20160105

Editorial

Christian Ruby
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Will man mündigen Bürger ? Nein, Politiker und Wirtschaft wollen Bürger, die sich unterordnen. Sie wollent keine Menschen haben, die eine eigene Meinung haben. Sie wollen Bürger die genau das machen, was sie sagen. 

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Ce n’est plus seulement l’ordre du marché et sa cohorte de médiocrités, notamment en matière d’ouvrages publics, qui nous gouverne. C’est aussi la désymbolisation des figures de l’Etat républicain classique conduite par nos représentants. Mais, de ces deux ordres de choses, on voit bien ce que beaucoup en pensent, comment on peut s’en servir contradictoirement ou, du moins, on voit bien que l’on peut encore en discuter publiquement, voire entreprendre de nouvelles orientations. Alors que, à l’égard des faits culturels, c’est désormais une rhétorique de l’interdit qui prend place dans les médias et dans l’espace public. Une rhétorique réactionnaire, réactive et radicale, visant l’annulation de tout débat portant sur les idées et les œuvres d’art ! Et de celle-là, il est plus difficile d’en discuter.

Cette rhétorique, audible dans les propos des nombreux commentateurs qui nous offrent leurs pensées comme des vérités premières dont on ne discute pas (les versions orales, à la radio, sont toujours sans appel), veut interdire, et tout interdire de ce qui n’est pas « correct », « moral », « éthique », « normal », « voué à la célébration de l’identité » et du continu. Elle sanctionne et partage avec force des normes du sensible, enfermant chacun, si possible, dans la mêmeté grâce à une logistique du contrôle et du pouvoir. Fascinée par les enfermements dans des frontières, elle incite à la haine, à la destruction et à l’agression. Et surtout, elle se réclame de « ceux qui ne parlent pas », elle prétend « dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ». Elle veut incarner « les gens ordinaires », alors qu’elle assène des discours clos sur eux-mêmes.

Regardons de près ce qui nous guette en elle.

D’abord, une série de replis : identitaires, xénophobes, racistes, patrimoniaux. D’une manière ou d’une autre, cette rhétorique se déploie sur le fond d’une requête : que des frontières soient à nouveau fixées, là où, à ce qu’il semble (et il faut y insister), lesdites frontières auraient disparu. Au passage, toute la question des migrations est ainsi prise dans un étau, elle n’est plus que fantasme identitaire, et ne se penche jamais sur la réalité.

Ensuite, une série de confusions : qui se laissera prendre à la réduction des mille voix de nos compatriotes à l’expression, par ailleurs méprisante, « les gens » (« pensent tout bas ! ») ? Qui croira longtemps que l’on puisse s’autoriser « des gens » pour dire ce que l’on pense en le couvrant du nom « des autres » ?

Enfin, une série d’attitudes : interdire sans inviter à discuter, interdire sans regard sur les autres, interdire sans interroger, sans voir, sans avoir vu, sans connaître, pourvu que cela remette « de l’ordre » (dans « nos » valeurs, dans « nos » goûts, dans « nos » regards), interdire au prix du vandalisme et de la perte irréversible, …

Bien sûr, le coup de grâce est ainsi donné à toute culture de la discussion, à tout dialogue, au hasard de la rencontre et de l’immersion, à la possibilité de ce qui diffère, s’écarte et au besoin transgresse. Mais plus largement, le droit de cité est refusé à tout ce qui, à un titre ou un autre, pourrait déplaire à ceux qui usent de cette rhétorique. Il n’y aurait donc nulle histoire encore à entreprendre, aucun partage à défaire, et aucun lien à construire avec celui qui pense, vit, parle, différemment ! Quant aux « gens ordinaires » à la place desquels il conviendrait de parler, de qui s’agit-il, en général, sinon de ceux qui se trouvent dévalorisés à leurs propres yeux par la situation actuelle et qui nourrissent leurs ressentiments d’une parole empruntée ? Et quand on a parlé à leur place, quel problème est donc résolu ?

Paradoxe cependant, nous pouvons encore nous servir des institutions démocratiques et républicaines pour combattre cette rhétorique dans certains de ses errements ! Notamment en rappelant, provisoirement, la différence entre la fiction et la réalité, lorsqu’il s’agit des œuvres d’art. Mais ce n’est pas toujours le cas.