20140405

Editorial

Affirmation de la culture
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C’est tout à fait légitimement que nous avons du mal à supporter ceux qui aiment à se répandre en plaintes et griefs sur leur/notre époque. Et qui tiennent tous les phénomènes observables pour une évolution désastreuse attribuée unilatéralement à la prépondérance de passions et d’intérêts égoïstes. L’attitude qui consiste à incriminer en toutes choses la détresse des temps présents et à lui opposer symétriquement des fins supérieures tout aussi abstraites, ne fait pas autre chose que se mettre au service d’une réaction qui n’a d’ailleurs pas d’autre choix que de s’exiler de cette société, c’est-à-dire laisser faire ce qui se fait et qui n’est pas l’intérêt des individus mais des marchés.

Nous ne croyons pas qu’il y ait quelque chose de pourri dans le domaine de la culture, en Europe, ce qui ne signifie pas que nous n’ayons pas des interrogations relatives à notre époque. Jalal Toufic constatant, comme beaucoup, que la tradition s’est retirée pour de bon (on pourrait réviser ses expressions), en tire au moins la conclusion qu’il n’est pas de nostalgie à avoir. Au demeurant, les longues litanies de fidélité ne nous semblent pas, heureusement, épuiser les variations possibles de la succession. Certes, elles rassemblent les variations les plus en vue. Celles de ceux qui cultivent la haine de soi, de ce qu’ils peuvent faire, et qui se réfugient dans un absolu, ou dans une transcendance pourtant impossible à étayer par un modèle (le plus vieux, l’ancien, l’avant ?). Celles de ceux qui trahissent leurs auditeurs en leur faisant croire qu’il n’y a plus rien à faire. Celles de ceux qui sacralisent le patrimonial au lieu de se demander ce que l’on peut en faire. Il nous font croire que la conscience qu’une culture a d’elle-même doit être liée au sens qu’elle a de sa situation par rapport à son passé, et d’ailleurs en ne considérant qu’elle-même.

Mais ne serait-il pas bon que cette conscience corresponde plutôt à ce qu’une culture sait de sa capacité à exercer les hommes et les femmes, les spectateurs et les regardeurs, à se tenir debout en toutes circonstances, à lutter contre les assignations et à reconfigurer sans cesse leurs compétences et donc leur monde ? Autrement dit, en matière de culture, à la mise en exercice constante de la spectatrice ou du spectateur (du regardeur ou de l’activateur, comme du spectacteur), quitte à réviser sans cesse les liens avec la « mémoire » et l’héritage. D’autant que la mémoire n’est pas un réservoir du passé (c’en est le contraire) et que l’héritage est à faire et à refaire.

Dans cette autre perspective, la question est de savoir si nous pouvons nous donner une chance de ne pas nous enfermer sur nous-mêmes et le passé ( !), les classiques, si on ne veut plus non plus de la rupture. La question centrale reste celle-ci : comment provoquer dans la chaîne (toute chaîne, n’importe laquelle) un hiatus qui ne désintègrerait pas, mais propulserait ?

Nous nous permettons à ce propos de signaler à nos lecteur la sortie de notre ouvrage :



Christian Ruby, Spectateur et politique, D’une conception crépusculaire à une conception affirmative de la culture, Bruxelles, La Lettre volée, 2014 (disponible en France, à partir du 15 janvier).

20140404

ECSA


European Citizen Science-Association
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Der Idee ist nicht neu : Bevor der Beruf Wissenschaftler streng formalisiert wurde, haben es engagierte Bürger auch in der Wissenschaft weit gebracht. Besonders für die Wissenschaflten, die näher am Alltagsleben sind, bietet sich die Möglichkeit, Bürger für eigene Projekte zu begeistern.

Eine solche Association will Projekte aus ganz Europa vernetzen, und Bürgerwissenschaft an den akademischen Einrichtungen verankern. Man kann Citizen Science im Trend einer Öffnung der Wissenschaft zur Gesellschaft, einer Demokratisierung sehen : Weniger abstrakt, interaktiver und verständlicher solle sie so werden. Für die Wissenschaftler ist ein Vorteil der Citizen Science klar : Sie bekommen eine große Menge an Daten. Um die Leute zum Mitmachen zu bewegen, muss die Wissenschaft wiederum ihre Vorhaben so schildern, dass sie allgemeinverständlich sind. Zumindest ist ein Publikum für die Publikationen geschaffen und eine Erwartungshaltung an Verständlichkeit.

