20090410

Editorial

Il faut revenir sans cesse sur la question de la traduction, en ne la concentrant pas uniquement sur le langage. Les exemples de vie de nos compatriotes européens pris entre des pays, des langues et des cultures ouvre des regards singuliers sur cette Europe et prête à des interrogations réciproques aussi nombreuses que variées. Mieux même, il se révèle que le recours à des normes uniformisantes n’est pas nécessaire pour construire une perspective commune. Il suffit de définir le commun autrement. Une émission de télévision (Arte) comme Karambolage, les expositions d’œuvres artistiques conçues par des artistes vivant à « l’étranger » (artistes allemands vivant à Paris, artistes italiens et français vivant à Berlin, artistes français vivant à Rome, voire des Biennales d’art contemporain (Venise, Istanbul)) apportent leur touche particulière à ces échanges d’Europe qui ne cessent d’inquiéter les européens qui rêvent d’une identité-homogénéité de l’Europe. Et c’est bien ainsi.

L’idéal d’une Europe plurielle et ouverte sur le monde au-delà de toutes ses frontières est confronté aux dures réalités des Etats et des fondamentalismes culturels, des nations, des monolinguismes. La grande difficulté pour l’heure, sur fond de mondialisation, se concentre sur les risques de restauration de compromis étatiques, éludant cet idéal au profit de réformes conservatrices et libérales, de décentralisations administratives mais de centralisations politiques. Devons-nous vraiment accepter de laisser faire tout cela, et devons-nous nous faire à tout ce qui est seulement.

Il reste vrai que la question la plus centrale est celle des forces sociales, culturelles et politiques qui pourraient porter cet idéal de pluralité sans consacrer l’impuissance à le réaliser. Sans doute les faits rendent-ils ce succès délicat. Mais la tâche demeure, et elle ne doit pas demeurer un propos de la pensée. La confiance dans les pratiques et dans l’avenir reste le fond sur lequel se déploie le Spectateur européen.

Mais ainsi considérée, c’est aussi toute la question des « fondements » de la culture européenne qui est posée autrement. L’anthologie proposée actuellement par Roger-Pol Droit, Philosophies d’ailleurs (Paris, Hermann, 2009), montre à quel point les Grecs, dont certains font le socle de notre culture, reconnaissaient eux-mêmes avoir entretenu des liens avec des philosophies venues d’ailleurs (Inde, Chine, Egypte) : « On s’aperçoit que la plupart des Grecs attribuent à des non-Grecs l’invention de la philosophie. Les Grecs l'auraient reprise, perfectionnée, amenée à une nouvelle forme d’éclosion. C’est là une idée très commune, depuis la Grèce classique jusqu'à l'Antiquité tardive, où elle se développe plus encore. Platon admire les Égyptiens. Dans les biographies de Pythagore, celui-ci est initié à la philosophie d’abord en Égypte puis, plus tardivement, en Inde. Il y a une vraie prise en compte, non pas des doctrines, que la plupart du temps les Grecs ignorent dans leur détail, mais du fait qu’il y a des philosophies ailleurs ».

Ceci pour conclure d’ailleurs plus largement : « Il existe une immense diversité des postures que l’esprit peut adopter et, de même que si on fait un peu de gymnastique, de sport ou de yoga, on découvre qu’il y a des postures du corps que l’on n’a pas l’habitude d’adopter, qui demandent du temps pour être maîtrisées, mais font découvrir d’autres capacités physiques, il y a à l’intérieur des postures mentales que l’on peut adopter toute une série extrêmement diverse d’attitudes que nous n’avons pas l’habitude de prendre. Avec ces pensées, qui sont des pensées humaines et fortes, mais qui ne sont pas dans nos moules, nous avons la possibilité de tenter de nous y intégrer, de regarder comment prendre ces postures pour, en revenant vers nos attitudes, se rendre compte qu’elles n’ont rien de naturelles, de spontané ou d’unique. »

Dans cette logique, nous inaugurons dans ce numéro du Spectateur européen une nouvelle rubrique que nous souhaitons rendre permanente. Elle donne la parole à des européens qui assument en eux une (au moins) double langue et double culture. L’idée est de parler au travers de cette rubrique des difficultés à vivre le bi-culturel, dans la mesure où il renvoie à des discussions nécessaires (fussent-elles intimes) sur les choix à pratiquer, les incompatibilités, ou les diffractions que cela produit. D’autant que ce sont ces incompatibilités qui rendent finalement possibles les discussions et les interrelations, en contrepoint des aléas de l’exil, comme le rappelle Imre Kertesz, dans Un Autre, Chronique d’une métamorphose (1997, Paris, 1999, Actes Sud) : « C’est différent d’être déraciné dans son pays et à l’étranger où on peut trouver une patrie dans le déracinement ».

Quelle difficulté majeure se présente d’ailleurs lorsqu’on veut être vraiment bi-culturel : est-ce qu’on ne néglige pas toujours un aspect de soi, est-ce qu’on ne finit pas par être superficiel dans les deux cultures ? Evidemment : est-ce que cela n’ouvre pas simultanément des possibilités de compréhension de soi plus nombreuses et par conséquent des voies plus nombreuses à des projets européens, qui ne s’enferment pas dans une perspective identitaire : « Vous ne voulez tout de même pas que j’aie une identité » (Kertesz).

20090409

Bilinguisme/Bi-culturalité

Brainstorming très personnel autour de deux notions.
Hildegard d'Ornano
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Je me souviens

1. Je me souviens de mon fils âgé d'environ trois ans qui me demande de ne pas lui parler en allemand dans les transports en commun à Lyon.

2. Je me souviens de mon père qui à l'annonce de mon mariage me pose la question: « Ist er denn auch katholisch? »

3. Je me souviens du fonctionnaire au bureau d' état-civil à Lyon qui m' explique que je pouvais, bien sûr changer mon nom du tout au tout et que je pourrais si je le souhaitais me faire appeler Marie ou Mireille ou ajouter un e-final à mon prénom allemand.

4. Je me souviens d'une copie rendue par un élève qui portait l'inscription « boche » à la place de la matière « allemand ».

5. Je me souviens de l'inscription sur le tableau dans une classe de Terminale ES : « Arbeit macht frei » et j'ai tourné les talons.

6. Je me souviens de la légèreté qui m'envahissait par moments quand je me sentais fixée nulle part.

7. Je me souviens de mon étonnement à propos de la remarque: « Vous avez des origines, n'est-ce pas? Vous venez d' où? »

8. Je me souviens de mon sentiment de vexation quand une personne aimable remarque que je n'ai pas ou presque pas d'accent.

9. Je me souviens des toutes ces tergiversions autour des prénoms de nos enfants.

10. Je me souviens de mon sentiment de culpabilité lointaine quand j'ai appris que le grand-père de mon mari avait perdu un bras pendant la guerre de14 – 18.

11. Je me souviens du sourire de ma fille, d'origine haïtienne, quand je lui ai expliqué que toutes les deux, nous étions enregistrées au bureau d'état-civil à Nantes.

12. Je me souviens de la découverte de Berlin en famille, des grands espaces, de la Jugendherberge et du plaisir de manger des Bouletten et Kartoffelpuffer et de ma fille qui voulait absolument un Rieseneisbein.

13. Je ne me souviens plus à partir de quand j'ai commencé à laisser tomber des explications fastidieuses autour du manque de bilinguisme familial.



20090408

Bi-culturalité

Nombre d’européens vivent une situation de bi-linguisme, par transfert, choix ou exil. En dehors de l’analyse des raisons qui y conduisent, il est essentiel de comprendre comment vivre le bilinguisme, dans quelle mesure il donne à penser une culture d’échange, fondée sur la traduction permanente plutôt que sur l’exclusive ? Enfin, le bilinguisme et le biculturalisme se recoupent-ils ? Telle est aussi la question qui traverse cette rubrique du Spectateur européen que nous comptons développer au fil des numéros.

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Whether by birth, choice or exile, many Europeans currently live in a situation of bilingualism. Aside from the reasons that lead to such a predicament, it is crucial to understand how people experience bilingualism and the extent to which it encourages a sense of sharing and community. Also, what is the relationship between bilingualism and biculturalism? These are the topics that this issue of the European Spectator will tackle and that we will attempt to develop throughout the following publications.

