20100207

Editorial

Christian Ruby
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La désignation annuelle d’une ou de plusieurs villes pour passer momentanément pour les capitales européennes de la culture - cette année Essen, Pec et Istanbul - doit nous interroger, puisque le Spectateur européen veut devenir un Observatoire des phénomènes culturels européens. Ce qui nous intéresse dans le choix de l’année 2010, ce n’est pas tant l’existence d’une telle « capitale » (le geste n’est pas récent, et nous en avons déjà parlé dans un numéro précédent) que la mise en relation de plusieurs « capitales », et l’obligation qui nous est faite de nous interroger sur les réseaux ainsi constitués, ainsi que sur l’extension du territoire culturel de l’UE ainsi nécessairement produit (au profit de l’Europe ?).

Essen, Pec, Istanbul, die Grand Tour 2010. Die Grand Tour lädt ein, die kulturelle vielfalt an Ruhr, Rhein, Osten, Türkei zu entdecken. Schon im Essen, im Kulturhauptstadtjahr profitieren vor allem Essens Museen von kostspieligen Investitionen. Drei Städten mit Projekte und Veranstaltungen wollen, in 2010, mit neuen Bildern alte Klischee ersetzen : Essen, Pec, Istanbul. Am 9 und 10 Januar hatte auf dem UNESCO-Welterbe Zeche Zollverein (Essen), dem Wahrzeichen des Ruhrgebiets, das Kulturhaupstadtjahr durch den Bundespräsidenten Horst Kölher im Beisein des Präsidenten der europäischen Kommission Josè Barroso eröffnet. Oliver Sheytt, Geschäftsführer der RUHR.2010 Gmbh : « Unser Motto in 2010 lautet Wandel durch Kultur, Kultur durch Wandel. Wir werden der Welt zeigne, dass das Ruhrgebiet nicht langer Staub, sondern Zukunft atmet ». Auch im Istanbul und Pec. Der Ruhrpott stellt sich aus, Vieles ist gelungen in Pec und Istanbul. Verbindet europaïsche Kultur Essen, Pec und Istanbul ?

Essen, Pecs ve Istanbul'un bu sene Avrupa kültür başkenti ilan edilmesi, Avrupa kültürülerinin ilişkilerini inceleyen Avrupalı Izleyicinin doğal olarak ilgi alanına girmiştir. Bunun nedeni bu şehirlerin Avrupa kültür başkenti olması değil. Avrupalı Izleyicinin ilgisini çeken nokta bu sene "başkentlerin" seçilmesi ve bu başkentlerin nasıl birbiriyle ilişki kurduğudur. Başkentlerin coğul olması Avrupa topraklarında Avrupa kültürlerinin geliştiğinin göstergesidir.

The title « European Capital of Culture » was designed to help bring European citizens closer together. This was the idea underlying its launch in June 1985 by the Council of Ministers of the European Union on the initiative of Melina Mercouri. Owing to the many visitors it has attracted, the title has since gone from strength to strength in Europe. This event is different from other cultural events by its size and its visibility. It requires a high standard of artistic quality. Over the years, this event has evolved without losing sight of its primary objective: to highlight the richness and diversity of European cultures and the features they share, promote greater mutual acquaintance between European citizens, foster a feeling of European citizenship. Over the years, this event has evolved without losing sight of its primary objective: to highlight the richness and diversity of European cultures and the features they share, promote greater mutual acquaintance between European citizens, foster a feeling of European citizenship.

The yearly designation of one or more cities as Europe’s cultural capital – this year’s contenders being Essen, Pecs and Istanbul – is an issue that should be addressed by The European Spectator if it is to be an observatory of European cultural phenomena. What we are interested in for the 2010 selection is not so much the existence of such a “capital” (indeed, the concept is not new and has already been addressed in a previous issue) as the interconnectedness of many such “capitals” and the resulting networks, as well as the growth of the EU cultural territory that necessarily ensues (to Europe’s benefit?).

La designatzione anualle di una citta europea come capitale europe momentanea – quest’anno Essen, Pec et Istanbul - deve portarci a interogarci, perche il /Spettatore Europeo /vuole diventare un Observatorio dei fenomini culturali europei. Quelo che ci interessa
nella scelta dell 2o1o, non e poi cosi tanto l’essistenza di una “capitale” (l’initziativa non e nuova, e ne abbiamo gia parlato in un numero precedente) ma piutosto la messa in rapporto di tante “capitale”, e anche l’obligatzione che ci viene di interogarci su questi rapporti che si creano in consequenza. L’ultima cosa che ci viene a mente quando guardiamo questo fenomeno e l’estensione di un territorio culturale dell’U.E. che si crea necessariamente (al
profito dell’Europa?).

