20120406

Editorial


The language of the politicians who should be representing us can no longer grasp the reality (something I already lived through in the GDR). Their language is one of self-assurance that no longer receives any checks and balances from across the negotiating table. Politics has degenerated into a mere vehicle, a bellows for rekindling the fires of growth. The Citizen has been cut down to the status of Consumer. Growth in itself means nothing. Society’s ideal would be the playboy who consumes as much as possible as fast as possible. And what would cause a tremendous spurt in growth? A war. Every day one hears that governments must “win back the confidence of the markets." By ‘markets’ it is primarily the stock exchanges and financial markets that are meant: that is, those speculators who, in pursuit of their own interests or the interests of others, are raking in as much profit as they can. Are they not those who have relieved the public sphere of unimaginable billions? They are the ones whose “confidence” our top elected officials should be struggling to win back. We are right to be outraged by Vladimir Putin's concept of "guided democracy". But when Angela Merkel spoke of "market-based democracy”, why did she not have to beat a retreat? (Ingo Schulze)

Quelle est l’hypothèse fondamentale qui gouverne l’Idée d’Europe ? Au fond, au-delà des discours sur la paix qui ont présidé à sa constitution première, et en refusant la pure et simple hypothèse libérale et marchande, ce ne peut être autre chose que l’hypothèse d’une humanité générique. Mais pour que ce dessein se réalise, il y faut deux conditions.
            La première est que chacun des pays concernés (nous ne limitions pas l’Europe à une géographie ou à une référence culturelle unique) accepte d’opérer un travail sur soi, lui permettant de cerner une histoire relative interne et externe (relative aux autres). C’est là une vieille question que chaque nation formant l’Europe actuelle se pose différemment. Mais qu’il faut relancer encore autrement. Les uns, et pour des raisons historiques évidentes, les Allemands, font de cette question une interrogation permanente (Fichte, Hegel, Nietzsche, …). On connaît la réponse de Thomas Mann, après la guerre, l’Allemagne doit être purement et simplement éliminée. Elle doit disparaître dans une autre entité. Les autres, par exemple, les Français ne se la posent jamais. Les Français ne s’interrogent jamais sur la France, ils savent toujours déjà ce qu’elle est (la France est toujours la France !). D’autres encore ne souhaitent pas entendre parler de cette question. D’autres, enfin, ont des réponses immédiates : le passé leur servant de justification.
            La seconde condition est que les européens, ceux qui adhèrent à un tel projet ne se rêvent plus en forme d’unité, homogénéité, identité. Dissoudre les vieilles constructions dans l’Europe, ne peut consister à reconstituer la même perspective à l’échelle supérieure. Si Europe il doit y avoir elle ne peut se soumettre au destin de l’idée de nation. Europe n’a de signification qu’à partir d’une configuration de la politique qui ouvre sur la pluralité, la diversité, l’altérité assumée.
            En un mot, ces conditions culturelles sont loin d’être conquises.
            Les appels se multiplient pourtant.
            Une voix irlandaise répond : « L’Union européenne est comme un rêve étrange que nous avons fait : il s’agissait de façonner et de ciseler un ensemble de valeurs politiques pour l’insérer dans un système complexe qui devait placer les valeurs humaines, la richesse culturelle et l’idée d’égalité au centre même de nos préoccupations ». Mais c’est pour constater aussitôt : « A présent, sous la pression d’une crise financière, les pays n’ont plus qu’une seule certitude, que leurs propres frontières et leurs propres intérêts comptent davantage que le bien collectif ». En un mot, les idées sont restées verrouillées sur les identités. Et il conclut : « Il importe maintenant, à la périphérie de l’Europe où je vis, de recommencer à employer le langage de l’idéalisme politique et culturel » (Colm Tóibín, journaliste et romancier irlandais, in Libération (Paris), le 24 juillet 2012).
In other words : Many events got us thinking about tribes. Are Europeans made up of many national and linguistic tribes? Or have they merged into a continental megatribe? Even though in countries like Spain and Ireland, where Europe has…really helped people in their lives, nobody loves Europe, said Tóibín. Europe has failed to make Europeans feel European. To try to impose a European identity on people because it may be good policy or because it encourages peace doesn’t actually work for people, said Tóibín.
            Une voix allemande insiste : « A l’automne de l’année dernières, la chancellière allemande a créé un concept tellement inouï qu’il eut un effet proprement libérateur. Angela Merkel a combiné l’épithète « conforme au marché » avec le mot « démocratie ». Outre l’analogie frappante avec la « démocratie dirigée » chère à Vladimir Poutine, ce concept de « démocratie conforme au marché » dit clairement où nous en sommes. Qui fait la loi, c’est soudain clair. Inutile de recourir à l’étymologie pour voir qu’une démocratie conforme au marché n’est plus une démocratie » (Ingo Schulze, écrivain allemand, Libération, le 26 juillet 2012).

Von einem Angriff auf die Demokratie zu sprechen, ist euphemistisch. Eine Situation, in der es der Minderheit einer Minderheit gestattet wird, es also legal ist, das Gemeinwohl der eigenen Bereicherung wegen schwer zu schädigen, ist postdemokratisch. Schuld ist das Gemeinwesen selbst, weil es sich nicht gegen seine Ausplünderung schützt, weil es nicht in der Lage ist, Vertreter zu wählen, die seine Interessen wahrnehmen. Jeden Tag ist zu hören, die Regierungen müssten “die Märkte beruhigen” und “das Vertrauen der Märkte wiedergewinnen”. Mit Märkten sind vor allem die Börsen und Finanzmärkte gemeint, damit also jene Akteure, die im eigenen Interesse oder im Auftrag anderer spekulieren, um möglichst viel Gewinn zu machen. Sind das nicht jene, die das Gemeinwesen um unvorstellbare Milliarden erleichtert haben? Um deren Vertrauen sollen unsere obersten Volksvertreter ringen? Wir empören uns zu Recht über Wladimir Putins Begriff der “gelenkten Demokratie”. Warum musste Angela Merkel nicht zurücktreten, als sie von “marktkonformer Demokratie” sprach? (Ingo Schulze)