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Zahlreiche Europäer leben in einer Situation der Zweisprachigkeit, sei es aus freier Wahl oder im Exil. Abgesehen davon, dass die Gründe erforscht werden sollten, die zu solch einer Situation führen, ist es wesentlich zu verstehen, wie die Zweisprachigkeit erlebt wird.

Inwieweit entwickelt sich eine Kultur des gegenseitigen Austausches , die eher auf einem ständigen Wechselspiel und nicht auf Ausschließlichkeit beruht?

Und entspricht Zweisprachigkeit unbedingt dem Zugehörigkeitsgefühl zu zwei Kulturkreisen?

Der Europäische Betrachter wird sich diese Fragen in dieser und den folgenden Ausgaben stellen.

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Pek çok Avrupalı değişik nedenlerden dolayı iki lisan birden konuşabiliyor. Bu şans profesyonel alandaki bir transfer veya başka bir ülkeye göc etme zorunluluğundan olabilir. Ama en önemlisi bu değil. Öyle ki hangi nedenden olursa olsun önemli olan iki lisan konuşmanın iki kültüre sahip olmak için ne kadar önem taşıdığı. İki lisan konuşmak iki kültüre sahip olmak mı demek? Değilse, iki lisan konuşup ama kültüre sahip olmayınca aslında o konuşulan lisana yabancı kalmıyormuyuz? Avrupalı izleyici bu sopruların bir ortak Avrupa kültürü oluşmasında önem taşıdığını ve dolaysıyla internet sitesi çerçevesinde bu sorulara çözüm pistleri arıyor.

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Dialogue.

Deux interlocuteurs : Fernanda et Hildegard.

Fernanda – 47 años – casada – un hijo.

Nací en Buenos Aires (Argentina) y llegué a Francia en el año 1997. Soy profesora de español.

Aunque tengo las dos nacionalidades, me defino en este momento como una argentina que vive en Francia. Argentina, ante todo, porque es mi lengua, mi historia, mis raíces y quizás porque estoy lejos necesito ponerla en primer plano.

Es verdad que desde que vivo y trabajo aquí, he cambiado. Es decir, mi mentalidad ha cambiado un poco. Me doy cuenta de esto cuando me asombro de cosas cuando estoy en Argentina, cosas que antes me parecían totalmente normales. La primera es el desorden en el tráfico y la segunda el tuteo generalizado. Recuerdo que la primera impresión que tuve cuando llegué a Francia fue la sensación como de estar en una casa de muñecas, donde todo es chiquito, donde uno no puede perderse : las calles angostas , los edificios bajos , los espacios todos señalizados - doblar a la derecha, stop, ceder el paso -, como si no hubiera un metro cuadrado abandonado. En cuanto al tuteo – eso lo sentí al volver a Argentina después de tres años – me impresiona cómo los periodistas se dirigen a los telespectadores en los informativos. El tuteo es casi general, te tutean hasta en las publicidades de la calle. Y como éstas, podría hablar de muchas otras cosas.

Pero no digo esto como una crítica ni de Argentina , ni de Francia, sino como una diferencia. En efecto, no soporto las críticas ni de los franceses hacia los argentinos ni de los argentinos hacia los franceses. Pero lo que más me cuesta soportar es la crítica de los argentinos que viven en el extranjero hacia los argentinos.

Hildegard- 50 Jahre- verheiratet – 4 Kinder

Vor 23 Jahren bin ich, im Alter von 27 Jahren, im Rahmen der Tätigkeit als Fremdsprachenassistentin nach Frankreich gegangen, nach Vénissieux. Inzwischen bin ich verheiratet, habe vier Kinder und arbeite als Deutschlehrerin im Norden Frankreichs.

Die erste Frage nach der Zweisprachigkeit und die zweite, ob ich mich in beiden Kulturen, in der deutschen und in der französischen, gleichermaßen zu Hause fühle, berührt meine ganz intime Identität, als brennten diese Fragen wie Zweifel immer noch.

Denn je nach Alter und Zugehörigkeitsgefühl habe ich mehrere Etappen durchlaufen, jedoch keine definitive Antwort gefunden. Also muss ich wohl anerkennen, dass ich mich fortwährend in einem Schwebezustand befinde, gleichwohl ich mich im Grunde ankern will.

In Diskussionen mit anderen „Gleichgestellten“, Personen mit ähnlichem Migrationshintergrund, stelle ich Unterschiede fest. Für mich ist es jetzt eine Tatsache, dass ich immer weniger den Ereignissen in Deutschland, in meinem Elternland, hautnah folgen kann, auch wenn ich es wollte.

Insofern definiere ich mich eher als Französin, aber mit deutschen Wurzeln. Es wäre schön, wenn diese auch in der kommenden Generation in meiner Familie lebendig blieben.

À haute voix

Hildegard : Fernanda, tu te sens argentine, française ou plutôt européenne?

Fernanda: Etre européenne, je ne sais pas ce que cela veut dire. Je me sens argentine ET française, mais pas au même titre.

Hildegard : Parle – moi de tes origines !

Fernanda : Mes grands-parents paternels sont d'origine espagnole, ils ont immigré en Argentine quand ils étaient jeunes adultes. Du côté maternel, la famille vient d'Uruguay. En Argentine, me semble-t-il, l'accueil des étrangers se fait tout naturellement et j'ai vu fréquemment des échanges entre personnes de langues différentes, sans appréhension. Bien sûr, la communication en Amérique Latine est facilitée par la même langue, et même avec le Brésil il n'y a pas vraiment de barrière linguistique proprement dite. Pour te parler de la diversité, dans ma classe, j'ai fréquenté des enfants japonais, enfants juifs, des pieds noirs, italiens, espagnols.

Hildegard : Cet aspect multiculturel doit te manquer?

Fernanda: Oui, d'une certaine façon. Mais ici, en France, je suis en contact avec des gens africains ou des maghrébins, des polonais et des allemands.

Hildegard : Est-ce que tu te considères comme étrangère?

Fernanda: Oui, mais cela ne pose pas de problème.

Hildegard : Est-ce que les gens d'ici te font des remarques?

Fernanda: Oui, mais ça ne me choque pas qu'on remarque que je viens d'ailleurs, parce que le regard n'est pas négatif. Il est arrivé que des gens pensent que je viens d'Italie ou d'Espagne. Cela ne me dérange pas, c'est amusant.

Hildegard: Moi, c'est différent! Cela me vexe quand les gens disent que j'ai un accent ou quand ils me posent la question d'où je viens. Rarement, on me prend pour une alsacienne! Je trouve qu'au bout de plus de vingt ans de vie en France, ma façon de m'exprimer ne devrait plus susciter des remarques de ce genre. Bien que je ne fasse rien pour améliorer mon accent, l'expression en public etc., je ressens encore un handicap langagier et parfois cela me perturbe. Surtout quand je suis émue ou énervée, j'éprouve des difficultés d'exprimer une idée, d'être claire. Et je me sens coincée, c'est révoltant.

Fernanda : Est-ce que tu te sens plus française qu'allemande?

Hildegard: Tout-à-fait! Je suis arrivée en France à 27 ans, j'aurais bientôt passé autant de temps en France qu'en Allemagne. Mon identité est maintenant française, avec des origines allemandes, bien sûr. Mais moi-même, je ne me caractériserais pas par ça. Bien que je ne l'oublie pas, au contraire. La possibilité de dire « je suis européenne » me plaît énormément et cette perspective m'ouvre des portes vers autre chose. L'Allemagne a changé, j'aime bien observer ces changements, mais je ne participe pas. En tant que professeur d'allemand, je constate aussi que l'image de l'Allemagne est meilleure, plus positive, j'en profite en quelque sorte, c'est plus agréable de parler des nouvelles valeurs comme des idées écologiques, de la réussite de jeunes Turcs ou des auteurs d'origine étrangère qui écrivent en allemand que de présenter l'éternelle Histoire, aspect important, je souligne. Mais je suis spectatrice. Et même je me sens parfois étrangère en Allemagne.

Fernanda: J'ai lu quelque part que celui qui émigre est quelqu'un qui se sent déjà d'emblée étranger dans son pays ou face à sa famille.

