20170404

Les suppliants

Les suppliants (Grensgeval, Borderline), 
Paris, L’Arche, 2016 

Elfriede Jelinek
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Sur le thème de Les Suppliantes, d’Euripide, 123 av. notre ère (représentées probablement en 423). Les mères des guerriers argiens morts à Thèbes aux côtés de Polynice, à qui les Thébains refusent de donner une sépulture, viennent en suppliantes, à Eleusis, avec Adraste, demander l'aide de Thésée. Le roi mène une expédition contre Thèbes et l'emporte. On ramène les corps des sept chefs. Evadné se jette dans le bûcher de Capanée, son époux. Les urnes sont apportées aux mères ; Athéna annonce l'avenir et scelle l'alliance des Argiens et d'Athènes. Un thème d'actualité après la défaite de Délion (424).

Cf. http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Euripide/173198#Bz4lMHZJyTyjzfo7.99

Repris par Jelinek : le thème est traité ici au masculin pluriel, il concerne donc tout le monde. Les suppliants sont : hommes, femmes et enfants... 

Dans ce texte écrit en 2013, en réaction aux agissements des autorités viennoises vis-à-vis des demandeurs d'asile, s'élève la voix de l'Étranger - une voix chorale. Cette langue, se gonflant telle une vague de récits aussi bien mythologiques que bibliques, de discours administratifs ou politiques, prend la forme d'une discordante et magistrale prière. Sous-tendue par des expressions idiomatiques ou proverbiales, des textes de philosophie classique et des vers d'Eschyle, Rilke ou Hölderlin, elle accomplit l'accueil de l'étranger. 

Extraits de ces voix de l’Étranger

« Vivants. Vivants. C’est le principal, nous sommes vivants, et ce n’est pas beaucoup plus qu’être en vie après avoir quitté la sainte patrie. Pas un regard clément ne daigne se tourner vers notre procession, mais nous dédaigner, ça ils le font. Nous avons fui, non pas bannis par notre peuple, mais bannis par tous ça et là. Tout ce qui est à savoir sur notre vie s’en est allé, étouffé sous une couche d’apparences, plus rien ne fait l’objet de connaissance, il n’y a plus rien du tout. Il n’est plus nécessaire non plus de s’emparer d’idées. Nous essayons de lire des lois étrangères. On ne nous dit rien, nous ne sommes au courant de rien, nous sommes convoqués puis laissés en plan, nous sommes tenus d’apparaître ici, puis là-bas, mais en quel pays, plus accueillant que celui-ci, et nous n’en connaissons point, en quel pays pouvons nous mettre les pieds ? Aucun. Nous avons mis les pieds dans le plat. Nous avons été refoulés. Nous nous allongeons sur le sol froid de l’église. Nous nous relevons. Ne mangeons rien. Nous devrions pourtant recommencer à manger, à boire du moins. Nous avons ici une ramée pour la paix, les rameaux d’un palmier à huile, non, d’un olivier , nous les lui avons arrachés, oui, et puis ceci aussi, tout recouvert d’inscriptions ; nous n’avons que ça, à qui pouvons-nous la remettre, cette pile, nous avons noirci deux tonnes de papier, bien sûr qu’on nous a aidés, nous le brandissons d’un air suppliant, ce papier, non, des papiers nous n’en avons pas , juste du papier, à qui pouvons-nous le remettre ? à vous ? » 

« Peu importe, vous nous considérez comme des êtres odieux, nous le voyons bien, c’est évident. » « Fléau d’étrangers ! C’est ainsi que vous nous appelez et vous allez piocher dans les moyens expiatoires du pays, alors qu’aucun péché n’y a eu lieu et que le pays n’a plus aucun moyen. » 

« De par nos voix, nous aimerions apporter notre contribution au bien commun de ce pays, nous aimerions de manière générale apporter quelque chose à ce pays qui se sent à son aise en lui-même... » « Ce n’est pas grave, ce n’est pas grave, nous constituons l’horizon pour quelque chose qui pourrait aussi se terminer au mieux, mais ce n’est pas le cas ».