Welche Beispiel für sogenannte Citizen Science oder Bürgerwissenschaft ? Verlust der Nacht, das Tagfalter-Monitoring, in Deutschland ; und in andere Länder.

Das bedeutet : Jeder Bürger kann sich an der Wissenschaft beteiligen. Oft geht es dabei um das Datensammeln. Die Beteiligung kann aber auch andere Formen annehmen : Bürger bringen Erfahrung oder privates Expertentum ein, tüfteln online an Problemstellungen oder stellen die Rechenleistungen ihrer Computer zur Verfügung.

Darüber hinaus enthält Citizen Science aber auch einen Imperativ für die Wissenzchaft selbst : Sie soll sich öffnen, Platz machen für Laien und den Dialog mit der Gesellzchaft suchen.

Gerade ist die Begeisterung für Citizen Science groß, was auch mit den Möglichkeiten der digitalen Technologien zusammenhängt.






Aus der FAZ.

20140403

Atypique


Réflexion sur l'assignation à l'atypique
Ou l'art au risque de nouveaux "sauvages" : les prisonniers !
Christian Ruby* .
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Contribution orale à un débat de sociologie de la culture, le 3 novembre 2014. Mais cette contribution a subi un changement de forme, passant de l’expression orale à l’expression écrite, afin de s’ouvrir à un nouveau public.

La question posée : Comment aborder les publics atypiques ?

“Atypique”, ce terme faussement sociologique employé désormais dans le cadre des réflexions sur le public des arts et de la culture, est très certainement un adjectif destiné à produire ou témoigner d'un contraste, lequel se donne à lire plus clairement dans le choc entre public "compétent", "courant" et "improbable". Ce qui peut encore se traduire par la hiérarchie, fréquemment en usage, entre public connaisseur, grand public et public "atypique". Il en va ainsi de ces catégories de classement de l'administration esthétique - y compris de l'ancienne catégorie de "non-public" (Francis Jeanson/Jean Vilar) - , lesquelles ne concernent pas l'appropriation privée mais publique des oeuvres d'art et de culture. Ce qui peut nous intéresser ou nous inquiéter dans son usage, c'est la politique des arts et de la culture que cet adjectif veut ou permet d'imposer, dans une perspective démocratique. Autrement dit, la politique d'un public assigné et sa manière de rencontrer ou non des trajectoires sociales spécifiques.

En effet, la tension habitant le dispositif culturelo-politique qui découle de cet usage, au sein duquel opère un déploiement de pensées et d'actions de médiation, notamment dans les prisons, les hôpitaux,..., voudrait légitimer une volonté de dépasser tant l'enfermement du public cultivé dans ses rituels que les jouissances rapides du grand public, en proposant d'accéder à d'autres publics, cependant définis le plus souvent par les lieux dans lesquels ils se trouvent captifs (prisons, hôpitaux, écoles,...). Ce qui évidemment pose deux problèmes. Le premier renvoie à un paradoxe : alors que le public (en soi) n'existe pas, dans ces lieux existe bien un quasi-public aisément rassemblable, plus ou moins sur ordre ; le second à un déplacement : le caractère "atypique" du lieu de référence étant reporté sur tel quasi-public. En définitive, il s'agit donc moins de penser un public "atypique" que de penser un public captif dans un lieu "atypique" - et pas le lieu seul, largement exploité par le cinéma ou la photographie, ou aménagé depuis peu pour des expositions - La disparition des lucioles, Avignon 2014, prison Sainte-Anne ; Ernest-Pignon-Ernest et Georges Rousse, Lyon, prison Saint-Paul ; Thomas Boivin, André Castagnini, Jean-Michel Pancin,... -, une fois ce public transféré, en général dans des lieux plus sains et mieux aménagés selon les critères en vigueur -, "atypique" donc, par rapport aux habituels "hauts lieux" de l'art, sans qu'on ose d'ailleurs parler de "bas lieux" de l'art.

