition: Exotiques- Expositions. Les expositions universelles et les cultures extra européennes. France, 1855-1937.Archives nationales, Hôtel de Soubise. 31 mars-28 juin 2010.
[11]  Nous ne traitons pas ici du problème moral , mais n'oublions pas les hommes «exposés» aussi, réifiés, sacrifiés au spectacle!
[12]  Pascal Ory: L'expo universelle. 1889. la mémoire des siècles. Éditions Complexe. Bruxelles 1989.
[13]  La Charte d'Athènes:ainsi est appelé le texte final du IVe CIAM tenu à Athènes en 1933 et traitant de la ville fonctionnelle. Les principes adoptés sont souvent repris lors de la reconstruction en Europe après la guerre.
[14]  La ville, art et architecture en Europe 1870-1993. Musée National d'art Moderne. Centre Pompidou. Février- mai 1994. Paris
[15]  Frans Masereel 1889-1972 La ville, 100 bois gravés, préfacé par Stefan Zweig, paru en 1925. Réédité avec le soutien du Centre National du Livre. Cent Pages. Avril 2008.
[16]  Brassai Paris la nuit. Flammarion, Paris, 1932.
[17]  Christophe Marion: les relations économiques entre Union Européenne et Asie Orientale. Thèse  2007.Université Paris 8: Vincennes Saint Denis. UFR Institut des Études Européennes.
[18]  Hugues Tertrais,: Fin de la guerre au Viet Nam et construction de l'Asie. Institut Pierre Renouvin. Bulletin n°29 avril 2009.
[19]  Edward Saïd: L'Orientalisme. L'Orient crée par l'Occident. Seuil, Paris, 1997.
[20]  Wang Hui : Une nouvelle vision de l'histoire mondiale, les Asiatiques réinventent l'Asie. Le Monde Diplomatique. Février 2005.
[21]  Alena: Accord de Libre Echange Nord Américain entre États-Unis, Canada et Mexique entré en vigueur  le 1er janvier 1994.
[22]  Le Musée de Shanghai conserve une très riche collection de l'art traditionnel chinois: bronzes, sculptures, céramiques, textes anciens. Il existe de nombreux autres musées par exemple: le musée des Tissus, celui de L'Imprimerie: qui expose l'invention chinoise et le rôle de la ville dans son développement et sa diffusion; de même qu'un grand Centre d'Art Contemporain. 
[23]  Nicolas Baverez,Europe désunie, Europe dominée. Le Monde Économie. 8 juin 2010.
[24]  Hubert Védrine, France-Allemagne, le malaise. Le Monde. 29 juin 2010.