Hildegard: Ma vie d' « adulte » a commencé tard, et mon immigration et mes efforts d'intégration en France coïncident avec la fin de ma vie d'étudiante, une transition dure. Être étrangère, ça a un certain charme, mais pas très longtemps. Je tenais au bilinguisme. Pour notre fils ainé, nous avons profité de la possibilité d'une scolarité bilingue à Lyon, mais la vie professionnelle en France, le quotidien scolaire des enfants et la distance d'avec ma famille allemande ne m'ont pas permis de continuer. Tout n'est pas vain, tout n'est pas perdu, l'éveil aux langues étrangères, le fait de thématiser les origines différentes ont élargi l'horizon familial, c'est évident. Et dis-moi, comment tu vis le bilinguisme?

Fernanda: Je parle espagnol avec mon fils, il me répond en français - quand nous sommes en France. Pour moi, parler le français, c'est un choix, j'ai choisi d'apprendre et étudier le français, c'est un plaisir pour moi. Mais ce n'est pas toujours reposant. Au début, ça a été même fatigant, épuisant. Maintenant, c'est automatique.

Hildegard: Tu n'éprouves aucune difficulté?

Fernanda: Non, c'est automatique.

Hildegard: Et avec ton mari?

Fernanda: Avec mon mari, on s'est connu en Argentine, c'est moi qui ai voulu parler le français. Il aurait pu parler espagnol, mais notre relation s'est faite en français. Notre langue commune s'est établie naturellement. Par ailleurs, il aime bien l'allemand. Avec mon fils (9 ans), je lui ai toujours parlé en espagnol parce que je voulais qu'il possède ma langue, c'était important pour moi! Quand j'ai découvert, lors des voyages en Argentine, qu'il parlait l'espagnol, j'ai senti un soulagement, et une grande joie. C'était comme une deuxième naissance, comme s'il renaissait en espagnol.

Hildegard: Voilà un point de frustration pour moi, sans en faire un problème vital, je regrette de ne pas avoir pu importer ou maintenir le bilinguisme dans ma famille.

Fernanda: Nous ne parlons pas l'espagnol en famille. Parfois des petites remarques, mais en France, la vie se passe en français!

Avant de nous quitter, nous constatons que, toutes les deux, nous avions profité d'une sortie culturelle la veille même, l'une au conservatoire régionale où furent présentés « Les 4 saisons » de Vivaldi et « Las 4 estaciones portenas » de Piazzolla, l'autre avait participé en famille au finissage de l'exposition « Ici Berlin »!

20090407

Culture UE

Une histoire politique de la culture en contexte européen.
Thibault Barrier
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Zufriedenheit herrscht heute nicht bei kulturelle Bereich. Wir müssen die Branche vor zu viel Optimismus warten (cf. Die Welle). Und wir wissen dass unsere jugendlichen sind nicht « kultiviert » genug. Das ist ein schulpolitisches Problem. Wir alle haben die Aufgabe zu (achten). Für unsere Schulen ist es sicher entscheidend in ihrem Bemühen um Kulturarbeit nicht nachzulassen. Dafur braucht man viel Fantasie. Wir müssen mehr Mittel fûr Kultur geforden. Besonders die öffentliche Hand. Und nicht für die Vermarktung der Kultur, für aber den Begriff und die Unterichten zu entwickeln.

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The author analizes here 14 articles regarding the notion of culture within the eurpean context, written by Christian Ruby, published at the Editions Presence and Action Culturelles in Brussels ( Belgium). İt is possible to download and have easily access to those articles through the PAC website using the rubric Publications, of the year 2008.

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Yazar, Christian Ruby tarafından yazılmış ve Edition Présence et Actions kültürel tarafından Bruxelles şehrinde basılmış 14 makaleyi ele alıyor . Akıcı ve kolay bir lisanla yazılmış olan bu yazıları PAC internet sitesinden indirmek mümkün.

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L’auteur analyse ici 14 fiches portant sur la question de la culture en contexte européen, publiées par Christian Ruby, aux Editions Présence et Action culturelles, à Bruxelles. Ces fiches sont accessibles et téléchargeables sur le site de la PAC à la rubrique Publications, et dans l’année 2008.

De la définition à l’exercice

L’une des difficultés fondamentales inhérente aux discussions contemporaines sur la culture consiste d’abord à fixer le sens de la notion en question. La très large extension sémantique du terme même de culture suscite en effet de nombreuses équivoques. Des syntagmes tels que « la crise de la culture », « la culture de masse », « la culture générale », « la culture scientifique », « les contre-cultures », « la politique culturelle », « être cultivé » font-ils finalement référence à une seule et même chose ? Il semblerait plutôt que ce ne soit pas le cas. On peut alors être tenté de déterminer cette profonde plurivocité en la réduisant à un certain nombre d’acceptions principales, et ainsi d’étager les différentes définitions de la culture en ayant soin d’établir une continuité d’un sens à l’autre[1]. Une autre approche, celle que l’auteur adopte dans cette série de 14 articles, consiste plutôt en une étude généalogique des discours sur la culture, organisée selon leur ordre d’apparition historique. Ce déroulement chronologique peut se lire comme un panorama critique sur la construction de la notion de culture à partir de la modernité (XVIe – XVIIIe siècles), et ne s’en tient pas à une pure linéarité factuelle ou lexicologique. L’un des enjeux principaux de cet ensemble tient à la restitution de l’épaisseur conceptuelle du terme au travers de ses différentes sédimentations historiques, et ce, afin de rendre lisible le débat contemporain sur la culture.

En effet, il ne s’agit pas ici de produire un propos érudit sur l’histoire sinueuse des acceptions du concept de culture jusqu’à nos jours : le parcours historique ne prend véritablement son sens qu’à l’aune du questionnement contemporain auquel tente de répondre l’auteur. Ainsi, trois moments semblent se détacher, sous forme d’une double réponse à « déploration face à la mise à mort de la culture » dont l’article 12 propose une formulation aboutie. La réponse en amont (articles 1 à 11) est fournie par le parcours des modèles classiques de la culture (élévation, formation) et de leurs critiques (marxistes, sociologiques), celle en aval constitue la solution propre de l’auteur, dont on comprend toute la portée à l’aune des exposés antérieurs. Celle-ci consiste à formuler le problème de la culture dans une grammaire de l’Europe, autour du « projet d’un universel concret dans une culture de soi » [2] qui relève principalement d’exercices constants pour se soustraire à la reproduction aveugle des « modes d’objectivation proposés aux fins de contrôle social et politique ».

Avant de regarder plus précisément les détails de ce troisième moment, il convient tout d’abord de bien comprendre les termes de la question auxquels il répond, savoir, les différentes postures ou inquiétudes face à cette présumée crise de la culture, puis de présenter les trois grands paradigmes culturels de la modernité dégagés avec force par l’auteur : la culture élévation, la culture formation, la culture ordre symbolique.

La mort de la culture : les termes de la question

Le point de départ du texte, ou du moins ce qui fait sentir l’urgence du propos de l’auteur sur la culture, se trouve bien dans les discours hantés par la déploration « d’un abêtissement culturel de nos contemporains ». Ces discours décèlent toutefois certains symptômes pertinents et révélateurs d’une faible santé de la culture. On peut penser au renforcement par les politiques culturelles des valeurs symboliques qui relèvent des « habitus dominants » ; à l’esthétisation de la culture dans des célébrations dogmatiques d’une prétendue unité, organisée par simple juxtaposition des différences culturelles, ou encore à la scission profonde, sur le plan ministériel, qui existe entre la culture scientifique et une autre culture, abstraite, celle d’une présumée puissance d’élévation de l’homme, mais qui finalement « n’a d’autre mérite que d’accompagner la politique dans la gestion des foules » [3]. Ce n’est donc pas tant sur ces symptômes eux-mêmes, que sur le traitement qu’en propose ces discours que portera la critique.

