20100407

L'Europe et l'Afrique


Christian Ruby
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Nulle Europe sans relation avec tous les autres pays et continents. Mais il faut d’abord que nous nous interrogions sur les images que nous avons accolées aux « autres ». Par exemple, le philosophe allemand Hegel, au début du XIX° siècle, a stigmatisé ce qu’il appelle le « vide culturel et spirituel » de l’Afrique et rejeté celle-ci hors de l’histoire du monde. En conséquence, Hegel, pour un Africain, « n’appartient point à la catégorie des auteurs dont les gloses et commentaires sont affaires de diplôme ou d’école. C’est un philosophe destin ».

            Lassen Sie uns aufhören von dem Afrika Geist zu reden, wenn wir haben einfach voreinander keinen Respekt. In den vergangenen Jahrzehnten sei Afrika eine Kolonie. Der Geist von Hegel schwebt über die Frage.

Colonial thinking regarding Africa did not wait for active colonialism to emerge.  At the beginning of the XIXth century, the philosopher GWF Hegel stigmatized what he called Africa’s “great cultural and spiritual void” and excluded it from global historical considerations.  As a consequence, Africans consider Hegel to be an author whose “commentaries and reflexions are outside of scholarly practice; he is a destiny-philosopher”.   Many today consider his theories as good predictions of what was to come.  Not only did they support, in the day, the very notion of African colonialism, they also still continue today to serve as rallying-language for some (some might immediately think of recent (French) presidential words that were legitimately echoed in the book Africa responds to Sarkozy: against the Dakar speech Makhily Gassama, Mamoussé Diagne, Dialo Diop, Koulsy Lamko – Paris, Philippe Rey Editeur, 2008), and require numerous exorcisms for others.

Afrika'yla ilgili kolonyalist düşüncelerin varlığı bu kıtanın sömürgeleşmesini beklemedi.  Öyle ki, kolonyalist düşünceler Afrika'nın sömürgeleşmsinden önce vardı. 19'uncu yuzyılın başlarında filozof GWF Hegel bu kıtada "kültürel ve spiritüel boşluktan" bahsederek bu kıtayı dünya tarihinin dışına iterek damgasını vurmuştu. Kısacası Afrika'da "kültürel ve spiritüel boşluk" sömürgeleşmenin kapısını açıyordu. Bu durumda bir Afrikalı için Hegel tartışılması gereken veya adında diploma yapılması gereken bir düşünür olarak görülemeyeceği kesin. Ancak Hegel'in tezlerini kullanların sayısı oldukça fazla. daha önce belirtiğimiz gibi, somürgeleşmenin açıklmasını kolonyalistler Hegel'in tezleri sayesinde yaptı. Ancak bugün bile, "bir takım" Fransız Cumhurbaşkanlarının  Afrika'ya yaptığı konuşmalarında bu tezler hissediliyor. L'Afrique répond à Sarkozy : contre le discours de Dakar (Makhily Gassama Mamoussé Diagne, Dialo Diop, Koulsy Lamko) adlı kitap bugün halen Fransız siyasetçilerin bu tezleri nasıl kullandığını inceleyen bir kitap.
 

