20090310

Editorial

L’Europe est privée de son énergie essentielle, la formation (Die Bildung), telle que devrait la définir une nouvelle politique éducative. Une formation aux langues, à la traduction et à la formation de multitudes en interaction.
Entraînée par ses hommes d’Etat, elle se met plutôt à l’heure du « Grand », même si les Européens ne sont pas toujours convaincus des bienfaits des projets proposés. Il est vrai que ces projets s’acharnent à faire fonctionner des stratégies de pouvoir plutôt que des interférences culturelles, seules adéquates finalement à une véritable perspective européenne. Le « Grand Paris » vient se mesurer au « Grand Londres », qui lui-même a été inquiété par le « Grand Berlin », … et chacun de vouer les « autres » à rester « petits ». Il est vrai que ces politiques européennes vides ne cessent de couvrir aussi des écrasements nationaux, et notamment l’écrasement des multitudes de propositions possibles. En France, le « grand Paris » cache la misère de la centralité enclose, la rigidité des espaces territoriaux qui n’accèdent toujours pas à la réticularité. Nous n’aurons pas l’ironie de souligner que la « grandeur » ne se mesure pas toujours à la taille.
Il est plus certain que la « grandeur » peut se mesurer au travail de fourmi qui consiste à mettre sans cesse en rapport, en confrontation, en jeu les travaux culturels qui permettent aux Européens de chercher à vivre ensemble en se donnant les moyens de discuter des orientations de leurs existences, de multiplier les sources d’inspiration et de rencontre en cessant de s’enfermer dans des suprématies ou des enfermements, de favoriser l’émergence d’une multitude de propositions à faire au monde.
Des mises en rapport de ce type, il en existe de très nombreuses. Nous cherchons à les mettre au jour, au fil de nos numéros. Il en est de plus visibles que d’autres : il faudrait actuellement examiner les traits communs et divergents des manifestations politiques dans toute l’Union européenne.
Afin de mieux développer ce travail, nous souhaitons lancer une double recherche, que nous proposons d’ailleurs à nos lecteurs, dans la mesure où ils souhaitent nous envoyer leurs chroniques. La première porte sur la double (ou triple, …) appartenance. Elle consiste à récolter et publier des articles provenant d’européens qui vivent sur et de deux langues et deux cultures (ou plus). De grands ancêtres ont produit des études sur ce point à partir de leur propre éducation (Elias Canetti, Isahia Berlin, George Steiner), de la diversité culturelle intrinsèque à leur milieu familial et de leur apprentissage simultané de plusieurs langues. Il nous semble que nous devons amplifier la publication de récits de ce type.
La seconde porte sur les approches du contexte culturel européen par les « étrangers », ceux qui, loin de ce contexte (nous avons proposé cela à des Indiens, des Mexicains, …) peuvent s’en approcher pour en faire la critique. Nous publierons, là encore, les envois qui nous seront faits.
Grâce à ces publications, qui vont bientôt émailler les numéros du Spectateur européen, nous allons sans doute faire émerger des rapports d’empiètement, des rapports de pli, de réversibilité et de chiasme entre les cultures européennes, rapports qui ouvrent une multiplicité de perspectives à nos existences. Rappelons que l’empiètement implique que deux objets se recouvrent en partie et donc qu’il faut penser leur lieu commun comme un continuum spatial, une zone de contact qui élimine les notions d’intérieur et d’extérieur. Le pli est la capacité d’un corps à s’enrouler en prenant dans son geste quelque chose du monde qui l’entoure ; le pli fait participer le monde au déroulé d’un processus. La réversibilité établit que tout corps est double au sens où il est toujours à la fois senti et sentant, pensé et pensant, voyant et visible, culturel et non-culturel. Enfin, le chiasme organise une sorte de retournement qui distingue les choses sans nécessairement les opposer.