Après avoir montré les contradictions internes de l’imprécateur de la culture qui la dit en crise alors qu’il continue de lui reconnaitre une certaine forme de pureté (qui sert d’amer à la dégénérescence), l’auteur pointe les trois inquiétudes structurantes de ces discours. La première consiste en un ressentiment face à la perte du modèle dit traditionnel de la culture (l’émancipation, la libération), au profit de « superficialité médiatique », et des œuvres vides de sens, comme si l’histoire avait offert toutes ses richesses et n’avait plus rien à offrir à la communauté humaine. Seul règnerait un individualisme social exacerbé dominé par la « passion démocratique » telle que la pensait Tocqueville. Une telle perspective demeure tributaire d’un format unique de la culture, un « idéal ancien », qu’il devient impossible à retrouver dans les œuvres contemporaines. La seconde porte non plus sur les productions culturelles, mais sur les spectateurs, dont on déplorerait alors la profonde ignorance. La classe des spectateurs se diviserait en deux groupes déséquilibrés : d’un côté celui du petit nombre d’intellectuels avertis qui savent, et de l’autre la grande masse de la foule ignorante, et surtout l’hermétisme du second à la transmission du savoir réservé aux premiers. C’est bien là « une crise du pouvoir et du savoir (culturel) de ceux dont la place n’a de valeur que si elle est exclusive » [4]. Enfin la troisième s’attache à critiquer les effets de la « consommation de masse » sur les œuvres culturelles, qui en viendrait à perdre toute leur aura, leur authenticité. De là sont reconduites bon nombre d’oppositions assez caricaturales entre le règne quantitatif des images contre la qualité des œuvres véritables, pures de toutes considérations matérielles, ou utiles. Cette conception s’inscrit dans le fantasme bourgeois d’une culture réservée à l’élite, seule capable d’en comprendre le sens et ainsi d’en détenir le monopole légitime.

C’est donc finalement bien la crise de leur propre conception idéalisée et réifiée de la culture et du recul de leur autorité, de leur « aura » au sein de ses nouvelles formes que ces discours stigmatisent. On peut alors essayer de voir à partir de quels modèles historiques se sont formées de telles conceptions unitaires de la culture aujourd’hui. Remotiver ces paradigmes ne peut toutefois se faire dans la totale ignorance des profondes critiques qu’ils ont subi à partir du XIXe siècle et surtout au XXe, avec l’avènement des « sciences humaines ». C’est là un des grands intérêts de ces articles que de permettre de relire ces grands modèles théoriques à l’horizon des critiques formulées par les sciences anthropologiques et sociales, qui substitueront à la culture comme seule élévation ou formation, la culture comme ordre symbolique.

La fabrique du concept

Nous ne reviendrons pas en détail sur le très riche panorama historique proposé dans ces articles, mais tâcherons seulement d’en retenir quelques points essentiels à la compréhension du problème d’une crise de la culture. Il ne s’agit pas pour l’auteur, lors de son parcours, de congédier ou de montrer la désuétude des modèles anciens, bien au contraire. La stratégie est presque inverse, et consiste précisément à montrer, in fine, que les tenants contemporains d’un retour à une idée ancienne de culture projettent plus sur l’histoire de la notion leurs propres attentes qu’ils ne se livrent à une lecture en profondeur des textes. La présentation synthétique (brève mais essentielle) de la tradition dans les 11 premiers articles permet justement de trouver des linéaments de réponses aux inquiétudes évoquées plus haut.

Le premier modèle convoqué est celui de la culture-élévation qui s’instaure principalement au XVIIIe siècle par le biais d’une réflexion sur l’éducation humaine. La notion recouvre alors un champ de savoir spécifique, distinct de l’Eglise, mais universel en son principe : il s’agit de rendre le monde lisible à l’homme, et de produire les conditions de sa transformation. Elle permet à l’homme de s’arracher à l’immédiateté de sa condition animale, et à sa seule singularité vers l’universel (double élévation). La culture se fait production d’une sphère commune, organisation d’un espace de connaissances partagées, en droit ouvert à l’ensemble de l’humanité (contre l’éducation aristocratique). En ce sens, on comprend déjà qu’elle ne peut relever d’un avoir (posséder de la culture), mais d’un être, non pas donné, mais ouvert : il importe moins d’être cultivé que de travailler à se cultiver. Ces conceptions ouvrent à l’idée d’une plasticité profonde de l’homme et « la culture ne se définit plus alors par des fins, mais par des possibilités de développement » [5] : la culture se donne comme un « souci de soi », une sculpture de soi à remettre sans cesse en chantier.

De là, elle devient une sphère sociale de plus en plus autonome (notamment, comme l’auteur le rappelle, par l’idée d’un « public » propre), à laquelle il revient de produire différents types de règles auxquelles référer son jugement, qui en retour, modifiera ces règles, et ainsi de suite. La nature humaine elle-même devient l’un des principaux objets de questionnements, l’anthropologie commence à se développer comme science rigoureuse. L’auteur montre à cet égard que l’anthropologie classique reste nantie d’un certain nombre de présupposés ethnocentristes, qui serviront notamment les grandes politiques coloniales de la fin du XIXe siècle. On pense là aux nombreux récits de voyages qui bâtissent l’image du sauvage, que la civilisation doit encore éduquer, et à partir duquel se dessineront les principales typologies fantaisistes des peuples dits primitifs, qui prétendront apporter la justification biologique d’une supériorité politique usurpée. L’article 6, qui développe ces thèses, montre donc de manière percutante en quoi la culture ne constitue pas toujours un rempart contre la barbarie, qui serait seulement celle des « incultes » : les non-civilisés. La plus profonde barbarie n’a-t-elle pas justement consisté à rejeter l’autre au nom d’une prétendue supériorité de la culture occidentale, dans la manière dont « le moi européen s’est fabriqué un autrui diminué » ? C’est bien là que se semblent se trouver les limites du concept de culture élévation, prisonnière d’une téléologie linéaire et le plus souvent européano-centrée. Construire aujourd’hui l’Europe, et non seulement se contenter d’en proclamer l’existence, semble bien devoir passer par un tel travail sur sa propre histoire, sur la reconnaissance de ses responsabilités dans bon nombre de situations politiques encore hasardeuses.

Face à ces difficultés, un autre modèle est convoqué, celui de la culture-formation, telle qu’elle est pensée surtout par Hegel. Nous nous contenterons de dire que la réponse hégélienne consiste principalement à introduire le négatif (l’autre) dans le processus de construction du sujet. La culture ne révèle pas l’extériorité de l’autre mais l’intègre plutôt à l’existence du sujet, qui y découvre alors son étrangeté à soi. La formation consistera ainsi à en « une appropriation de soi », selon un processus dont la fin n’est autre que son propre exercice : le résultat de la formation culturelle n’est pas un point acquis hors du processus à partir duquel on pourrait tenir un discours définitif, mais se trouve dans le mouvement perpétuel engendré par cette formation, dont on ne peut sortir définitivement. Se cultiver relève en effet d’une tâche infinie, à réengager sans cesse, et sans jamais pouvoir se dire « être cultivé ». C’est rendre infini en droit le souci de soi évoqué plus haut. L’auteur intègre ces deux acquis essentiels des modèles précédents pour formuler une définition de la culture comme « l’exercice d’une tâche infinie, puisqu’elle n’a d’autre objet que de susciter l’enthousiasme pour des mondes à construire, fut-on accompagné par le doute, mais surtout jamais par le ressentiment ou le désespoir » [6]. Contre les deux dernières postures mentionnées, les derniers articles permettent de construire une réponse positive et moins catastrophiste, en prenant acte des critiques anthropologiques, qui repensent la culture comme ordre de production du symbolique.

La culture en archipels

Le parcours proposé par l’auteur au sein des thèses d’anthropologues et sociologues du XXe siècle permet de bien comprendre le caractère éminemment structurant de la culture au sein des sociétés, autrement dit, sa fonction et sa signification politique. Toute la question est alors de savoir comment s’organise cette structuration du politique par la culture, et au nom de quels principes ou critères des échelles de valeur sont mises en place. Là encore, une des lignes de force dégagées tient à la critique du passage de production de la culture à la domination culturelle. Alors qu’elle concentre tous les espoirs d’émancipation, elle demeure un relai du pouvoir et de ses institutions. Il revient aux travaux des anthropologues dès le début du XXe siècle de refuser une telle projection du normatif et de l’axiologique sur le culturel. Ce dernier s’entend désormais comme un système ouvert de relations symboliques dans un espace social hétérogène. L’auteur montre ensuite comment un tel système est fortement susceptible d’être « colonisé » par le politique, « sous la forme d’une esthétisation – par laquelle on fait jouer à la culture le rôle d’une instance structurante de la société (référence, mobilisation, symbole) dès lors que la politique n’arrive plus à jouer ce rôle » [7]. A côté du statut ontologique, éthique et anthropologique, c’est enfin sa dimension résolument politique qui intéresse Ruby dans ce troisième moment du texte.