            Parlons d’un ouvrage de Benoît Okolo Okonda, Hegel et l’Afrique, Thèses, critiques et dépassements, paru chez Le Cercle Herméneutique (Paris, 2010).
Si le cœur de cet ouvrage est consacré au philosophe GWF. Hegel, ce n’est pas pour rien. Cela pourrait relever de la nécessité de théoriser la question de la modernité, ou celle de l’oralité, puisque l’auteur – philosophe, professeur ordinaire à l’Université de Kinshasa, en République Démocratique du Congo - s’est aussi spécialisé dans ces objets. En vérité, il est un autre objet, infiniment plus prégnant et plus délicat à élaborer, mais aussi plus important politiquement concernant les relations Europe-Afrique.
Hegel a stigmatisé ce qu’il appelle le « vide culturel et spirituel » de l’Afrique et rejeté celle-ci hors de l’histoire du monde. En conséquence, Hegel, pour un Africain, « n’appartient point à la catégorie des auteurs dont les gloses et commentaires sont affaires de diplôme ou d’école. C’est un philosophe destin ». Ses thèses dont devenues des oracles pour beaucoup. Non seulement elles ont, pour leur part, servi de soutien à la colonisation de l’Afrique, mais encore, de nos jours, elles tiennent lieu pour les uns d’incantation – quand on ne pense pas immédiatement, devant ces énoncés, à des paroles présidentielles (françaises) récentes, qui ont légitimement trouvé réplique dans l’ouvrage L’Afrique répond à Sarkozy : contre le discours de Dakar (Makhily Gassama, Mamoussé Diagne, Dialo Diop, Koulsy Lamko) (Paris, Philippe Rey Editeur, 2008) - et requièrent pour les autres de nombreux exorcismes. En un mot, affirme l’auteur, « Hegel hante, comme un fantôme, le passé, le présente et l’avenir de l’Afrique ».
            Il faut donc s’expliquer avec Hegel, d’ailleurs des deux côtés de la Méditerranée, en Europe et en Afrique. Tel est donc cet ouvrage qu’il relève les nombreuses questions qui structurent nos rapports réciproques. En voici les principales :
-         Qu’a donc dit exactement Hegel au sujet de l’Afrique ?
-         Quelle fut la figure conférée au « sauvage », par lui ?
-         Comment pense-t-il la rencontre Europe-Afrique ?
-         Dans quelle mesure les Africains ont-ils raison de projeter Hegel aux sources de leur histoire contemporaine : esclavagisme, colonisation, impérialisme, … ?
-         Quelle est cette unité de l’Afrique dont parle chacun ?
-         Comment composer actuellement une philosophie africaine ?
On retiendra toutefois d’emblée que Hegel insiste sur le principe selon lequel « les Nègres et les Blancs ne sont pas des espèces différentes d’hommes », et que « l’infériorité » du Noir n’est pas due à sa nature ou à « sa race », mais aux conditions géographiques extérieures. Ce qui permet de porter l’accent sur des discussions plus subtiles et plus profondes, engageant de multiples dimensions.
            Ceci accepté, il n’empêche, la richesse culturelle et spirituelle de l’Afrique n’a pas été appréciée du tout par Hegel, il l’a mise hors de l’histoire du monde. Hegel, à cet égard, est évidemment entièrement tributaire de son temps. Mais il combine sa méconnaissance avec une conception de l’histoire du monde, unique, universelle, qui renforce ce rejet. Enfin, il adopte une perspective entièrement eurocentrique : la pleine signification de l’histoire, la rationalité complète et l’universalité atteignent leur point culminant en Europe occidentale.
            Il reste qu’à partir de là plusieurs pistes sont possibles pour un philosophe africain. Tenter d’échapper à Hegel, c’est-à-dire finalement tenter d’échapper à un ordre qui vous définit, c’est une première voie. Elle consisterait à mettre l’Afrique du côté des singularités qui s’excluent de toute référence de ce type. Au-delà de ce « meurtre du père », il est d’autres voies envisageables : Chercher à retrouver originairement, dans une Afrique authentique, en deçà de ce que Hegel et les explorateurs ont affirmé, une philosophie africaine première, une sorte d’illusion ethnologique de la substantialisation de la culture ; chercher à penser contre Hegel, en se présentant comme son autre, en se pensant de façon dialectique contre lui ; chercher à le dépasser… Autant de pistes que cet ouvrage explore en permettant simultanément, à ceux qui ne les connaissent pas, une rencontre avec nombre de philosophes africains contemporains.
            Dans un premier temps, l’auteur retrace le propos de Hegel selon lequel l’Afrique ne va pas au-delà de l’antichambre de l’histoire. Il n’oublie pas d’en souligner les étapes de formation, il examine les textes avec précision, et organise le relevé des propos. Ces propos sont donc connus : l’Afrique à proprement parler est sans histoire, sans volonté d’histoire. Les hommes y sont non civilisés, sauvages, sans culture. Le continent africain lui-même est pratiquement inhabitable. Les hommes y sont sans morale, ni religion. Les forces de la nature sont prises pour des divinités, et les Africains dépendent fortement de la nature, ils n’ont aucun sens du progrès. En un mot, le règne de l’Esprit y est pauvre.