Néanmoins, même si on est en droit d'interroger les formulations de cette pensée de l'art et de la culture en acte dans les catégories employées par certains sociologues, on ne peut ni négliger, ni mépriser l'incontestable énergie qui se dégage de ce type d'approche de l'"atypique" chez les médiateurs des arts et de la culture, par conséquent des lieux et des publics auprès desquels les règles et les contraintes esthétiques sont affaiblies, par fait de leur situation institutionnelle, en premier lieu. Et, on peut d'autant moins écarter d'un revers de la main certaines volontés de mettre en place de tels projets d'investissement, que des formes alternatives aux normes dominantes de l'action culturelle peuvent éventuellement en émerger.

Terra incognita


L'attribution de l'adjectif "atypique" est loin d'être aussi évidente que son usage courant le laisse entendre. Si c'est le public qui est "atypique", il ne peut l'être que par rapport aux réactions habituellement attendues du public vis-à-vis des oeuvres d'art et de culture. Si ce sont les lieux qui sont "atypiques", c'est parce qu'ils n'appartiendraient pas au catalogue officiel des lieux fréquentés par les gens de l’art et de la culture. Si c'est le public du fait des lieux, on a du mal à en comprendre les raisons, puisque ces derniers ne sont pas destinés à l'art et à la culture, même s'ils enveloppent de l'art et de la culture. Si ce sont les lieux, du fait du public, nous nous trouvons devant la guerre sociale. En un mot, qu'est-ce qui est "atypique" : la structure entravante ou le captif ?

Bien sûr, lorsque le problème des arts est posé en termes de "public", la sphère des arts et de la culture rencontre bien la quête infinie de l'adresse de l'art et de la culture, telle qu'elle est établie dans la modernité. Mais, dès qu'il est soumis à un séquençage du public, et pensé quantitativement par "groupes cibles", on est en droit de se demander quelle politique (de consommation, ce qui n'exclut pas l'idéologie) il sous-tend, qui ne peut plus être la seule politique intrinsèque de l'oeuvre (l'adresse indéterminée à tous).

Certes, déjà, les grandes institutions culturelles s'inquiètent d'intégrer de plus en plus de publics et le public, dans des activités de plus en plus variées, et dans des séquences temporelles de plus en plus vastes (le matin, l'après-midi, le soir, la nuit, toute la nuit, quelques heures, une heure fugitive,...). Le séquençage du public vient à leur secours. Il est clair qu'il sous-tend le double présupposé, de la préoccupation de ne laisser échapper personne à leur influence en les condamnant à enregistrer sans cesse ce qui ne cesse de fuir leur pouvoir ; et celui d'une analyse de ceux qui sont encore à conquérir en termes de dégradation ou de perte au fur et à mesure de la glissade sur l'échelle de leurs catégories. Aussi, le public "atypique" serait-il logé du côté d'une perte par rapport à laquelle il faudrait comprendre son énigmatique jouissance cependant possible.

De toute manière, le public n'existe pas. Il n'y a ni public en soi, ni grand public autrement que par application des critères de la sociologie de masse à l'art et à la culture, ni public "atypique" en soi. Le public est toujours à faire. Et il ne se "fait" qu'au droit des oeuvres. Ce n'est qu'à partir de ce moment que l'on peut saisir quelque chose que l'on peut appeler public, notamment à partir de ses réactions de corps alors instituées soit par ses commentaire, soit par ses applaudissements, soit par ses cris et réactions, qui n'ont d'ailleurs pas la même signification en chacun des membres de la composition momentanée. Et il devrait exister, en effet, un pan d'études nécessaire portant sur les dynamiques du public (du groupe) : rumeurs, horizons d'attente, rassemblements, entraînement,... le public ayant éventuellement des réactions de foule.

Le public se forge donc, par spectateurs interposés et dans des différences, pour employer brièvement cet autre substantif. Et les spectateurs, eux aussi, se fabriquent. Carlos Ginzburg, dans une performance répétée plusieurs fois entre 1974 et 2010, intitulée Qu'est-ce que l'art ? Prostitution, souligne, fort classiquement, que l'art se donne à tout le monde. En citant ainsi Charles Baudelaire, par un extrait de Fusées, il insiste sur le fait que l'exploit de l'oeuvre est de nous transformer de passants en spectateurs, puis en public. Dans le public, le spectateur, toujours différent par son éducation, sa formation, sa classe, participe à un événement transindividuel, qu'il ne fait d'ailleurs que traverser, puisqu'il est débordé en public momentané, en société fortuite, écrivait de son côté Honoré de Balzac. Marcela Iacub, dans un article d'Art Press (n°375, Février 2010, p. 54-57), commente cette performance de Ginzburg ainsi : "Mais qu'est-ce que le public ? Comment est-il constitué ? Par le premier venu, n'importe qui. Celui qui entre dans une exposition est un public."