C’est précisément à cette instrumentalisation de la culture et des arts à des fins disciplinaires que les derniers articles (13-14) proposent de répondre. Ces derniers relèvent alors d’un triple objectif : un double dépassement [8], et une réorientation de la question de la culture (en général) en termes de culture européenne.

En effet, l’Europe devient un territoire fertile pour reprendre ces problèmes à nouveaux frais. Sa grande force tient beaucoup moins à ce qu’elle serait de manière définitive (telle une essence identitaire donnée dont il s’agirait seulement de dérouler ce qu’elle contient en germes), qu’aux processus qu’elle rend possible et qui la construisent en retour. Il faut bien comprendre que l’Europe, ne renvoie pas ici à une simple extension territoriale ou à une nébuleuse de valeurs historiques extraites d’un passé commun, socle d’une identité commune dont les contours seraient tracés depuis bien longtemps. Ici l’Europe échappe à une saisie intégrale par les seuls critères économiques, historiques ou politico-culturels : c’est son aspect opératoire qui importe peut-être d’avantage. Il s’agit moins de définir ce qu’elle est que de comprendre les échanges qu’elle permet. Elle peut donc s’entendre comme un espace publique ouvert, un support muable de discussions et de recherches qui en modifient la configuration. L’Europe est une terre meuble.

Toutefois, on ne peut se contenter de penser la pluralité profonde qui la travaille sur le mode d’une transformation immédiate d’intérêts particuliers juxtaposés en un hypothétique « bien commun ». L’auteur insiste à juste titre sur l’exercice du désaccord, du différend, qui constitue l’instance motrice principale pour entreprendre « d’inventer et de produire une histoire démocratique et culturelle » [9]. L’archipel sert de modèle métaphorique pour penser ce devenir commun de la culture et de l’Europe : une constellation d’entités dont le regroupement n’efface pas pour autant les frontières respectives, un espace commun qui ne devient jamais uniforme, mais laisse cours aux interférences. L’exercice des « désaccords réfléchis » qui s’y nouent compose peut-être le cœur de cette « Europe de la traduction ». Traduire c’est organiser un rapport nouveau entre plusieurs ordres irréductibles les uns aux autres. Un passage est ouvert, mais une part d’ombre subsiste toujours. Une traduction n’est jamais sans reste. Elle ne nivelle pas les aspérités singulières jusqu’à obtenir une solution (au sens chimique) commune, mais réactualise justement les différences par la résistance qui s’exerce d’une langue à l’autre. En ce sens, l’avancée linguistique de l’Europe semble contraire à l’adoption d’un langage formel de simple communication (tel, pour reprendre l’exemple donné, le basic english). On comprend ainsi pourquoi la culture et l’Europe, comme la traduction elle-même, relèvent d’une « tâche infinie », « d’exercices constants ». Le travail qui reste à mener consiste donc élaborer les différents critères à partir desquels produire des confrontations entre les cultures, et à sans cesse réinterroger leur légitimité. Il s’agit en somme de façonner certaines lignes, ou figures universelles à partir de l’inépuisable diversité des cultures singulières [10]. C’est cette composition que l’auteur appelle un « universel concret », dont il faut encore préciser les modalités d’existence, mais grâce auquel l’auteur parvient à repenser l’idée d’interculturel, qui fait l’objet de l’article final.

Au terme de cette série, le lecteur comprend bien que le devenir de la culture européenne est intimement lié à celui de la démocratie, et que l’une comme l’autre ne peuvent seulement être posées comme des idéaux abstraits donnés une fois pour toute. Chacune appelle sans cesse des transformations, rectifications, ou autre, sans que l’on puisse pour autant se référer à ce que serait leur essence propre, originelle et authentique. Un des principaux enjeux aura été de montrer à quelles dérives politiques peuvent donner lieu de telles conceptions. Ainsi, cette série d’articles peut elle-même être considérée comme une tentative éclairée de produire un îlot de culture européenne, dans la mesure où « l’Europe a sa principale signification dans une histoire qui est, en réalité, une histoire des différends et des ruptures » [11].




[1] C’est par exemple ce que propose Denis Kambouchner au début de son texte sur la culture dans le tome III des Notions de philosophie, Paris, Gallimard, 1995, p.445-568. Il distingue d’abord un sens ontologique, qui se concentre essentiellement sur le problème de la délimitation entre nature et culture et la détermination des conditions de la culture, un sens anthropologique, qui enveloppe la totalité des actes d’une société donnée (croyances, coutumes, arts, pensée) qui arrachent l’homme à une pure naturalité, et enfin un sens classique, qui comprend processus subjectif et le résultat réel ou idéal de ce processus, où l’homme parviendrait à réaliser son humanité.

[2] 14.4.g. Nous donnons les références des textes de C. Ruby comme suit : numéro de l’article. Numéro de la page. Colonne de gauche(g) ou de droite (d).

[3] 12.2.g. Sur la question des célébrations voir les premiers éléments de réflexions contenus dans le numéro « Se célébrer » du Spectateur. Sur la gestion politique des foules par une culture instrumentalisée, voir C. Ruby, L’âge du spectateur, Bruxelles, La Lettre volée, 2007, quatrième partie, p.225 sq.

[4] 12.3.d.

[5] 1.3.d.

[6] 9.1.g-d.

[7] 7.3.g.

[8] Etant entendu que le dépassement d’une chose ne peut se faire qu’une fois cette dernière « comprise », « digérée » (selon l’usage du concept d’Aufhebung en allemand). Ici, les perspectives qui viennent clore la série se comprennent comme le dépassement des discours de la « crise » (art. 12), et des pratiques d’instrumentalisation, analysées plus en détail ailleurs, notamment dans L’Etat esthétique, Paris/Bruxelles, Castells/Labor, 2000.

[9] 13.3.g.

[10] On peut penser, en la relisant au l’aune des problèmes soulevés ici, à la célèbre formule de Ponge dans son « Introduction au galet », in Proêmes, Paris, Gallimard, 2005 : « Je propose à chacun l’ouverture de trappes intérieures, un voyage dans l’épaisseur des choses, une invasion de qualités, une révolution ou une subversion comparable à celle qu’opère la charrue ou la pelle, lorsque, tout à coup et pour la première fois, sont mises au jour des millions de parcelles, de paillettes, de racines, de vers et de petites bêtes jusqu’alors enfouies. O ressources infinies de l’épaisseur des choses, rendues par les ressources infinies de l’épaisseur sémantique des mots ! ».

[11] 13.3-4.

20090406

Espace

L'espace intellectuel en Europe,
De la formation des Etats-nations à la mondialisation,
XIX° - XXI° siècle,
Sous la direction de Gisèle Sapiro,
Paris, La Découverte, 2009.
Christian Ruby
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Despite a dense common history filled with exchanges of ideas and translation commitments as well as confrontations, a European intellectual sphere struggles to emerge. What are the obstacles to its materialization? The first is undoubtedly the weight of various nationalisms. An intellectual work will first be confronted to the limits of the old European scientific community, vestige of the middle ages, then circulate around the national framework stemming from modern times: expansion of intellectual professions and services, division of labour, the widespread diffusion of intellectual works, and the emergence of the committed intellectual as a figurehead. This circuit better highlights the stakes involved in international intellectual cooperation and contemporary transnational mobilisations, and points to the cultural forces at work in Europe’s development from North to the South and East to West.