Nos lecteurs voudront donc bien nous passer la nécessité de décrire les lignes de force dessinées ainsi par ces désignations annuelles sur une carte géographique. De souligner une topographie. Ce qui saute aux yeux en revanche, c’est la construction ainsi imposée par la culture d’un jeu sur les frontières, qu’il s’agisse de celles des pays, celle des accords européens (UE), ou celles des rapports culturels officiels. Les rapports et les devenirs culturels ne sauraient être bornés dans et par des frontières. L’intelligence de ce choix renvoie par conséquent aux interrogations qui structurent une hypothétique culture européenne engagée dans ses dissensus et par ses passeurs : Comment forcer des limites ? Comment les oeuvres circulent-elles malgré les frontières ? Comment les langues travaillent-elles les unes par rapport aux autres ? Comment organiser moins des rapports à une quelconque identité, dans tous les cas fictive, que les rapports à et d’altérité ?

A ce propos, il est possible de se demander si le champ des arts a pris une dimension européenne et laquelle ? Utilisons pour comprendre cette question une notion élaborée par Goethe, celle de « corps artistique ». Il entend par là l’organisme vivant formé par les arts et leurs institutions en Europe. Or, donc la question est de savoir si un tel corps existe de nos jours, et comment il fonctionne (à l’identité, à l’altérité ?). Qu’il existe, il est difficile de le nier : Le Louvre, la Tate galerie, le Prado, mais aussi les musées de Prague, Berlin, ... ont tous changé de figure et se sont mis en correspondance réglée. Mais en vue de quel fonctionnement ? Lisse, commercial, touristique ! Les autorités en ont chassé la vulnérabilité artistique, et les déséquilibres possibles, voire nécessaires, entre les œuvres ou les effervescences qu’elles produisent. Qu’il existe aussi au niveau des Biennales (Venise, Cassel, Istanbul, ...), dont beaucoup regrettent la multiplication, ce n’est pas critiquable pour ce nombre, mais pour la répétition des œuvres, des choix, des options, signes éclatants d’une impasse d’un faux projet de culture européenne qui vise à l’homogénéité par fait de commerce culturel.

La production artistico-touristique est, à cet égard, indigente. S’il fallait pointer des moments clef dans l’éveil possible du goût esthétique des jeunes européens, on serait bien en peine, sauf à observer que les expositions diffèrent peu d’un bout à l’autre de l’Europe.

Mais il en va de même pour la culture générale. En Europe, le problème central sur ce plan est identique au précédent. Il est d’ouvrir le travail de pensée à de nombreux auteurs « étrangers », c’est-à-dire ignorés en Europe, par les lecteurs, par les traducteurs, par les éditeurs. Nous pensons à Edward Saïd en Palestine, Alvaro Garcia Linera (Bolivie), Slavoj Zizek (Slovénie), Ernesto Laclau (Argentine), Seyla Benhabib (Turquie), Roberto Mangabeira Unger (Brésil), Kojin Karatani (Japon), Homi Bhabha (Inde), Nestor Garcia Canclini (Mexique), Achille Mbembe (Cameroun), Wang Hui (Chine).

C’est sans doute parce que ces auteurs, d’une manière ou d’une autre, mettent en jeu le concept de souverainté dans la mesure où il enferme, qu’ils sont exclus de la publicité. Ce qui nous oblige à deux choses : tenter d’en parler et de référer leurs ouvrages, et revenir sur le concept de souveraineté. On en connaît les traits fondamentaux : la suprématie du pouvoir d’Etat (pas de pouvoir supérieur), la perpétuité dans le temps, le décisionnisme, la complétude (la souveraineté ne peut être partagée), la non-transférabilité (elle ne peut être donnée), et la juridiction spatiale (territorialité). Il nous fait évidemment travailler à savoir comment ce concept a rendu compte longtemps d’une formation nationale des européens, comment il peut être remis en cause sans être simplement transféré à un niveau européen, et comment nous pouvons en dépasser définitivement la portée sur les question culturelles.

Ce numéro du Spectateur européen offre ainsi une première exploration de ce concept en se consacrant à Istanbul, à la marge même des souverainetés anciennement délimitées. Exercice d’altérité et donc de culture ?

Signalons au passage que nous devons certaines des traductions ici publiées à deux nouveaux membres de notre bureau : Hélène Zotiadès et Oliver Brenni. Ils s’ajoutent à la liste publiée dans le numéro 2009/03.