Dès lors, la question du public "atypique", au risque du bon sauvage, ne surgit-elle pas plutôt quand l'action culturelle ressent les limites du cercle "naturel" entre les arts et le public expert ? Dans tous les cas, il est possible de voir dans la question de l'"atypique" quelque chose de presque mélancolique, une sorte de volonté de ne pas capituler devant l'impératif de "conquérir du public", mais sans trop savoir où le trouver. Une façon de laisser tomber le public des connaisseurs, pour s'aventurer sur une terra incognita ?

"Sous-culture" ?


La séparation de quelques-uns du corps social actif, par l'enfermement dans une prison (un hôpital,…), forge-t-elle un milieu homogène ? Restons-en à la prison. Aucune analyse des prisons ne le montre, et il ne semble pas que le crime soit réservé aux uns ou aux autres. Le problème à résoudre réside surtout dans deux autres faits. À savoir que les représentations du public conditionnent les actions et que, dans les représentations du "public" des prisons, certains incluent essentiellement l'image d'un public d'incultes. Comme en une assignation nouvelle, les mots déclinent, en vérité, le "public" dont on pense avoir besoin afin de rendre compte de ses projets. L'assignation à l'"atypique", via l'inculte et la "sous culture" est aussi caractéristique que l'assignation ancienne au sauvage, concernant moins, comme on le sait, des populations typiques que des représentations des populations en fonction de l'action à conduire. Pensons moins au sauvage (bon ou mauvais) du XVIII° siècle, qu'aux sauvages de Balzac, de Paul Féval ou de Guy de Maupassant.

Sachant que les catégories culturelles sont des formes structurantes d'un espace d'action, on conviendra de la pertinence de ces interrogations, la bonne volonté artistique et culturelle ne suffisant pas à légitimer une action de médiation. L'assignation à la "sous culture" n'a d'ailleurs pas attendu les Cultural Studies pour être contestée. Elle ne peut fonctionner qu'en rapport avec une norme de référence (pour être "sous"), et en l'absence de compréhension des oppressions sociales et politiques. Nul n'ignore que la mise en exergue artistique des fresques carcérales et autres graffitis de prisonniers est ambigüe à ce titre. Ce qui constitue d'abord un défi à l'ordre symbolique de la prison est transformé en icône (de la rédemption, du ralliement à la culture) afin de mettre en scène un milieu "atypique", sans jamais en étudier la provenance, le style, et les vecteurs de distinction qu'il enveloppe. Alors qu'il conviendrait d'y reconnaître d'abord des formations acquises avant l'entrée dans la prison, des éducations différentielles, des rapports construits aux arts vus et fréquentés. Le reconnaître, ce serait alors mettre en valeur des pratiques de prisonniers, leur auto-mutation de consommateur (d'art) en acteur, et l'impossibilité de les réduire mécaniquement à un groupe homogène pris dans ses contraintes sociales, pourtant non totalisables.

L'artiste Mohamed Bourouissa, par exemple, nous reconduit vers le fond du problème : ou bien on définit une action POUR un "public" et, non seulement il est soumis à la représentation qu'on lui attribue, mais en plus, il demeure le simple corrélat de l'action ; ou bien on définit une action AVEC des personnes, et alors d'autres processus entrent en jeu. L'artiste, en effet, dans sa vidéo couleur et sonore, Temps mort, 2009, sans céder à aucune séduction technicienne, propose au spectateur de visualiser un dispositif de deux séquences, l'une d'un individu attablé, l'autre d'une conversation texto. Il s'agit d'un échange de vidéos réalisé via des téléphones portables, entre JC, enfermé dans un établissement pénitencier, et l'artiste qui initie la relation. Envoi de recharges, instructions et vidéos de l'extérieur contre les moments d'une vie de détenu raptés à l'établissement. A partir d'une telle relation illégale, le quotidien carcéral apparait sur l'écran. Grâce à JC, le prisonnier, l'artiste construit alors un parallèle entre deux univers, mettant en jeu les tensions propres à celui de la prison, une situation proprement violente, reflétée par l'ordinaire d'un lavabo, d'une plante verte ou d'une assiette résonnant autrement, en fonction du lieu de référence (la prison ou l'extérieur). Ce n'est pas tant JC qui est alors "atypique", d'autant que la situation de partage se constitue rapidement, que le lieu de privation de libertés.