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Malgré une histoire dense, marquée aussi bien par les échanges d’idées que par les engagements de traduction et les confrontations, un espace intellectuel européen peine à émerger de nos jours. Quels obstacles s’opposent donc à sa réalisation ? Sans doute, d’abord, le poids des nationalismes. L’ouvrage fait ainsi le tour des limites de l’ancienne communauté savante européenne du moyen âge, puis celui du nouveau cadre national instauré durant la modernité : essor des professions intellectuelles, division du travail, circulation des œuvres, émergence de la figure de l’intellectuel engagé. Ce parcours permet, enfin, de mieux cerner les enjeux des coopérations intellectuelles internationales et des mobilisations transnationales contemporaines. Il dessine les enjeux culturels qui traversent la construction européenne du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest.

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Die Frankfurter Buchmesse ist mit mehr als 7 000 Austellern aus über 100 Ländern die Grösste Buchmesse der Welt. Kunst und Kultur sind Europas Intellectuellen lebenswichtig. Kulturelle Europe hat eine schöne Geschichte.

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Παρά την πλούσια ιστορία η οποία χαρακτηρίζεται τόσο από την συναλλαγή ιδεών αλλά και από τις μέταφραστικές δεσμεύσεις και τις αντιπαραθέσεις που υπάρχουν, ο ευρωπαϊκός πνευματικός χώρος παλεύει για να αναδυθεί στις μέρες μας.Ποιά είναι τα εμπόδια;Αναμφίβολα σε πρώτο πλάνο βρίσκονται οι εθνικισμοί και το βάρος που ασκούνε.Το βιβλίο αναλύει τα όρια της πρώην ακαδημαϊκής κοινώτητας του Μεσαίωνα και ύστερα αυτά των εθνικών πλαίσιων που καθορίστηκαν στην σύνχγρονη εποχή :αύξηση των πνευματικών επαγγελματικών δραστηριοτήτων,διαίρεση της εργασίας,η κυκλοφορία των έργων,και η ανάδυση των δεσμευμένων διανοούμενων.Η πορεία αυτή μας επιτρέπει τελικά να εντοπίσουμε θέματα των διεθνών πνευματικών συνεργασιών και τις σύνγχρονες διεθνή πολιτιστικές κινητοποιήσεις.Περιγράφει τα πολιτιστικά θέματα που αφορούν την Ευρωπαϊκή αρχιτεκτονική από τον βορρά ως τον νότο, την ανατολή μέχρι την δύση.

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Bunca savaş ve ülkeler arası düşmanlık duyguları uyandırmasına karşın Avrupa'nın hiç kuşku yok ki bir ortak tarihi de var. Fakat, birleşik ve bağlı bir tarihe sahip olan Avrupa kendine ait entelektüel bir alanı bir türlü oluşturamıyor, yaratamayor. Neden? Bu kadar iç içe yaşayan ve bunca ortak olay paylaşan bir kıtada nasıl olur da ortak bir entelektüel alan yaratılamaz? Bu konuda akla gelen ilk cevap hiç kuşku yok ki milliyetçilik. Kitap, eski Orta Çağın toplulukların limitlerini ve Modern Çağın oluşturduğu yeni ulus çerçevesini inceliyor. Bu inceleme, ülkeler arası anlaşmaların önemini ve kooperasyonun kaçınılmazlığını savunuyor. Avrupa inşaatının Güneyden Küzeye içerdiği kültürel hedefleri de anlatıyor.

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D’emblée, cet ouvrage déploie une polémique contre le nationalisme méthodologique qui prévaut en histoire (culturelle) de la sphère intellectuelle. Il se propose, à plusieurs voix (10), sous la direction de Gisèle Sapiro, et dans une veine particulièrement liée aux Actes de la recherche en sciences sociales (revue fondée par le sociologue Pierre Bourdieu) de construire un nouvel objet de recherche et d’analyse en élaborant un premier état des lieux et des perspectives concernant une histoire sociale de l’espace intellectuel et savant en Europe. L’ouvrage, réalisé dans le cadre du réseau ESSE, financé par le 6° programme cadre de la Communauté européenne, s’organise selon une double logique, chronologique et thématique. Sa première partie (Victor Karady, Christophe Charle, Anna Boschetti, Ingrid Gilcher-Holtey) traite des conditions historiques d’émergence d’un espace intellectuel en Europe et de ses évolutions au cours des XIX° et XX° siècles. Sa deuxième partie (Joseph Jurt, Pascale Casanova) est plus spécifiquement consacrée au champ littéraire. Sa troisième partie (Johan Heibron, Nicolas Guilhot, Yves Gingras), enfin, se concentre sur les sciences sociales et humaines.

En quoi le nationalisme méthodologique constitue-t-il un obstacle à la recherche ? En ce qu’il interdit de penser des champs de relations transnationaux, s’il aboutit cependant à des constructions internationales. Dans cette méthodologie, on part toujours d’un Etat-nation de référence (celui du chercheur ou de l’auteur), de la délimitation nationale du champ de production culturelle, et au mieux on perçoit des transferts culturels (vers les « autres » ou de la part des « autres »). En somme, cette procédure s’achève au pire dans un comparatisme plat, au mieux dans une théorie des échanges culturels, évacuant dans la plupart des cas un point essentiel : les réseaux de recherche, les inspirations réciproques, les formes de réappropriation et de réinterprétation des modèles ou des biens qui circulent selon les enjeux spécifiques de l’espace de réception.

Afin de contourner cet obstacle de la méthodologie nationale, l’ouvrage s’appuie sur des études originales, des travaux provenant de sources intellectuelles diversifiées et internationales, parfois des travaux déjà publiés, ici repris et synthétisés, et dont il convient de rappeler qu’ils ont donné lieu à des comparaisons entre les champs intellectuels en Europe, à la construction culturelle des modalités de restriction imposées par les politiques des identités nationales, et à des analyses de la « République mondiale des Lettres » pour n’évoquer que quelques travaux comme ceux de Wolf Lepenies (Les Trois cultures, Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie, 1985, Maison des sciences de l’homme, 1990) dont nous avons rendus compte sur Internet (Espacestemps.net), Christophe Charle (Les intellectuels en Europe au XIX° siècle, Paris, Seuil, 1990), Pascale Casanova (La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1999).

Ainsi en arrive-t-il à découper son objet propre : l’émergence et le statut d’un espace intellectuel européen. Encore, pour entendre la signification de ce concept, convient-il de relever trois choses : d’une part, que « culture » s’entend ici au sens de la culture lettrée/savante, culture caractérisée par le rôle central de l’écrit (on pourrait donc désormais étendre la recherche) ; d’autre part, qu’un tel espace est très différent de celui qui se dessine comme espace intellectuel international (toujours référé à des Etats-nations et pensé à partir de l’un ou de l’autre) ; enfin, que du point de vue culturel, l’Europe est caractérisée par une diversité que certains, la considérant comme un obstacle, peuvent songer à réduire en un processus unificateur et d’autres au contraire, la considérant comme un atout, cherchent à lui faire jouer un rôle moteur.

Mais ce n’est pas tout. Pour qu’un tel espace existe, encore faut-il qu’il soit approprié par des spécialistes. Or, constatent les auteurs, les « intellectuels » sont tellement liés au principe de nation qu’ils ont déserté ce champ. Ce sont donc plutôt des experts que des intellectuels qui se sont investis dans la construction européenne.

Et surtout, il importe de constituer un ensemble de références à partir desquelles penser cet espace. C’est à quoi contribuent, pour l’heure avec modestie, les « études européennes » (Craig Calhoun, « European Studies : always already there and still in formation », Comparative European Politics, n°1, 2003), et les tentatives plus ou moins autonomes de créer un imaginaire collectif pour lesquelles les auteurs nous renvoient à : Ursulla Keller et Ilma Rakusa, Writing Europe, What is European About the Literatures of Europe ?, Presses universitaires de Strasbourg, 2007, et à la collection « Faire l’Europe », lancée en 1988, autour de l’historien Jacques Le Goff (Editeurs : Laterza (Italie), Seuil (France), Beck Verlag (Allemagne), Basil Blackwell (Angleterre), Critica (Espagne).

