20120405

Pour une Europe Leibnizienne de la Recherche.



Paul Perlès
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Peter Sloterdijk schreibt : « Wie ein Sonnenkönig des Denkens verausgabte sich Leibniz in zahllosen Vernunft-Ressorts (...) Leibniz Heiterkeit vertritt eine Welt, in der die Kabinettskreige der Vernunft noch von einem unerschütterlichen Harmonievertrauen eingehegt werden konnten ». Leibniz hat einen Europas philosophisches Zentrum gebildet.  Er begründete in breiten Schichten jene Vorstellungen, die wir noch heute als typisch für die Aufklärung ansehen: eine Kultur des Verstandes, die auf Nützlichkeit und moralische Verbesserung abzielt, optimistischer Fortschrittsglaube, die Neuordnung der Beziehungen zwischen Staat, Kirche und Gesellschaft. Für uns, ist er eine Vorbild ?

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Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) Avrupa cercevesinde arastirma projelerinin olusumuna olumlu bakan bir filozof olarak taninir. Leibniz’in bir ulke, bir universite veya bir okula yani bir  lisana bagli oldugu bir gercektir. Ancak buna ragmen, Leibniz Avrupa kulturleri arasinda iliskileri yogunlastirmaya son derece onem veren bir isim. Avrupa kavraminin yalnizca bir fikir haline geldigi bu gunlerde, bu filozofun bu kavrama yaptigi katkilari hatirlamak bugunun kosullarini tekrardan sorusturmak acisindan kacinilmazdir. Leibniz, gerek Londra gerekse Berlin gibi sehirlerde bulunmus, herhangi bir Avrupali gibi bir Avrupali ancak siyasilerin ve ekonomistlerin projesine dahil olmaktan kacinir. Avrupa herzaman bu sekilde tanimlanmadi - Avrupa herseyden evvel bir filozofik proje.

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How rare it is to hear of a European Union research project! This is, however, what the philosopher Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) held dearest.  The contemporary intellectual is still more attached to a country, university or school, and therefore to a specific culture and language.  Granted, there are agreements between countries, universal truths and scientific empiricism, idea expatriates, but the concept of “Europe” does not have the same impact in the mouth of a researcher of philosopher.  The intellectual is nothing more than a European like all others, capable of travelling to London or Berlin, who refuses to challenge or go beyond the ideas of politicians on what Europe should be.  But this has not always been the case; one could even defend that Europe was initially a philosopher’s project.

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Es raro escuchar acerca de cualquier proyecto de investigación de la Unión Europea! Sin embargo, esto es lo que el filósofo Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) fue el más. Es cierto que los esfuerzos intelectuales contemporáneos todavía un país, una universidad o una escuela, es decir, una cultura y un lenguaje definido. Esto no quiere decir que no hay acuerdo entre los países, ninguna realidad empírica académico, ningún pensamiento expatriado, pero finalmente hace mucho tiempo que la palabra Europa ya no está en la boca investigadores y filósofos fuerza de una idea. El intelectual es a menudo mejor que otros países europeos y en condiciones de ir a Londres o Berlín, pero que se niega a seguir el ejemplo de los economistas y los políticos a la hora de definir lo que debe ser Europa. Sin embargo, no siempre ha sido así, y hasta se podría decir que Europa era originalmente un proyecto del filósofo.

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È raro sentir parlare di un progetto qualsiasi, di un’ Unione Europea o della ricerca. Ed è proprio questo che voleva il filosofo Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716). E’ vero che questo intellettuale contemporaneo era molto legato ad un paese, un’università o una scuola, cioè legato a una cultura e una lingua ben definite. Non si tratta di dire che non esiste un accordo tra paesi, nessuno scambio inter-universitario, nessuna idea interstatale. Ormai da anni non si sente la voce dei ricercatori e dei filosofi nella stessa parola “Europa”. L’intellettuale è spesso nient’altro che un europeo come gli altri, capace di andare a Londra o Berlino, ma che si rifiuta di fare riferimento agli economisti e uomini politici quando viene messo a confronto con la definizione di Europa. Purtroppo non è sempre stato così: si potrebbe anche dire che l’Europa era originariamente un progetto filosofico.