Ce qui caractérise JC, c'est le désir d'art et de culture, au travers d'un moyen technique spécifique (et interdit). Et ce désir, il n'est pas conçu par la prison, mais par et dans la trajectoire de JC. Ce qui caractérise alors la proposition artistique de Mohamed Bourouissa, c'est qu'elle rend possible une émancipation de JC. ll n'est plus temps de chercher à "aller au peuple" !

La charge de l'art


Si, dans un premier temps, il fallait bien mettre au jour une incompréhension - et des auteurs comme Jean Genet nous rappellent que l'enfermement suscite toujours un double rapport falsifié à la réalité (celui de l'enfermé et celui de l'enfermant, nous, citoyennes et citoyens, puisque c'est en notre nom qu'il se réalise) -, cela ne donne aucune raison de renoncer à la charge de l'art. En revanche, il convient de lui conférer d'autres raisons. Et notamment, celles qui répondent à la question suivante : que peut le corps contraint et enfermé ? Sans doute s'exercer autrement !

Des formes alternatives aux normes dominantes de l'action culturelle peuvent-elles donc émerger, dans les conditions ici décrites ? Eventuellement, c'est-à-dire en changeant d'abord la conception de la culture dont on se réclame, ainsi que le regard sur la prison. Tant que les arts et la culture seront pris dans une conception de l'élévation de l'âme ou du divertissement, de la transmission ou de l'échappatoire, les raisons d'introduire des pratiques artistiques et culturelles dans les prisons demeureront inadéquates, parce qu'elles se contenteront, au final, d'expliquer au prisonnier qu'il doit rester un prisonnier. Il convient d'apprendre désormais à penser la culture en termes d'émancipation et de subjectivation, donc d'exercice de soi. Un peu comme le tente Philippe Bazin, dans sa série Détenus (2004), travaillant à la lisière de l'humanité normée, mais en la confrontant à l'extérieur de la prison (photographies des visages et vidéos des lieux extérieurs).

L’attention portée ici à cette notion d'exercice de soi renvoie au grec que traduit « exercice », à savoir « ascèse » (ascein, en grec), c’est-à-dire une pratique, un genre de vie culturelle et philosophique dans lequel on assouplit constamment son esprit en le façonnant par le travail sur soi résultant de la confrontation aux autres. Quel que soit le talent qu’on y met, la culture n’est rien si elle n’est pas un « se cultiver », un entretien de soi (et non de son « moi ») et un développement de soi, grâce auquel s’opère une modification de soi, de sa manière de se soumettre à des assignations, ou une transformation dans le sujet qui pratique cet exercice, de telle sorte que l'autre y occupe une fonction positive, et oriente la personne vers la solidarité et la prise d'initiative collective.

Penser la culture ou le « se cultiver », à partir de la notion d’exercice, contribue à éviter de confondre la culture avec des objets ou des normes, ou encore des formations hiérarchisantes (obligeant à penser les effets qu'il faut déployer pour parvenir à cultiver les "incultes"), et à la reconduire à des dynamiques et des trajectoires au sein desquelles des obstacles et des résistances sont à surmonter, des perspectives sont sans cesse à redéfinir, évitant de penser que la culture est donnée une fois pour toutes. Faire que la subjectivation se réalise, qu'elle résiste au point où les dispositifs se saisissent de la personne et la mettent en assignation. "Là où réside la rage, l'art n'est pas loin", proclame Günter Brus, l'activiste viennois.

Sans doute toutes ces interrogations biaisées sur l’atypique résultent-elles d’une certaine manière de traiter les arts et la culture en forme de divertissement. Mais, il n’y a pas d’art ou de culture dans la prison sans un décalage entre l’art et la prison, sans une suspension par les prisonniers mêmes du rapport au quotidien de la prison et à l’idée de prison.