Une dernière remarque concernant cette question : en cette matière, il est décisif de se mesurer aussi à un présupposé. Celui selon lequel le champ intellectuel européen procède de la désintégration de la communauté savante européenne qui communiquait jadis dans une même langue : le latin. Que cette communauté ait existé, durant le Moyen Âge, là n’est pas la question. Mais que la constitution des champs intellectuels nationaux, puis internationaux comme leur conséquence, procède d’une « désintégration » ou d’une « fragmentation » (le vocabulaire, en cette matière, a de l’importance), là est le problème. Avec une induction possible : que le projet européen pourrait consister en une sorte de reconstitution de ce moment historique (unifié, unitaire, unique), mais dans la (post)modernité. Or, non seulement entre le Moyen Âge et les champs nationaux postérieurs, il ne s’agit ni des mêmes objets de pensée, ni de la même division du travail intellectuel, ni des mêmes « intellectuels », en somme pas du tout du même régime de savoir, mais encore, un projet de culture européenne ne saurait consister à réimposer une seule langue commune dans l’unicité d’un objet de connaissance (Dieu ?) et d’un régime théologique de savoir - au demeurant confronté aussi à la langue arabe, pourtant écartée désormais de l’espace de pensée européen et à l’espace Ottoman dans la Méditerranée de Philippe II et la bataille de Lépante (c’est là que Cervantès perd son bras) non moins rejeté par certain Français dans sa version turque contemporaine. Au fond, le débat est de même type que celui qui mobilisa longtemps Norbert Elias et Hans Blumenberg autour de la notion de « sécularisation » (de la pensée) concernant le passage du Moyen Âge à l’âge moderne.

L’ouvrage s’ouvre par la reproduction d’une conférence prononcée par Pierre Bourdieu, le 30 octobre 1989, à l’occasion de l’inauguration du Frankreich Zentrum de l’université de Freiburg-am-Brisgau (Allemagne). Reconnaissons d’ailleurs que l’ouvrage dans son ensemble puise largement son inspiration dans la pensée de ce sociologue. L’approche développée appréhende le monde intellectuel non comme un espace désincarné mais comme un univers social formé d’agents, d’individus et d’institutions. Dans cet univers circulent des textes, en général en dehors de leur contexte de production (ce qui ne va pas sans engendrer des malentendus) et des personnes (déplacements pour des colloques, séjours de recherche). Mais ces transferts prennent place dans un espace international structuré et hiérarchisé, lié à des intérêts et des stratégies de conquêtes de visibilité, et donc simultanément soumis à des logiques politique, économique et culturelle.

Le texte de Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », décrit, à l’aide de ses concepts spécifiques, les tendances principales des échanges internationaux, et présente un programme de recherche pour une science des relations internationales en matière de culture, combiné à un souci de favoriser l’internationalisation de la vie intellectuelle. Bourdieu rappelle à juste titre que la vie intellectuelle est le lieu de nationalismes, d’impérialismes et que les intellectuels ne sont pas exempts de préjugés, parfois très élémentaires. Les échanges internationaux par conséquent sont soumis à des facteurs structuraux de plusieurs sortes. D’abord en ce que les textes circulent sans leur contexte (exemple de la lecture de Martin Heidegger en France), ensuite en ce qu’ils sont lus par des récepteurs insérés dans des champs de production intellectuelle différents, pour lesquels la lecture de textes étrangers peut avoir une liberté que n’a pas la lecture locale, et la réception est une fonction de stratégies dans le champ occupé par le lecteur : aussi les traductions, par exemple, font-elles l’objet d’opérations de sélection, de marquage, d’appropriation par le préfacier, d’une inscription dans le champ d’accueil qui applique à l’œuvre des catégories de perception qui sont le produit de champs de production différents. Et Bourdieu de montrer comment, en son temps, l’introduction de Heidegger en France fut une opération destinée à contrevenir à l’expansion de la philosophie de Jean-Paul Sartre. Ou de démontrer que la pensée de Jürgen Habermas et celle de Michel Foucault occupent des positions similaires dans une logique des champs. Ce qu’il importe de remarquer surtout dans ce texte, c’est sa manière d’approcher la question du champ intellectuel européen, à partir des nationalismes intellectuels, et par conséquent de montrer que l’élaboration d’un champ intellectuel européen ne peut avoir lieu sans que finisse par se définir, au cœur des oppositions nationales, un exercice légitime de l’activité intellectuelle européenne.

Bien sûr, dans ce dessein, il devient incontournable de dépasser les nationalismes intellectuels. Victor Karady explique alors que la formation d’un espace intellectuel européen doit aussi être pensée dans une référence à l’histoire. Il décrit l’espace intellectuel du Moyen Âge en en soulignant l’unité, la soumission au pape, les règles de fonctionnement, le mode de distribution des diplômes (valables alors dans le réseau des institutions de toute la chrétienté), … Cet espace cependant se diversifie et se nationalise à partir de la Renaissance. Ce sont désormais les Etats centralisés qui promeuvent les activités scientifiques et artistiques de leurs élites cultivées. Des infrastructures de soutien à la production intellectuelle élargissent les possibilités, et la division des disciplines et des savoirs. Un tel développement contribue à l’autonomisation progressive des activités scientifiques et culturelles. Changement de statut des savants, démographie renouvelée des intellectuels, bientôt formation d’un « groupe » dénommé « intellectuels », entraînent la constitution d’une république des lettres qui se définit par la multiplication des échanges et des collaborations entre les producteurs intellectuels. Mais la nationalisation de cette production règne. Elle s’investit dans les études et la formation d’écoles scientifiques, dans le cadre des instances nationales. Et elle accompagne la formation de systèmes de domination (nord-sud, protestants-catholiques, influence française-influence germanique, …). Mais si globalement les modèles nationaux des institutions de production des savoirs tendent à limiter les échanges et à enfermer les publics concernés dans les cadres territoriaux des Etats, de nouvelles situations se créent qui promeuvent des relations internationales mais toujours à partir de tel ou tel Etat. Karady cite à ce propos l’initiative de Le Play qui propose, le premier, une organisation à vocation internationale. Viennent ensuite celles de René Worms (Institut international de sociologie, 1893) et d’Emile Durkheim (L’Année sociologique, 1897).

Mais si cette histoire se prolonge encore sur ce modèle, c’est qu’un véritable champ intellectuel européen n’existe toujours pas. Il faut aller au terme de l’article de Christophe Charle pour voir se dégager les questions pertinentes pour une enquête comparative pouvant porter sur les intellectuels européens. Elles sont au nombre de 4 :

- Quel est le degré d’autonomie du champ intellectuel de chaque pays ?

- Quels sont les rapports de la religion et de l’Etat dans les diverses parties de l’Europe dans la mesure où les Eglises jouent (ou ont joué) un rôle dans la formation scolaire des populations et un rôle de contrôle de ce qui est licite ou non en matière d’innovation culturelle ?

- Quelle est la nature des rapports entre le champ intellectuel et le champ du pouvoir ?

- Quels sont, à l’intérieur du champ intellectuel, les rapports de domination variables entre les diverses formes d’activité intellectuelle ?

Mais, c’est sur une dernière perspective que nous allons nous arrêter. Celle de la définition d’une « littérature européenne ». Pascale Casanova reprend ici et prolonge des analyses depuis longtemps commencées. Elle cherche à appréhender cette littérature en tant que corpus et objet d’analyse (culturelle et historique). Elle rappelle d’abord que des tentatives de constitution d’une telle littérature ont vu le jour récemment. Mais elles restent le plus souvent écartelées entre un présupposé unitaire et une réalité indubitablement composite, pour ne pas dire hétérogène. À l’encontre de ces formules qui aboutissent au mieux à des Anthologies de textes provenant de chacun des pays européens – en quoi il n’y a là nulle « littérature européenne » - elle propose de partir d’une autre hypothèse. « L’un des seuls traits, écrit-elle, transhistoriques qui constitue en effet l’Europe, l’une des seules formes paradoxales d’unité tant politique que culturelle qui fasse de l’Europe un ensemble cohérent, n’est autre que celui des conflits et des concurrences qui n’ont cessé d’opposer les espaces nationaux entre eux ». À partir de cette hypothèse, « il faudrait alors postuler, à l’envers des représentations politiques ordinairement admises, que, selon la même logique, la seule histoire littéraire de l’Europe serait celle des rivalités, des luttes, des rapports de force entre les littératures nationales ». Et que, si unité il y a – et ajoute-t-elle, « elle reste à prouver » - « elle ne serait que celle qui naît de ces luttes à la fois nationales et spécifiques ». Au vrai, précise-t-elle encore, il faudrait mieux parler d’une unification littéraire en cours, plutôt que d’une unité préexistante.