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Qu'il est rare d'entendre parler d'un projet quelconque d'union européenne de la recherche ! Il est vrai que l'intellectuel moderne se veut rarement précurseur en la matière : il s'attache à un pays, à une université ou à une école, c'est-à-dire à une culture et à une langue définies. Il ne s'agit pas de dire qu'il n'existe aucun accord entre les pays, aucune réalité empirique universitaire, aucun expatrié de la pensée, mais enfin il y a longtemps que le mot d'Europe n'a plus dans la bouche des chercheurs la force d'une idée. L'intellectuel n'est souvent au mieux qu'un européen comme les autres capable d'aller à Londres ou à Berlin, mais qui refuse d'emboiter le pas des économistes et des hommes politiques lorsqu'il s'agit de définir ce que doit être l'Europe. Pourtant il n'en a pas toujours été ainsi, et l'on pourrait même dire que l'Europe était à l'origine un projet de philosophe.
Rien d'étonnant d'ailleurs à ce que Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), penseur de l'ordre s'il en est, de la hiérarchie et du commun, ait été l'un de ses plus fervents défenseurs dans une époque où ni l'économiste ni le politique n'envisageait l'Europe autrement que comme un champs de bataille. Non pas qu'à son tour, le philosophe de Hanovre n'ait été patriote – en témoigne la rédaction d'une Exhortation aux Allemands de mieux cultiver leur raison et leur langue avec, y joint, une proposition d'une Société Teutophile. Leibniz posait en effet l'importance de l'amour de son pays juste après le devoir à Dieu : « Le lien de la langue […] unit les hommes d'une manière aussi puissante qu'invisible et forme une sorte de parenté ». Mais le projet Leibnizien était un projet de chercheur et d'amoureux de la vérité : toute son œuvre politique – et le premier lecteur de Belaval venu peut en comprendre l'importance – se veut une longue réunion des sciences devenues autonomes. Comment réconcilier les connaissances rationnelles dans une Europe à peine sortie de la Guerre de Trente Ans (épisode dont on pourrait facilement souligner le caractère post-babélique) ? Comment dépasser le climat de tension qui réunissait malgré elles les Églises protestante et vaticane ? Comment unifier ces pays déchirés par les épisodes guerriers, les famines et les pénuries, pour offrir au monde un visage commun et fort ? Il faudrait pour Leibniz relancer la recherche, la commune entente entre les sciences et les savants européens par l'élaboration d'une langue primordiale fondée sur les axiomes de la pensée.
Pour comprendre le projet dans son ensemble, il faut revenir à sa genèse. Leibniz percevait la langue adamique comme parfaite parce qu'elle reposait sur la nomination arbitraire des choses par Adam. En elle nous trouvions un lien essentiel entre le nom et l'objet. Lors de l'épisode de Babel, nous passons donc de la langue adamique qui liait de manière essentielle nom et chose, aux langues historiques qui vont les lier de manière conventionnelle selon les aléas historiques dont la connaissance forme une partie de la linguistique. Cette rupture n'est pas seulement problématique parce qu'elle fait naitre une pluralité des langues, mais surtout parce qu'elle créer une discontinuité essentielle : les langues historiques se fondent sur la perception sensorielle pour s'orienter progressivement vers les idées alors que la langue adamique était une nomination simple des objets. Ainsi donc, du fait de la perte de la langue originelle, notre désir de connaissance est renvoyé au développement des langues historiques et à leur perfectibilité : plus une langue va s'arracher de son origine perceptive, plus elle permettra de renouer avec la langue adamique. Cette dernière est le ce en vue de quoi les langues historiques existent. Leibniz réussit donc un coup de force majeur : le modèle de la langue adamique est à la fois origine et finalité. Cette langue originelle est le résultat eschatologique d'une civilisation pleinement développée. La langue primordiale est donc la finalité de la culture et de la science, le point d'orgue d'un progrès dont les langues historiques ne sont que des manifestations.
C'est le projet de la characteristica universalis : une langue entièrement arbitraire, comme l'était la langue adamique, qui reposerait sur la composante ultime de la pensée, c'est-à-dire sur les idées simples ou axiomes irréductibles de la connaissance détachée du sensible. Cette langue serait « l'alphabet des idées » selon une formule rendue fameuse : il s'agit de réduire les concepts complexes sur lesquels repose la connaissance de la réalité en idées simples et organisées. La characteristica universalis devrait être compréhensible par tous parce que, tout comme le calcul mathématique, ce ne sont plus les noms des objets qui reposent sur des conventions, mais seulement l'alphabet des idées qui en deviennent les éléments pour ne pas dire les lettres.
 Comprenons l'importance de ce projet. L'Europe est l'espace de compréhension de l'alphabet des idées. Ce qui veut dire très clairement au moins une chose : l'Europe est l'actualisation géographique du progrès général dont la characteristica universalis est un aspect. La philosophie de l'écrivain de Hanovre est une théologie politique, c'est-à-dire que toute la réflexion autour de l'entre-expression de la monade doit amener à promulguer un système politique dont Leibniz voit l'actualisation dans le projet européen. L'Europe doit être la réalisation du royaume divin sur terre, où tous les pays s'entre-exprimeraient dans un alphabet commun. On comprend mieux pourquoi Leibniz était un homme politique acharné, qui n'aura de cesse, lors de son séjour à Paris entre 1672 et 1676, d'essayer de convaincre Louis XIV de s'entendre avec l'Allemagne par delà ses instincts guerriers. Les pays de l'Union se caractérisent aujourd'hui encore par leur aspect monadique : les coutumes, la langue et la culture propre en font des espaces sans porte ni fenêtre, alors que les accords extérieurs témoignent d'une entre-expression véritable. Notons ce n'est pas Dieu cette fois qui détermine les rapports des substances individuelles entre elles, seulement la capacité des pays eux-mêmes à s'organiser.
Quels avantages l'Europe ne retirerait-elle pas d'une science organisée par la méthode et par le travail en commun ! Il n'y a rien d'aussi moderne que les réflexions que peut avoir notre philosophe de Hanovre sur la recherche médicale par exemple : « Mon opinion est que c'est faute d'assistance que la médecine est encore si imparfaite, et qu'on doit s'en prendre plutôt aux Princes et puissants, que non pas aux médecins ». N'est-ce pas exactement ce que l'on peut reprocher à l'Europe ? Si la recherche était mise en commun, ne serait-il pas plus rapide de découvrir les remèdes contre des maladies qui touchent chaque pays ? La characteristica universalis est donc bien une facette d'un projet encyclopédique plus large qui doit réunir les pays autours d'un commun : c'est par la recherche et la dynamique générale que peut se réaliser la cité européenne des hommes, et c'est par le travail philosophique que l'on peut prétendre pérenniser l'union des Pays.