D'une niche à conquérir à un écart à produire


Une telle réflexion n'est sans doute pas de grande portée. Elle a toutefois permis d'établir que "atypique" est la métaphore d'un certain discours portant sur l'ordre social et culturel. Et surtout de souligner l’idée selon laquelle, à propos des lieux d’enfermement, il vaudrait mieux penser en termes de possible et de dicible ce qui est renvoyé sans cesse à l’impossible et à l’indicible. En effet, la prison, pour prolonger notre référence, est bien d'abord un lieu de savoir refoulé, un lieu de culture suspendue et d’art hétéronome, si on veut bien ne pas s’intéresser seulement au savoir savant, à la culture cultivée et à l’art institutionnalisé qui recherche des niches à conquérir.



* Christian Ruby, Philosophie, Docteur en philosophie, Formateur de médiateurs. Dernier ouvrage paru : Spectateur et politique, D’une conception crépusculaire à une conception affirmative de la culture ?, Bruxelles, La Lettre volée, Janvier 2015.

20140402

Projet


Réflexion future sur Autorité, Domination et Pouvoir.
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Nous signalons ici un projet de rechercher portant sur Autorité, Domination et Pouvoir, conduit par Stanislas d’Ornano, Lille.


I. L’Autorité en démocratie

1. Jean-Claude Monod (philosophe, politiste): figures de l’autorité politique en démocratie représentative

La figure du chef charismatique, par ce que gouvernés et gouvernants sont désormais égaux, mais aussi parce que le charisme permet de sélectionner efficacement les dirigeants politiques et de contrôler les processus impersonnels que sont la bureaucratie et le marché, est la réponse donnée par Max Weber à la thèse rousseauiste de l’impossibilité d’un chef en démocratie. Dès lors, comment évaluer aujourd’hui le « charisme progressiste de chefs » capables de bouleverser des structures économiques et sociales tendanciellement oligarchiques et conservatrices ?



2. Katia Genel (philosophe, politiste): Les critiques de l’autorité en démocratie

L’ambiguïté du rapport de l’autorité à la contrainte a pu être appréhendée très différemment, orientant les perspectives critiques. À côté d’une l’approche irénique du pouvoir, qui dissocie chez H. Arendt l’autorité de la domination, Freud, Max Weber, les auteurs de l’École de Francfort, P. Bourdieu, la tradition politique qui de Montaigne à Derrida reconnaît l’existence d’une violence créatrice transformée en droit, ouvrent des voies multiples permettant de penser le rapport entre autorité et violence en démocratie.



II. Penser les articulations entre autorité et pouvoir

3. Michaël Foessel (philosophe): L’autorité des normes. Regards croisés entre la philosophie politique et les sciences sociales

La question centrale des normes révèle un conflit entre la philosophie politique et la sociologie à propos de leur origine et de la question du pouvoir. Postuler l’autonomie du politique conduit à considérer la loi comme fondement des normes ; poser le primat des relations sociales légitime une pure description de ses régularités. Cependant, d’une part, la sociologie dans ses différents ancrages (domination, neutralité axiologique, extériorité du fait social) révélerait aux acteurs ce qui sinon serait subi sans être compris : la dimension politique des phénomènes sociaux. D’autre part, un double mouvement venant du « terrain » dans les démocraties libérales, la politisation du social (ex. les inégalités économiques comme enjeu central, comme le montre l’engouement actuel pour les travaux de Th. Piketty) et la socialisation du politique (désirs de reconnaissance) rend nécessaire un croisement des regards disciplinaires.



4. Christian Ruby (philosophe): L’autorité et le pouvoir de l¹art sur le spectateur

Nombre d¹artistes contemporains adoptent des stratégies d¹évitement des rapports d¹autorité et de pouvoir à l¹intérieur de leur champ de référence : qu¹elles passent par la critique des institutions culturelles ou par l¹ironie à l¹égard des curateurs, ou encore par la suspension de l¹aura de l¹oeuvre, ces stratégies sont visibles. Mais il est une autorité et un pouvoir, il faudra par ailleurs les distinguer, qui sont peu soumis à analyse, ce sont ceux qui portent sur le spectateur. Comment l’oeuvre fabrique-t-elle un type de spectateur et comment celui-ci résiste-t-il à ce que l’oeuvre veut faire de lui ?