            Ce développement est complété par Hegel, par la référence à l’enfance, pour parler de l’Afrique. On sait comment cette référence va servir durant tout le XIX° siècle le déploiement de la colonisation. L’Afrique hégélienne est à chercher dans l’entrecroisement entre l’idée du « nègre bon enfant » et du « nègre sauvage ». Elle est située entre la quête de l’exotisme européen et l’exploitation négrière.
            Dans un deuxième temps, l’auteur conduit une enquête sur les sources de Hegel, dont on sait qu’il n’a jamais voyagé en Afrique. Où Hegel est-il allé chercher son Afrique ? Ces sources semblent être nombreuses. Hegel multiplie les renvois aux récits des missionnaires, des voyageurs et des explorateurs (Hérodote, puis Cavazzi et surtout Karl Ritter). Au passage, cela signifie que l’objection selon laquelle l’Afrique est inconnue de l’Europe, et que le propos de Hegel est « imaginaire », tombe mal. Il faut plutôt en conclure que l’Afrique est toujours déjà interprétée par les voyageurs, mais aussi par ceux qui lisent leurs textes. Ce qui autorise des conclusions plus intéressantes. Car Hegel ne retient pas d’Hérodote l’Afrique brillante, une et riche qu’il raconte. Autrement dit, ce n’est pas tant la valeur de vérité des sources qui est primordiale que la critique de ces sources.
Ainsi en va-t-il par exemple de toute la discussion portant sur l’esclavage et l’Afrique. Même si Hegel est très éloigné du naturalisme et du racisme de ses contemporaines, il prétend que l’Africain est esclave de sang et de naissance. Il soutient ce propos d’une référence aux récits du missionnaire Cavazzi. Mais l’examen précis et rigoureux des textes de ce dernier n’oblige pas à tirer les mêmes conclusions que celles de Hegel. Plus précisément encore, il est aisé de montrer que certaines causes de mise en esclavage intra-africaines tiennent à la famine et à des épidémies de peste. L’auteur insiste aussi sur des textes émanant des rois du Congo, montrant aisément que ces rois ne sont pas prêts à justifier quelque esclavage que ce soit. En un mot, l’esclavage n’a rien de naturel en Afrique. Il n’est pas une nécessité pour le développement du Noir. Il est lié à des contingences intra-africaines, amplifiées et détournées ensuite par les colonisateurs.
            Dans un troisième temps, l’auteur s’intéresse à la réception africaine de Hegel. Ce regard africain sur Hegel est tout à fait essentiel à détailler. Certes, les penseurs africains se répartissent en « pour » et « contre » Hegel, mais cela ne suffit pas. Il importe aussi d’analyser ce pourquoi s’exerce ce jugement et ce sur quoi il porte. Autrement dit, s’attaquer à Hegel, cela peut signifier prendre à parti sa notion de « moteur de l’histoire », mais aussi celle de continuité de l’histoire ou d’histoire unique. Mais plus subtilement, il faut mettre aussi en perspective l’axe à partir duquel le propos est tenu : une culture africaine authentique pré-hégélienne ? Une culture africaine qui ne serait jamais rentrée dans le royaume hégélien ? Ou une culture africaine qui passerait au-delà de Hegel ?
            Cette dernière version correspond d’ailleurs à la thèse de l’auteur. Il préconise un chemin d’assomption et de dépassement selon lequel : « nous ne pouvons pas nous libérer de Hegel ou de l’Occident sans nous remettre nous-mêmes en question ». La volonté de l’auteur est de « démystifier le symbole même de l’Occident en la personne de Hegel », puisque « l’illusion africaine surgit sur fond d’une autre illusion, européenne celle-là ».
            « Le destin de l’Afrique, dans ce cas, est l’aventure improbable de l’Afrique, lieu de lutte et de ressaisie toujours ouvert », ajoute-t-il, en orientant ce destin vers « un espace de responsabilité pour un avenir dont l’issue est incertaine ».
            Ce qui ne va pas sans une réflexion approfondie par laquelle Hegel serait alors retourné non seulement dans son propos sur l’Afrique, mais encore dans son propos général. Pour poser l’Africain faut-il simplement retourner le rôle de la pensée et de l’histoire hégéliennes ? Il ne semble pas, précise l’auteur. « Le complexe de supériorité n’en efface pas un autre puisqu’ils se bâtissent sur les mêmes illusions, fantasmes et désirs. Pour dépasser Hegel tout en l’assumant, à la place d’une négritude ethno-raciste, substantialiste, il faudrait probablement une négritude historique, proposée entre autres par Aimé Césaire chez qui la conscience du Noir se forge à travers les figures historiques comme Toussaint Louverture, Lumumba, mais aussi par des calamités comme l’esclavagisme et la colonisation ».
            Une conclusion s’ensuit. L’accent doit désormais être porté sur la réaffirmation et la revendication pour l’Africain de l’initiative de pensée et d’histoire, interrompue par l’esclavagisme et la colonisation. « Peut-on nier toute volonté d’histoire à ceux qui ont créé des royaumes, des chefferies, à ceux qui ont continuellement migré pour des meilleures conditions de vie, à ceux qui ont fait surgir des cultures et des civilisations, qui ont produit des arts, religions, littératures ? ».