Néanmoins, une condition générale nous semble faire défaut à une telle réalisation. En tout cas, pour l’heure, et pour autant que le Spectateur européen soit profondément partie prenante dans cette perspective. Celle d’une véritable revendication collective posant la nécessité de reconnaître l’existence de travaux et de préoccupations spécifiquement européens. Et une revendication qui ne postule par avance aucune unité à réaliser (antérieure, originaire ou dominante), qui témoigne d’abord des luttes et polémiques qui structurent l’Europe intellectuelle. Mais peut-être n’est-ce donc pas de la part des intellectuels (patentés, nationaux) qu’il faut attendre une telle revendication ? Peut-être n’est-ce pas non plus à partir d’arrière-pensées politisées que le projet peut se concrétiser ? N’est-ce pas d’abord en s’appuyant sur ceux qui luttent aux frontières des classifications, des écritures et des recherches que quelque chose de cette sorte peut advenir. Y compris dans ce que nous révèlent des Européens ceux qui nous regardent de l’extérieur.

20090405

Green

La ville durable, les citoyens et les experts.
Christian Ruby
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Eine Auskunft : Grünes Hamburg. Hamburg ist zur Grünen Hauptstadt Europas 2011 gekürt worden. Die Auszeichnung wurde der Hansestadt von EU-Umweltkommissar Stavros Dimas verliehen. Für 2010 wurde der Titel Stockholm zugesprochen, das die Auszeichnung damit als erste europäische Stadt überhaupt erhält. Hamburg und Stokholm setzen gegen Münster und Freiburg im Breisgau sowie Amsterdam, Kopenhagen, Oslo und Bristol durch. Dimas begründete die Auszeichnung mit den ehrgeizigen Klimaschutzzielen der Hansestadt.

Im neuen Münchner Stadtviertel « Am Ackermannbogen », eine hochwertige Dämmung espart den rund 5000 Bewohnern hohe Heizkosten. Ein teil der Siedlung besieht die Hälfte der Jährlich benötigten Wärme zudem lostenlos aus Sonnenkollektoren auf den Dächern. Der Energieüberschuss der Sommermonate wird in einem bestens isolierten Sechs-Millionen-Liter-Wassertank zwischengelagert.

Die Siedlung ist Teil eines ambitioniertent Plans. Bis zum Jahr 2030, so hat es der Stadtrat beschlossen, will die bayrische Landeshauptastadt nur noch halb so viel klimaschädliches Kohlendioxid ausstossen wie noch 1990.

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Should the question of a sustainable city solely be tackled by the experts? How best define an active European citizenship toward urban sustainability, especially one inclusive of other actors aside from these experts? In January, 2009, a seminar in Brussels proved that it was possible to gather specialists on this topic and yet circumvent the main issue, namely the definition of a European sustainable development culture.

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24 Mayıs 2007' de Leipzig Antlaşmasını imzalayan 27 Avrupa Birliği ülkesi Avrupa'nın bir şehrine ortak bir politika uygulanması açısından önemli adımlar kaydetmişti. Bir yandan bu şehir kültürel ve sosyal bütünlük açısından önemli bir merkez oluşturuken bir yandan da iklimsel ve demografik sorunlarlarla boğuşması gerkiyor. Ayrıca yeni üretim biçimleri de sosyal kohezyon ve şehrin kentsel boyutunu de tehlikeye atıyor.

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La Charte de Leipzig avait été adoptée par les 27 ministres de l’Union européenne en charge de la ville, le 24 mai 2007 à Leipzig. Ce texte constituait une étape supplémentaire dans l’élaboration d’une politique de la ville européenne. Il part d’un double constat : d’une part, la ville européenne représente un bien précieux grâce à la qualité de foyer culturel et d’intégration sociale ; d’autre part, cette même ville se trouve menacée par les évolutions démographiques et climatiques, mais aussi par les nouveaux modes de fabrication de la ville, qui ont conduit à une remise en question de la qualité urbaine et de la cohésion sociale.

L’idée phare de la Charte est que la réponse à ces nouveaux défis est la construction d’une ville durable.

La thématique commence donc à s’inscrire dans les institutions européennes. Le développement durable, combiné à l’Agenda 21 (cf. Spectateur européen n° 8), incite à des engagements de l’Union européenne. D’ailleurs, en 2010, le 6° Sommet européen des villes durables se tiendra à Dunkerque (France).

Le problème central de la ville durable, du point de vue que nous occupons, est le suivant : comment définir une citoyenneté européenne active concernant la ville durable, et surtout une citoyenneté qui ne soit pas confisquée par les experts. Un colloque à Bruxelles, en janvier 2009, a montré comment on peut se contenter de réunir des experts sur cette question afin de contourner l’essentiel, la définition d’une culture européenne susceptible d’englober une attention au durable. Lors de ce colloque, le maire de Turin (Italie), Valentino Castellani, en a appelé à « la volonté de réinventer un futur inimaginable ». Mais les solutions proposées par les uns et les autres demeurent technocratiques : plan stratégique, schémas directeurs, programmes pour les quartiers défavorisés, agenda 21 local, …

Thomas de Béthune (Région de Bruxelles-Capitale) a positionné le débat sur un autre plan, celui de l’échelle de réflexion et d’action de l’Europe. L’Europe doit-elle travailler à l’échelle des quartiers de ville, à celle des agglomérations, à celle des régions urbaines ?

Catherine Barbé (Ville de Paris, France) a expliqué la volonté de la municipalité parisienne d’associer le plus en amont possible les citoyens à l’élaboration des différents outils nécessaires : plan local, plan des départements, plan climat, …).

Ilmar Reepalu (maire de Malmö, Suède) a montré comment cette ville a construit sur des friches portuaires un quartier d’habitation devant fonctionner exclusivement avec des énergies renouvelables : panneaux solaires, cellules photovoltaïques, géothermie, ventilation sans électricité, recyclage et utilisation des déchets…

Hans Thoolen, coordinateur de la qualité urbaine de la ville de Breda (Pays-Bas) a défini la ville durable comme un état d’esprit, à tous les niveaux du territoire et dans toutes les politiques publiques.

Les villes sont évidemment des acteurs de premier plan de ces problèmes. Restent à savoir non seulement si l’Europe est capable de soutenir politiquement les efforts des villes, mais encore si des pratiques culturelles autour du développement durable sont capables de laisser les citoyennes et les citoyens eux-mêmes inventer les laboratoires d’initiatives qui permettront de donner un sens collectif, mais pas uniforme, à la construction durable.

C’est aussi ce que soutient la philosophe Chris Younès (Urbanisme, Juillet-Août 2009), lorsqu’elle explique que : « Si être moderne, c’était se libérer du contexte et produire des modèles, le défi pour l’architecture contemporaine est au contraire d’inventer des scénarios alternatifs, tenant compte à la fois des limites et des ressources propres des situations singulières, que ce soit en termes de biotopes, d’espace habités ou de sites » (p. 6).

Bibliographie provisoire (enpruntée à Thierry Paquot (Urbanisme, Mai-Juin, 2009, n° 366)) :

- Clerc Denis, Chalon Claude, Magnin Gérard, Vouillot Henri, Pour un nouvel urbanisme. La ville au cœur du développement durable, Paris, Editions Yves Michel, 2009.

- Peuportier Bruno, Eco-conception des bâtiments et des quartiers, Paris, Presse de l’Ecole des mines, 2009.

- Lefèvre Pierre, Sabard Michel, Les éco-quartiers, L’avenir de la ville durable, Paris, Apogée, 2009.

- Souami Taoufik, Ecoquartiers, secrets de fabrication, Paris, Les carnets de l’Info, 2009.

- Guide de l’Afex, Construire pour un développement durable, Paris, Afex/Ubifrance, 2009.

- Charlot-Valdieu Catherine, Outrequin Philippe, L’urbanisme durable, Concevoir un écoquartier, Paris, Le Moniteur, 2009.

- Laigle Lydie (dir.), Vers des villes durables. Les trajectoires de quatre agglomérations européennes (Barcelone, Hanovre, Copenhague, Naples), Paris, PUCA, 2009.