5. Yves Cohen (historien): L’oubli du pouvoir : le rôle joué par le concept d’autorité dans les sciences sociales

Le concept d’autorité, au cœur des catégories savantes mises en œuvre par les sciences sociales traduit une histoire de la rationalisation centrée sur la fonction et la bureaucratie impersonnelle, un primat de l’organisation sur l’individu, identifiables aussi bien chez Weber (dans une optique libérale) que chez Durkheim, Merton, Talcott Parsons. Or l’usage du concept wébérien/ arendtien d’autorité qui présuppose l’acquiescement des individus ne rend pas justice des résistances au pouvoir- analysées surtout depuis les travaux de Michel Foucault et Pierre Clastres- et de l’épaisseur historique du « besoin de chef », contemporain dans les années 1920 de la naissance du sujet psychologique.



6. Anne Querrien : Le pouvoir : résistance, refus, subjectivation.





III. La nature de la domination

7. Yves Sintomer (politiste): La domination chez Max Weber. Paradigme et lectures

La publication en langue française d’une édition complète des textes wébériens consacrés à la domination est un événement considérable. D’un côté, le modèle wébérien distingue le pouvoir en général (dispositif horizontal d’organisation et de gestion), la domination en général comme cas particulier de celui-ci et associée au devoir d’obéissance à une autorité, et son degré d’effectivité qui passe par la « discipline ». Mais par ailleurs, il réarticule ces éléments à travers une célèbre typologie des dominations légitimes. Ce modèle devenu paradigme en sciences humaines et sociales est cependant susceptible de lectures divergentes. Ainsi, la libre acceptation de la domination est-elle recouverte par la « cage de fer » que constitue l’orientation des raisonnements utilitaristes de la part des acteurs en régime capitaliste ?



8. Charlotte Nordmann (philosophe) : L’impuissance du dominé ?

Si le modèle wébérien présuppose l’acceptation de la domination légitime par les dominés dans le cadre d’un système de croyances, des penseurs critiques comme Pierre Bourdieu et Jacques Rancière ont cherché à ouvrir la boite noire de cette acceptation qui apparaît comme « naturelle », en considérant que comprendre le phénomène de la dépossession est une condition pour que tous puissent développer la possibilité de parler et faire de la politique. Cette première analyse comparée (2006) de ces deux approches en partie contradictoires de l’émancipation (postulat d’égalité VS déterminismes sociaux), peut être élargie aujourd’hui à un panorama plus large, incluant notamment des prolongements actuels de l’analyse foucaldienne d’une biopolitique du pouvoir.



IV. La domination est-elle résistible ?


9. Yann Moullier-Boutang (économiste): Le capitalisme cognitif est-il résistible ?

Ce troisième capitalisme, à la fois cognitif et patrimonial, créé de la valeur à travers la production de connaissances par les réseaux numériques fonctionnant comme un cerveau vivant collectif. Il se défend très bien face au monde numérique coopératif en judiciarisant le processus de démarchandisation (ex ; lois Hadopi). La communauté des citoyens en réseaux peut-elle résister à cette nouvelle forme de domination ?



10. Gilles Lipovetsky (philosophe et sociologue): Le « capitalisme artiste » n’est pas anti-démocratique

Selon le « Dilemme de Rodrick » connu des économistes, on ne peut avoir en même temps une « hypermondialisation » correspondant à une intégration toujours plus poussée des économies nationales et la démocratie, car la nécessité exclusive d’attirer capitaux et épargne se fait au détriment de la préférence démocratique pour un État-Providence stabilisateur. À l’opposé de ce constat, le « capitalisme artiste » ne détruit pas l’ordre symbolique mais en invente un autre, la victoire historique affirmée de l’Occident n’étant pas celle d ‘un contenu culturel, mais plutôt d’une forme sociale, caractérisée par la rationalité techno-scientifique, le calcul économique et les droits individuels, dont la valeur s’impose partout, y compris dans les zones et mouvements d’affirmation identitaire. Dès lors, l’esthétisation du monde et du consommateur ne prolétariserait pas celui-ci, développerait les libertés plus que l’aliénation.



11. Stanislas d’Ornano (docteur en sciences politiques): Un double obstacle à la domination absolue

Si l’on pose de façon générale que la domination conceptualise la manière dont le devoir d’obéissance et le pouvoir de commander sont combinés dans les situations concrètes d’interactions, compte tenu des ressorts qui rendent l’autorité effective, elle apparaît non-résistible et unilatérale dans l’acception marxiste, résistible mais univoque dans la version wébérienne de la «cage de fer » de l’utilitarisme, résistible sous hypothèse de liberté de l’acteur et de l’indétermination du lien social dans la sociologie des formes sociales de G. Simmel. Si l’on suit cette troisième voie, on peut mettre en relief deux obstacles à la situation de domination absolue : l’existence d’une rhétorique d’adhésion à l’État de droit des dominants et de stratégies de résistances des dominés, y compris dans des situations extrêmes.



12. Marcel Dorigny (historien) : La victoire des esclaves face à la domination coloniale (1793-1804)

La traduction récente en français de l’important ouvrage de l’historienne américaine Carolyn Fick Haïti. Naissance d’une nation, est l’occasion de revenir sur le rôle central joué par les esclaves dans le processus révolutionnaire qui a conduit à l’abolition de l’esclavage en 1793, et à l’instauration de la première république noire de l’histoire en 1804, à la fois en phase et malgré L’Europe des Lumières.

20140401

Informations


1 – Sur l’art et l’Europe :



Les transferts artistiques dans l'Europe gothique. Repenser la circulation des artistes, des œuvres, des thèmes et des savoir-faire (XIIe - XVIe siècles)
Jean-Marie Guillouët, Jacques Dubois, Benoît Van den Bossche, Annamaria Ersek
Collectif

DATE DE PARUTION : 28/05/14 EDITEUR : Picard ISBN : 978-2-7084-0972-9 EAN : 9782708409729 PRÉSENTATION : Broché NB. DE PAGES : 367 p.


Entre le XIIe et le XVIe siècle, la mobilité des artistes et des oeuvres prend une ampleur et une importance inégalées. Les questions posées par ces multiples circulations appelaient une synthèse qui vise à dépasser le simple repérage des parcours des oeuvres et des hommes pour en examiner les causes et les conséquences sur la production artistique à l'échelle européenne. Quelles significations pouvaient être attachées au recours à des artistes étrangers ? Quelles raisons et conjonctures politiques ou culturelles conduisaient à de tels choix ? À quelles contraintes statutaires, techniques, fiscales ces artistes étaient-ils soumis ? Avec quelles conséquences sur leurs productions ? Quelle était la place assignée à leurs oeuvres dans leur pays de réception et quel en fut l'impact sur leur contrée d'origine ? La diffusion, à l'époque gothique, des techniques, des formes ou encore des thèmes permet ainsi de repenser cette vaste question dans son ensemble pour définir la place de l'artiste étranger dans les évolutions artistiques de l'Occident médiéval.
À ce jour, aucun projet de publication similaire en histoire de l'art n'a été mené avec une telle ambition géographique. À travers de nombreux exemples, cet ouvrage dévoile la genèse de la culture artistique européenne.





2 – Sur les prisons :



Prisoners are often forgotten, mistreated members of society. But there are some advocates in the business of preserving a few human dignities for inmates, including access to the arts.

A couple weeks ago I shared a CityBeat story on the reintroduction of the Arts-in-Corrections program in California prisons, which happened shortly after a cover story on the program was published in the weekly. As CityBeat highlighted, this programming leads to reduced disciplinary actions, increased self-esteem and self-respect, improved emotional control and a significantly reduced rate of recidivism. So it was seen as a huge win when arts programs were brought back.

KPBS’ Midday Edition welcomed three guests to the show to discuss the reintroduction of creative instruction provided by seven arts groups in California prisons. Laura Pecenco of Project PAINT, David Beck Brown, former arts facilitator at Donovan Correctional Facility and Donovan’s community resources manager Robert Brown stopped in to talk about these programs and benefits for prisoners both behind bars and after release. Some great, insightful points are made in the interview. Plus, cold hard facts. Can’t argue with those.

You’re reading the Culture Report, http://voiceofsandiego.org/Voice of San Diego’s weekly collection of the region’s cultural news.